Avec le déconfinement, retrouver le sens du corps

Durant plusieurs semaines l’immense majorité des fidèles catholiques a été privée de la participation à l’eucharistie. Pour faire face à cette situation, de nombreuses paroisses et sanctuaires ont choisi de retransmettre la messe, ou d’autres temps de prière, grâce à Internet. Au moment où le rassemblement des fidèles pour célébrer la messe est de nouveau possible, revenons sur cette expérience. Voici quelques réflexions du père Philippe de Forges.

Durant ces semaines, beaucoup ont participé à la messe grâce à Internet et ont reçu de belles grâces. Nous avons tous expérimenté que nous vivions quelque chose de différent en suivant la messe sur écran plutôt qu’en étant dans l’église. Précisons cette différence. Internet permet de diffuser des images de la messe mais ne rend pas possible une participation pleine et entière à celle-ci. L’exhortation apostolique de Benoît XVI Sacramentum caritatis de 2007 indiquait déjà : « Pour ce qui concerne la valeur de la participation à la Messe, rendue possible par les moyens de communication, celui qui assiste à ces retransmissions doit savoir que, dans des conditions normales, il ne satisfait pas au précepte dominical. » (SC 57) A cet égard, notons par exemple que des évêques ont dispensé les fidèles de leur obligation dominicale lorsque la célébration de la messe en public a été interdite. Il s’agissait donc, au moins implicitement, de ne pas considérer que « suivre la messe à la télé » devait impérativement remplacer le rassemblement dominical à l’église. On peut en trouver la raison dans le même passage de Sacramentum caritatis : « En effet, le langage de l’image représente la réalité, mais il ne la reproduit pas en elle-même. » (SC 57) A mes yeux, c’est sur ce point que nous avons encore un effort à réaliser. La grande qualité des vidéos actuelles est évidemment une très bonne chose ; elle induit toutefois le risque de prendre la reproduction de la réalité pour la réalité elle-même. Dit simplement, l’autel n’était pas réellement dans mon salon, pas davantage que le prêtre ou, plus encore, que le corps eucharistique de Jésus ! L’approfondissement futur de cette affirmation passera notamment par la réflexion sur le statut de l’image en théologie. Mais nous pouvons déjà brièvement rappeler qu’en théologie, l’image n’est pas la réalité mais qu’elle peut nous y conduire. Dans notre cas, la messe n’est pas célébrée dans notre maison, mais sa diffusion peut permettre de nous rendre spirituellement présents à ce qui est réellement célébré dans l’église à ce moment-là. Je voudrais faire à ce stade trois remarques. Premièrement, même si la télédiffusion facilite énormément notre participation spirituelle à la célébration de la messe, celle-ci est aussi possible sans internet du seul fait qu’un fidèle a connaissance du lieu et de l’heure de la célébration. Ensuite, lorsqu’on regarde la messe sur internet, il est préférable d’y participer en direct et non pas en replay. Il s’agit en effet d’être conduit à s’unir au sacrifice célébré à ce moment-là et dans cette église-là. Enfin, la diffusion radio-télévisée de la messe sollicite 2 sens, l’ouïe et de la vue, mais qu’elle laisse de côté les autres : le toucher, le goût, l’odorat. L’odeur du cierge ou de l’encens restent inaccessibles, tout autant que les aspérités du bois de la croix ou la saveur du pain eucharistique.  

