Michel-Bernard de Vregille : « Ne nous laissons pas voler notre foi, notre joie et notre espérance ! »

Dans ce numéro d’Il est vivant qui lui tenait particulièrement à cœur, Michel Bernard de Vregille témoigne de son amour de l’Église. Pour lui le corps mystique du Christ est comme une grande famille ou chacun est responsable de son frère. “Notre mission dans l’Église qui traverse la tempête ne consiste pas à “sauver les meubles” mais bien à sauver les âmes !” Un article publié dans Il est vivant !

Il est vivant ! : L’Église est un “sujet” qui vous tient spécialement à cœur. Pourquoi ?

MB Vregille Il est vivant 342Michel-Bernard de Vregille : Parce que j’aime l’Église ! Je suis né dans une famille profondément chrétienne. Parmi mes oncles, trois étaient prêtres, et parmi mes tantes, une était d’un ordre missionnaire, une autre, sœur de la charité. Mes grands-parents et parents étaient tous croyants pratiquants. C’est ainsi et j’en rends grâce à Dieu. Tous ont été pour moi des témoignages familiaux de vies données au Christ au cœur de l’Église. Je leur dois donc beaucoup et ils m’ont transmis cet amour et cette confiance en l’Église. Enfin, j’ai pu constater, à maintes reprises et dans toutes les dimensions de ma vie, combien l’Église était mère.

Je me souviens par exemple qu’en 1991, au début de ma carrière professionnelle dans la grande distribution, l’encyclique de saint Jean Paul II, Centesimus Annus, avait éclairé ma vie de foi dans le travail et m’avait amené à lire Rerum Novarum, lettre encyclique écrite 100 ans plus tôt qui est d’une modernité incroyable. Ces deux textes m’ont poussé dans mes retranchements : où était Jésus dans mon activité professionnelle ? Quelle était la cohérence entre mes convictions de disciple du Christ et mon attitude dans le travail ? J’ai été alors profondément marqué par la pertinence et le prophétisme de l’Église. Lorsque certains critiquent l’enseignement de nos papes, j’ai coutume de leur demander s’ils ont lu les textes, et aux croyants, s’ils les ont priés…

Tenir de tels propos alors que L’Église traverse une crise profonde, n’est-ce pas… “décalé” ?

C’est une immense souffrance de constater que certains membres de l’Église ont péché très gravement et il est insupportable de voir tant de victimes marquées irrémédiablement par les blessures provoquées par ces actes abominables. Nous venons nous-mêmes de vivre une lourde épreuve de ce type dans l’une des paroisses qui nous est confiée. En lien avec le curé et le diocèse, nous avons donc mis en œuvre tout ce qui était en notre pouvoir pour porter cette épreuve, à commencer par l’attention à la personne qui a été victime, à sa famille, et pour que la justice civile puisse accomplir aussi sa mission. Pourtant, et c’est notre foi, nous croyons que l’Église est le corps mystique dont Jésus est la tête et qu’elle est le sacrement du salut (Lumen gentium n°48). Ce mystère nous dépasse, et si les membres de l’Église sont pécheurs, l’Église, elle, est sainte (CEC, 748-750). Il faut aussi regarder tous les saints de l’Église, ses martyrs, tout ce que nous leur devons, hier et aujourd’hui, tous ceux qui œuvrent en ce moment même en donnant leur vie dans l’ombre et dont on ne parlera jamais.
La voix de l’Église est probablement actuellement l’une des plus libres et des plus éclairantes qui soient. C’est le cas par exemple pour la bioéthique, les migrants, etc. Sa voix est vitale pour le monde ! « Dans l’Église sainte et composée de pécheurs, tu trouveras tout ce dont tu as besoin pour progresser vers la sainteté », rappelle le pape François dans l’exhortation Gaudete et Exsultate (n° 15).

Mais un tel discours est-il audible face à tant de scandales ?

