L’espérance, un pied de Dieu dans la porte – Martin Steffens

Pour reprendre courage au sein de la crise que nous traversons, les Éditions de l’Emmanuel proposent Et maintenant ? 7 vertus pour traverser la crise, un livre ou 7 auteurs différents relisent la crise au travers des 7 vertus. Aujourd’hui, découvrez 2 extraits sur l’espérance, écrits par Martin Steffens.

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Extrait 1 : LE PROPRE DES VERTUS THÉOLOGALES

PHOTO STEFFENS 3 Il y a ceci de particulier, avec les vertus théologales (foi, espérance, charité), que, contrairement aux cardinales (courage, prudence, justice, tempérance), elles sont des dons à recevoir. Ce ne sont pas d’abord les nôtres. Notre mérite est seulement de les faire passer dans notre vie. Si elles étaient nos vertus, elles seraient seulement écrasantes. Elles nous voueraient à l’impossible. Mais au contraire, elles nous ouvrent à l’impossible, à cet impossible pour l’homme qui ne l’est pas pour Dieu1. Ainsi, quand Jésus déploie sous nos yeux la vertu parfaite d’amour (« On te frappe sur une joue ? tends l’autre joue ; on te demande de faire mille lieues ? fais-en deux milles ; on te prend ton vêtement ? donne aussi ta tunique… »), il ne dit pas d’abord ce qu’on doit faire. Il dit au contraire à ses disciples ce qu’il fera pour eux. Et eux nous transmettent ce que Jésus a fait pour nous. La vertu théologale est le fait de Dieu, au sens où cela vient de lui, qu’elle est ce à quoi on le reconnaît – mais au sens aussi où c’est un fait, quelque chose que Dieu a fait, et non un idéal auquel il nous oblige. Les vertus théologales ne relèvent pas du devoir-être, mais de l’être. Pas de la morale, mais de la pratique religieuse. Elles sont ce que Dieu est. Au mieux peut-on écrire, une fois qu’on en a lu les merveilles, une « imitation de Jésus-Christ ». La morale, toutefois, s’arrête là : imiter Dieu et pour cela, d’abord, accueillir qui il est. Et il est celui qui aime, qui croit, qui espère. Il est celui qui habite nos peurs et nos blessures.

Les vertus théologales sont des événements divins, non des obligations morales ou des préceptes tirés de notre raison. On peut, par nos seules forces humaines et selon un ordre logique appropriable par tous les êtres rationnels, se montrer courageux, prudent, tempérant et juste. Toute vertu seulement humaine. Quant à l’amour véritable, quant à la vertu d’agapè, c’est ce que Dieu est – la Croix le montre. Quant à la foi, Dieu nous témoigne de la confiance qu’il met en l’homme – l’élection des apôtres par Jésus, comme celle d’un peuple par le Dieu « d’Abraham, d’Isaac et de Jacob », nous le démontre. Enfin, quant à la vertu d’espérance, Dieu, en créant le monde et en l’aimant jusqu’au bout, s’est depuis toujours révélé comme espoir qui se livre contre tout espoir.

Charité, foi, espérance : trois vertus théologales, trois gestes ou logoï de Dieu. Trois vertus théophaniques, pourrions-nous dire.

La désespérance, aujourd’hui comme rarement, comme jamais peut-être, nous guette. Or, si l’on y réfléchit, désespérer, qu’est-ce donc, sinon méconnaître Dieu ? C’est avoir oublié qu’il est espérance. C’est, sous le poids des choses quotidiennes, oublier le risque de Dieu, et que nous tenons de ce risque, que nous procédons de lui. C’est ignorer que Dieu, le premier, a fait preuve de l’audace qui, dans notre fatigue, vient à nous manquer. Qu’est-ce qu’espérer, sinon sentir comme cette audace porte le monde ? Espérer, c’est entendre l’audace créatrice frétiller dans les ailes du papillon qui paraît au grand jour, c’est reconnaître sa trace dans l’impulsion qui a porté le nouveau-né à la lumière comme dans celle qui, plus tard, nous a mis debout et a accompagné nos premiers pas. Espérer, c’est se rappeler qu’un jour, nous avons renoncé à nos appuis confortables et nous sommes mis à marcher. C’est savoir que ce jour est encore proche, qu’il nous enveloppe même, puisque, depuis, nous nous levons et marchons. Espérer, c’est habiter la victoire de l’être sur le néant dont nous sommes la preuve vivante. C’est s’imaginer l’audace qui accompagne la course folle du spermatozoïde vers l’ovule où nous établissions notre première demeure.

