La prudence, garder le cap par tous les temps – Mgr Bruno Valentin

La prudence, est-ce bannir tout risque ? Mgr Bruno Valentin nous en fait un portrait bien plus aventureux qu’on ne pourrait le croire. Extrait de sa contribution au livre Et maintenant ? 7 vertus pour traverser la crise, des Éditions de l’Emmanuel.

D’autres extraits du livre : ➨ La justice, un chemin vers la paix
➨ L’espérance, un pied de Dieu dans la porte – Martin Steffens 
➨ La foi, ce qui nous lie – Laetitia Calmeyn nous parle de la vérité de Dieu 
➨ La charité, pour que circule l’amour – Thierry des Lauriers

Extrait – Viser haut pour être prudent

Sans ce désir impérieux de viser le plus grand Bien, il n’y a pas de prudence possible. Choisir les bons moyens pour faire le mal, c’est être habile, ça n’est pas être prudent ; choisir les bons moyens seulement dans une logique de précaution, ça n’est pas non plus être prudent, c’est être « demi-habile » pour reprendre la formule du philosophe Pascal. La prudence chrétienne voit loin, elle vise haut, et par nature elle consent à l’inconnu et au risque : c’est la vertu de tous les combats, la capacité à lier connaissance et action. Elle n’est pas une vertu bureaucratique : elle est à l’opposé du « paradigme technocratique » que dénonce souvent le pape François, et que l’on a vu à l’œuvre dans certains aspects de la gestion d’abord hypercentralisée du confinement par l’État, à propos de laquelle le philosophe Marcel Gauchet a parlé de « jacobinisme impotent1 ». Les velléités ultérieures de jouer la carte d’une plus grande subsidiarité, en confiant de plus larges marges de manœuvre aux autorités locales, n’ont duré qu’un temps. Surtout, elles n’ont pas fondamentalement inversé la tendance, chacun étant alors tenté d’ouvrir le parapluie pour se couvrir plutôt que d’assumer le risque inhérent à sa part de responsabilité. De haut en bas de l’échelle des pouvoirs, le paradigme technocratique opère un dessèchement, une sclérose de la prudence. Le blocage de ce qui est nouveau devient préférable à la préparation de l’avenir.

1. Interview dans Le Monde, 6 juin 2020.

Le principal obstacle à la prudence authentique, c’est certainement aujourd’hui notre difficulté collective à voir loin, bien plus qu’à mobiliser les moyens nécessaires pour y aller. Une illustration très éloquente nous est fournie par les laborieuses tentatives des pouvoirs publics de distinguer, dans la définition des règles successives de confinement, les activités dites « non essentielles » à suspendre des activités « essentielles » à maintenir. Cette distinction n’a d’abord pas soulevé beaucoup d’objections lors du premier confinement, sans doute par effet de stupeur de l’opinion publique saisie par l’irruption de la crise, mais aussi du fait de l’ampleur des fermetures et suspensions d’activité. Il en a été tout autrement lors du confinement d’automne, dès lors que le gouvernement a tenté d’élargir le champ des activités possibles, pour d’évidentes nécessités économiques. Est apparue au grand jour l’incapacité dans laquelle nous sommes de définir collectivement un essentiel : en quoi le chocolatier de mon quartier est-il plus « essentiel » que son voisin le libraire ? La quête un peu désespérée d’équité et de cohérence administratives aura poussé les gendarmes jusque dans les rayons des supermarchés, pour vérifier que les tubes de rouge à lèvres, non essentiels, avaient bien été retirés à côté de ceux de dentifrice, essentiels bien sûr ! Chacun d’entre nous garde encore en mémoire la liste des mesures du même ordre, d’une poésie surréaliste que l’on croirait inspirée d’André Breton ou de Salvador Dali : les sapins de Noël autorisés à la vente mais sans les décorations, comme les tringles à rideaux mais sans les rideaux !

Le tout n’est pas de rire – ou de pleurer – de ce tropisme kafkaïen de l’administration française : il faut essayer de comprendre comment se met en place une telle logique de décision. C’est relativement simple : cela se produit lorsque l’on choisit un moyen en guise de fin. Le but recherché par les décisions de fermeture était en effet la baisse des interactions sociales, en tant qu’outil principal de maîtrise de la contagion. Quelques membres du cercle très restreint des décideurs que j’ai pu interroger sur leur méthode de travail me l’ont confirmé : ce moyen est devenu une fin en soi. Chaque activité – aller à l’école comme se rendre chez le libraire, jouer au foot ou aller à la messe – a donc été appréciée à l’aune de ce critère, ajouté bien sûr à celui de son poids économique, de manière à composer un panier d’ouvertures et de fermetures variable selon les pressions de tel ou tel groupe d’intérêt, mais stable en matière d’interactions sociales. […]

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