La mort en face

François Buet, prêtre de l’institut Notre-Dame de Vie et médecin en soins palliatifs à la clinique Sainte-Élisabeth (Marseille), est confronté chaque jour à la mort.

Comment définir la mort ?

En tant que médecin, lorsque je remplis un acte de décès, j’indique une défaillance poly-viscérale, sur le plan somatique.

Du point de vue de la foi, on dit souvent des saints que le jour de leur mort est un dies natalis, le jour d’une nouvelle naissance. C’est en tout cas dans cette perspective d’espérance que nous essayons de le vivre pour chaque personne à la clinique Sainte-Élisabeth (Marseille) où je travaille en tant qu’aumônier et médecin en soins palliatifs. Nous faisons en sorte que ces personnes soient préparées le mieux possible à la grande rencontre avec Dieu.

Ciel, enfer, purgatoire, qu’est-ce que ça signifie ?
« Nous devons tenir que, d’une manière que Dieu connaît par l’Esprit Saint, tout homme est associé au mystère pascal », nous dit Vatican II (Gaudium et Spes, n° 22), j’ajouterais, qu’on en ait conscience ou pas. Dans l’accompagnement des personnes en fin de vie que nous vivons au quotidien, notre objectif est de faire un petit pas avec chacun en direction de l’Amour, de la vérité et de la vie ; et que chaque personne puisse laisser derrière elle tout choix de mort, de haine ou de mensonge, quelles que soient ses convictions. En faisant un petit pas, la personne se tourne un peu plus vers le Christ qui dit lui-même : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14, 6). Certaines le font consciemment en allant jusqu’à renouer avec la foi de leur enfance, ou même en découvrant la foi. Pour d’autres, le pas est fait mais plus confusément. Il n’en est pas moins réel.

Que savons-nous sur ce qui se passe au moment de la mort ?

C’est difficile de répondre à cette question car il n’y a qu’une personne qui soit revenue de ce grand mystère de la mort, c’est Jésus lui-même !
Cela dit, ayant accompagné des centaines de personnes à cet instant-là, je peux témoigner du fait que l’on sent qu’il se produit un face à face entre la personne et son Seigneur. C’est toujours touchant et impressionnant. La personne est face à son Dieu qui est amour, vérité et vie et donc en même temps, face à la Miséricorde. Cela reste un grand mystère. On peut parfois ressentir à ce moment-là que se joue un grand combat spirituel. Même chez des personnes très croyantes. Mais j’ai l’espérance que face à la Miséricorde divine, toute personne ne peut que se précipiter dans ses bras d’amour.

La mort est-elle un passage ?

Le père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, grand spirituel et fondateur de l’institut Notre-Dame de Vie, dit que, dans la mort, nous passons de l’obscurité de la foi à la pleine lumière. C’est comme si, pour prendre une image de la vie courante, on passait du “bouton off” au “bouton on”. Sur terre, nous vivons des actes de foi mais toujours dans une certaine obscurité. Par ce passage de la mort terrestre à la vie éternelle, nous sommes plongés dans la vision béatifique. Cela ne signifie pas pour autant que l’expérience de la mort est facile à vivre. Elle est même douloureuse depuis le mystère du péché originel.

Sans le péché originel, serions-nous morts ?

La mort n’est pas naturelle. Nous n’étions pas faits pour vivre cette séparation de l’âme et du corps. Saint Paul écrit : « Nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort » (Rm 5, 12).

La croix est comme un toucher de l’Amour éternel sur les blessures de l’homme.Saint Jean-Paul II

Depuis le péché originel, la mort est une expérience douloureuse non seulement du fait de la séparation d’avec nos proches mais aussi de cette séparation de l’âme et du corps qui est contre-nature. Sans le péché originel, nous aurions sans doute vécu une forme d’assomption, comme la Vierge Marie : c’est-à-dire une montée vers la vie éternelle , mais sans cette séparation de l’âme et du corps.

L’âme et le corps séparés dans l’attente du jugement dernier

On peut dire que si nous sommes dans la vision béatifique, à contempler le bonheur parfait, nous serons en même temps dans l’attente de retrouver notre corps glorieux. Mais heureusement, dans l’éternité de Dieu, mille ans sont comme un jour ! Nous serons donc dans un éternel présent. Cela dépasse nos catégories mentales.

Que dit Jésus sur ce moment de la mort ?

Jésus n’a pas théorisé la souffrance et la mort mais il les a vécues. C’est ce qu’écrit Urs von Balthasar dans La dramatique divine. Dans sa passion et sur la croix, Jésus a vécu une souffrance totale. De ce fait, toute souffrance humaine, quelle qu’elle soit, est rejointe par la souffrance humano-divine de Jésus sur la croix. Dire cela, ce n’est pas du dolorisme. Au contraire. Jean Paul II écrit quant à lui : « La croix est le moyen le plus profond pour la divinité de se pencher sur l’homme et sur ce que l’homme – surtout dans les moments difficiles et douloureux – appelle son malheureux destin. La croix est comme un toucher de l’Amour éternel sur les blessures les plus douloureuses de l’existence terrestre de l’homme » (Dives in Miséricordia, 8).