Avec mon épouse Catherine, nous avons six enfants et cinq petits enfants. Quand on est membre d’une famille et que la famille traverse une épreuve, il y a deux solutions :

– soit on quitte la famille, on se désolidarise, on juge les autres, on dit « Je n’en suis plus », on s’exclut, on se déresponsabilise ;
– soit on assume avec, on souffre avec, on s’offre avec, on agit pour apporter sa pierre –même modeste– à ce qu’il faut mettre en œuvre pour accompagner et sauver les membres souffrants ou fautifs et permettre de nouveau le rayonnement de la famille.

C’est la même chose lorsqu’on est membre de l’Église. Pour prendre une image sportive, sommes-nous sur les gradins en train de regarder et de commenter l’épreuve qui se déroule dans le stade ou sommes-nous plutôt acteurs sur le terrain avec tous les autres ? Nous sommes membres de l’Église. C’est notre famille. À nous de nous convertir afin qu’elle soit toujours davantage porteuse de la Bonne Nouvelle !
Enfin, dans l’adversité, où nous devons avancer avec lucidité, il est important que nous soyons plus prompts à soutenir le Saint-Père, les évêques et les prêtres en avançant avec eux, qu’à céder aux critiques faciles ou à la tentation du bouc émissaire. À ce titre, nous avons pu constater nous-mêmes dans le drame que j’évoquais plus haut, combien l’Église “institution” et ses pasteurs en France avaient travaillé, réagi, et continuaient d’avancer afin que les aveuglements insupportables du passé ne soient plus possibles.
L’Église doit continuer le travail. Elle doit être un modèle en la matière et mettre en œuvre de profondes réflexions pour avancer dans tous les domaines. L’organisation par le pape François d’un sommet sur la protection des mineurs en février 2019 à Rome est une étape majeure.
Encore une fois, concernant le péché qui demeure, nous avons tous notre part de responsabilité car l’Église dans son organisation n’est pas une abstraction et ce sont les fautes personnelles de ses membres et la façon dont elles ont été couvertes qui ont conduit à la crise que nous traversons.

Mais comment comprendre que nous ayons notre part de responsabilité dans des actes que nous n’avons pas commis ?

Que nous le voulions ou non, nous portons en nous la marque du péché originel. Le combat spirituel existe, le diable existe, comme nous le rappelle souvent François depuis le début de son pontificat.Un écrivain français disait avec humour : « Lorsque j’ai un doute sur la réalité du péché originel, il suffit que je me regarde dans la glace. »
Je crois qu’en tant que croyant, il est impossible de regarder la situation actuelle sans accepter notre part de responsabilité. L’appel à la conversion est pour chacun d’entre nous.
Bien sûr, et heureusement, la plupart d’entre nous n’a pas commis d’atrocités ou de déviances,mais membres d’un même corps, nous devons chacun porter notre part.Notre mission dans l’Église qui traverse la tempête ne consiste pas à “sauver les meubles” mais bien à sauver les âmes ! La purification de l’Église passe par la reconnaissance du mal très grave commis par certains et par la conversion de tous ses membres, c’est-à-dire la nôtre, à commencer par la mienne.

Quel est, selon vous, le remède à tous ces maux ?