Extrait 2 : VIOLENCE DE L’ESPÉRANCE : LE DIEU CAMBRIOLEUR

EE Et maintenantEn cela, la Mère du Christ (aussi appelée « mère de tous les peuples ») est aussi notre Mère en espérance. Par son « oui » à l’ange, elle redouble le fiat créateur. Elle dit « oui » à la venue du Christ en un monde qui lui est devenu contraire – en ce monde où, comme aujourd’hui, tout se fait recensement (traçage), peur, contrôle. Elle aurait pu, avec ce mariage enfin contracté, se replier sur sa sphère privée et y vivre heureuse. Mais l’espérance, ce n’est pas seulement laisser Dieu agir dans notre vie. La formule est encore trop tiède. C’est l’y laisser surgir. C’est dire fiat, que cela soit, à sa folie. À quoi reconnaîtra-t‑on la venue de Dieu en notre vie ? Dieu est un voleur, prévient Jésus (cf. Mt 24, 42-50 ; mais aussi 1 Th 5, 2-3 ; Ap 3, 3). L’espérance, c’est n’avoir pas pris d’assurance contre ce genre de cambriolage.

Dieu est du peuple travailleur : il tient bon. Mais il est aussi un coquin – un cambrioleur. Il ne veut pas que nous mesurions notre propre vie à l’aune seulement de nos réussites.

L’espérance, c’est un pied dans une porte. C’est le pied de Dieu dans la porte de notre vie. On voudrait les avoir toutes fermées. On voudrait s’être fait un monde à soi, sans autre horizon que des projets à réaliser. Ces projets sont comme des murs avec des miroirs accrochés : on y mire la puissance qu’on a sur sa vie. On est content de se rencontrer dans ces miroirs. Un projet est une projection de soi dans le futur. Quand ça marche, on rencontre l’image qu’on avait projetée. Le « moi » qui fait des projets rencontre le « moi » espéré et aujourd’hui réalisé. Le « moi » admire le « moi ». Je suis devenu ce que j’avais prévu de devenir. Une vie réussie, de ce point de vue, c’est donc une vie sans rencontre – sans projectile. Une vie qui ne rencontre jamais que les projections de soi-même dans un temps écrit d’avance.

Mais ceci n’est que l’espoir – et l’espoir n’est jamais que le monde tel que je voudrais qu’il soit. L’espérance, au contraire, est un pied dans la porte. Le pied qui s’y glisse quand on allait la fermer afin d’être seul avec ses projets, avec les projections de soi. Elle est aussi, imprévue, le pied qui, d’un coup bien envoyé, fait sauter tous les verrous. L’espérance, c’est l’interdiction d’être seul avec soi-même. Et Dieu est un briseur d’idoles, qui fait voler en éclats ces reflets de nous-mêmes.

L’espérance n’est pas seulement l’audace de Dieu d’avoir créé le monde et d’y tenir bon. Si Dieu tient bon, c’est qu’il tient à ce monde. Il l’aime. Il ne le laissera pas s’abîmer en lui-même, se perdre dans les reflets que les miroirs, toujours plus nombreux, se renvoient indéfiniment. Dieu veut que ce monde lui revienne. Il en empêche toute clôture.

L’espérance, chez l’homme, c’est accueillir cette insistance de Dieu, sa résistance à nos petits projets.

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