Mais nous savons que tout ne s’arrête pas à la mort de Jésus sur la croix. Jésus ressuscite trois jours après. Mourir avec le Christ, c’est donc aussi ressusciter avec lui. Telle est notre espérance. Jésus est le premier des vivants et nous croyons qu’un jour, à la suite du Christ, nous ressusciterons nous aussi.

La mort abjecte du Christ lui-même

Au-delà du caractère abject de sa mort, il est surtout important de reconnaître que Jésus choisit encore à ce moment-là résolument l’amour, la vérité, la vie : il pardonne à ses bourreaux. Et dans son ultime combat, il est dans l’espérance. Jusque dans son dernier souffle : « Père, entre tes mains je remets mon esprit. » (Lc 23, 46).

Une mort paisible, le signe de la sainteté d’une personne ?

Si l’on prend l’exemple de Thérèse de Lisieux, on peut dire, à vue humaine, qu’elle a vécu une agonie et une mort très difficiles. C’est pourtant une très grande sainte ! Si elle a vécu un tel combat, c’est parce qu’elle a accepté, par vocation particulière, de porter le péché de son temps : l’athéisme ambiant. En même temps, dans ses tout derniers instants, elle a vécu une extase d’amour.

Il est toujours étonnant de constater que des gens très croyants vivent parfois un combat spirituel très douloureux avant ce grand passage. Peut-être, dans le mystère de l’Église, portent-ils des âmes ou des personnes de leur famille, ou même parfois leur péché personnel ? Ils peuvent même porter parfois tout un peuple (comme Édith Stein). Le Christ, quant à lui, a porté le péché du monde.

Aussi, je ne me permettrais jamais de porter un jugement sur la façon dont une personne est décédée. On ne sait pas ce qu’elle vit.

Témoignage

J’ai le souvenir d’une jeune fille de 19 ans, qui mourait d’une leucémie. Elle avait vécu dans sa maladie tout un chemin et avait pu recevoir le sacrement de réconciliation. Elle me disait : « Je ne pensais pas que le Seigneur aurait pu avoir vis-à-vis de moi autant de délicatesse. »

Quels sacrements pour ce moment clé de la vie ?

Dans sa grande sagesse, l’Église nous offre deux très beaux sacrements pour aborder cet instant : le sacrement des malades et l’eucharistie, que l’on appelle alors viatique. La personne reçoit en effet le Corps du Christ ressuscité et peut ainsi faire ce passage avec lui.

Mais nos contemporains ne sont pas toujours prêts à recevoir ces sacrements. C’est pourquoi il est important de pouvoir leur proposer comme des marches intermédiaires, qui peuvent prendre la forme d’une prière de consolation, voire de délivrance (cf. Il est vivant ! n° 344). Cela peut préparer leur cœur à recevoir le sacrement de la réconciliation et un jour, le sacrement des malades et l’eucharistie. Pour que ces sacrements puissent porter tout leur fruit, il est important de bien préparer les personnes.

Le fruit du sacrement des malades

J’ai constaté qu’il apporte une grande paix non seulement à la personne elle-même mais aussi à  son entourage.

Être là avec la personne dans ses derniers instants ?

L’accompagnement et la présence des proches sont très importants pour le malade, au moment du grand passage. Il le ressent et cela peut beaucoup l’aider. Il arrive aussi que certaines personnes préfèrent partir seules. Aussi, que la famille ne se culpabilise pas de ne pas avoir été là à cet instant-là.

Une parole éclairant le moment de la mort ?

La parole de Jésus : « Je suis le chemin, la vérité, la vie. » (Jn 14, 6). C’est une parole lumineuse à plus d’un titre, et pas seulement pour la fin de vie. Et aussi : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père , il y a de nombreuses demeures » (Jean 14, 1-2). Dans cette parole, on sent de la part de Jésus un amour large. C’est très consolant.

Le jugement particulier1 à notre mort : de quoi s’agit-il ?

Le cardinal Schönborn, à la suite de sœur Faustine dit : « C’est le tribunal de la Miséricorde. » Ou encore saint Jean de la Croix : « Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour » ; « et par l’Amour lui-même », comme l’ajoutait frère Luc de Tibhirine2. C’était sa phrase de profession. Que cela nous mette en paix en pensant à cette rencontre qui sera comme une grande accolade de la part du Seigneur.

2. Le père François Buet est également l’auteur de Prier 15 jours avec frère Luc, moine et médecin à Tibhirine (éditions Nouvelle Cité).

 

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Article extrait du magazine Il est vivant ! n°345.

 


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