Il n’y en a qu’un seul, c’est le sacrifice du Christ qui a permis notre rédemption ! En mourant sur la croix, il nous a définitivement sauvés.
Jésus a tout assumé alors même qu’il était le seul innocent, il s’est fait péché pour nous. L’Église n’est pas un club philosophique, un parti ou une association. C’est la personne de Jésus que nous suivons ! Alors, en ces temps d’épreuves,méditons le chemin de croix et interrogeons-nous. Regardons-nous Jésus passer avec sa croix ou traversons-nous la foule pour la porter avec lui ? Est-ce que nous crachons au visage de Jésus ou est-ce que nous l’accompagnons comme Marie jusqu’au pied de la croix, comme chacun d’entre nous y est appelé pour « compléter dans notre chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son corps qui est l’Église » (Col 1, 24) ?
Nous voyons aujourd’hui l’Église défigurée et blessée, comme l’était le corps de Jésus dans sa passion, tuméfié, meurtri, ruisselant de sueur, et c’est le péché des hommes qui en était la cause. Pourtant, ce corps « qui n’avait plus figure humaine » (Isaïe 52, 14), c’était celui de Jésus qui nous a sauvés par son offrande, son sacrifice et sa résurrection. Cette Église que nous voyons défigurée aujourd’hui, blessée,meurtrie, est le sacrement du salut. Le sacrifice du Christ a définitivement ré-ouvert les portes du Ciel pour chacun d’entre nous, quelle que soit notre situation. La miséricorde de Dieu nous sauve, c’est une immense espérance. La miséricorde est la limite infranchissable que Dieu a mise au mal, et l’Église en est la réalité sacramentelle ici-bas !

En tant que modérateur de la communauté de l’Emmanuel, comment, selon vous, doit-elle se situer sur ces questions très sensibles ?

Depuis que j’ai pris en charge ma mission, il est fréquent que l’on me demande à propos de sujets majeurs: « Qu’en pense la Communauté de l’Emmanuel ? » J’aime alors à répondre que la Communauté est dans et au service de l’Église. Il n’y a pas un “magistère” de l’Emmanuel. Notre boussole, c’est l’Église, guidée par le successeur de Pierre. Nous sommes à l’écoute de ce que l’Église nous enseigne. Il me semble que dans le charisme de notre Communauté, il y a ce désir ardent d’incarner avec confiance au cœur du monde ce que l’Église nous enseigne. Je précise tout de suite que cela n’enlève en rien notre profonde liberté d’être ce que nous sommes et de déployer avec audace les initiatives que l’Esprit Saint nous inspire ! L’Église elle-même nous y encourage.Ainsi, au quotidien, nous désirons rester fidèles à suivre l’enseignement du Christ, à annoncer la Bonne Nouvelle, à se faire les ouvriers de la miséricorde. Je voudrais dire aussi combien je suis frappé de voir la grâce de communion que nous vivons avec les autres communautés, qu’elles soient du Renouveau ou non. Tous, nous avançons en frères et sœurs, chacun selon les dons qu’il a reçus. Tous, nous portons les appels du Pape à aimer notre monde tel qu’il est et à aimer les hommes ! C’est une vraie joie de vivre tout cela ensemble.

Dans ces grandes difficultés que traverse l’église, comment espérer encore ?

Je crois que non seulement l’espérance est possible mais que, paradoxalement, comme dans ces maladies où les pires symptômes apparaissent lorsque l’épidémie se termine, le “pic” est derrière nous.
Nous allons être surpris par les “résurrections” dont nous allons être témoins. L’Écriture nous enseigne que « quand le péché abonde, la grâce surabonde ! » (Romains 5, 20). Est-ce que nous le croyons ? Dans mes différentes missions et voyages, je suis très souvent émerveillé par la créativité de l’Esprit Saint pour renouveler l’Église, susciter des initiatives missionnaires et donner au monde les jeunes prophètes dont il a besoin pour bâtir la « civilisation de l’amour ». Le réalisme qui nous fait affronter en vérité la situation actuelle nous fait percevoir en même temps avec certitude et humilité que le Seigneur est au milieu de nous et nous sauve.
Marie est avec l’Église dont elle est mère, comme elle était avec Jésus ici-bas. Elle intercède pour nous et nous encourage à rester auprès de son Fils, au cœur de l’Église, au milieu des hommes, confiant dans le successeur de Pierre et ses pasteurs. Ne nous laissons pas voler notre foi, notre joie et notre espérance ! Rendons grâce à Dieu et avançons, car « Voici venir des jours – oracle de Yahvé – où se suivront de près laboureur et moissonneur… » (Amos 9,13). Nous y sommes !

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Article publié dans la revue Il est vivant ! n° 342.


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