            On pourrait tirer beaucoup d’autres réflexions quant à la participation à l’eucharistie après ce confinement. Une me semble particulièrement importante. Elle concerne la dimension corporelle de notre identité chrétienne. Durant ces semaines, les réactions des pasteurs ont été diverses. Certains ont choisi de retransmettre le plus grand nombre possible de temps de prière (laudes, vêpres, complies, chapelet, messe, etc.). A l’opposé, certains ont volontairement choisi de ne rien diffuser. Entre les deux, se trouve évidemment une multitude de variantes. Parmi celles-ci, mon attention a été attirée par un choix original consistant à diffuser la messe en direct, mais sans laisser l’enregistrement disponible après la célébration. Cette décision semble motivée par le souci pastoral d’inviter les fidèles à participer à la célébration de l’eucharistie et non à assister à la messe ou, pire encore, à regarder la messe comme si elle était un spectacle. Dans ce registre, le Pape François – dont la messe quotidienne était diffusée et enregistrée – a, selon moi, ouvert une intéressante réflexion lors de son homélie improvisée du 17 avril. Il y évoquait avec humilité un message reçu d’un évêque italien, une sorte de reproche qu’il interprétait comme un appel à ne pas « viraliser » l’Église en télédiffusant les célébrations liturgiques. Choisissant un terme d’autant plus fort que la situation est provoquée par la diffusion d’un virus, le Pape rappelait aux fidèles que l’Eglise ne doit pas être réduite à une organisation qui diffuse un message mais qu’elle est le Corps du Christ. Dans cette homélie, il souligne en effet le danger d’une vision « gnostique » de l’Église, soit de la réduction de l’Église à un organisme chargé de la transmission d’une connaissance sur Dieu, ce qui conduirait inévitablement au développement d’une spiritualité chrétienne individuelle. Juste mise en garde ! Mais nous pouvons noter ce confinement est intervenu au moment de Pâques. Cela ne nous-a-t-il pas permis d’éviter cette fausse conception de l’Église et de penser qu’on devient chrétien par une simple adhésion personnelle à un message ? En effet, lors de la Vigile Pascale, une multitude de catéchumènes n’a pas pu être baptisée, et ceux-ci ne sont donc pas encore chrétiens. St Augustin avait découvert en son temps que celui qui est convaincu de la vérité du christianisme n’est pas encore un chrétien. A cette étonnante question posée par Marius Victorinus, et rapportée à Augustin : « Sont-ce donc les murs qui font les chrétiens ? », il convient de répondre que c’est bien le cas ! (cf. Les Confessions, VIII, II, 4) Oui, la naissance à la condition de fils de Dieu requiert de recevoir l’eau baptismale sur son corps et pas seulement de croire en Jésus (cf. Mc 16, 16). Et qu’en est-il de la vie de fils de Dieu après le baptême ? Elle ne peut pas davantage consister en un simple face à face avec Dieu ! Là encore, durant ce confinement, la privation de la communion eucharistique a fait apparaître en pleine lumière que la vie chrétienne suppose une rencontre charnelle avec le Seigneur dans son Corps qu’est l’Église. Et nous devrions avoir compris que cette nécessité ne se réduit pas à l’acte de la communion eucharistique – communion qui, du reste, a parfois pu être possible en dehors de la messe – mais que l’enjeu est la communion au même pain de fidèles réunis en un même lieu et au même moment. Répétons-nous encore : la vie de foi du chrétien ne consiste jamais uniquement en une adhésion profonde à la Parole proclamée dans la liturgie ou, moins encore, à expérimenter une émotion intense et vraie lors d’une belle célébration. Elle consiste à être sanctifié par Dieu en devenant membre de son Corps ; elle consiste à sanctifier Dieu dans son corps et son âme, en priant et en agissant comme un membre de ce Corps et en participant à sa croissance par l’évangélisation. Après cette épreuve du confinement et de la privation des sacrements, nous redécouvrons la participation pleine et entière à ceux-ci. Pour certains, c’est une grande joie, et pour d’autres cela demande un nouvel effort. Dans tous les cas, puissions-nous tous découvrir ou redécouvrir que notre vocation se joue par ce Corps du Christ qu’est l’Église, avec ce Corps et dans ce Corps, et que la liturgie est bien, comme son étymologie l’indique, l’œuvre du peuple et pour le peuple. Si cette découverte a été faite par de nombreux fidèles durant ce moment particulier que nous traversons, alors nous pourrons dire avec st Paul que « Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment. » (Rm 8, 28)

Père Philippe de Forges+

Homélie du Pape à Ste Marthe du 17 avril 2020 (extraits ci-dessous).

Vignette discours pape abus« Cette familiarité des chrétiens avec le Seigneur est toujours communautaire. Oui, elle est intime, elle est personnelle, mais en communauté. Une familiarité sans communauté, une familiarité sans le Pain, une familiarité sans l’Église, sans le peuple, sans les sacrements est dangereuse. Elle peut devenir une familiarité – disons – gnostique, une familiarité seulement pour moi, détachée du peuple de Dieu. La familiarité des apôtres avec le Seigneur était toujours communautaire, elle était toujours à table, signe de la communauté. Elle était toujours avec le Sacrement, avec le Pain. 

(…) Je dis cela, car quelqu’un m’a fait réfléchir sur le danger que nous vivons en ce moment, cette pandémie qui a eu pour effet que nous communiquons et communions tous, même religieusement, à travers les médias, à travers les moyens de communication ; même pendant cette Messe, nous communions tous, mais pas ensemble, spirituellement ensemble. Le peuple est petit. Il y a un grand peuple: nous sommes ensemble, mais pas ensemble. Le Sacrement aussi: aujourd’hui vous avez l’Eucharistie, mais les gens qui sont en liaison avec nous ont seulement la communion spirituelle. Et cela n’est pas l’Église: c’est l’Église dans une situation difficile, que le Seigneur permet, mais l’idéal de l’Église est toujours avec le peuple et avec les sacrements. Toujours.

(…) [L’évêque qui lui a écrit] me disait: “Faites attention à ne pas viraliser l’Église, à ne pas viraliser les sacrements, à ne pas viraliser le peuple de Dieu. L’Église, les sacrements, le peuple de Dieu sont concrets. Il est vrai qu’en ce moment nous devons avoir cette familiarité avec le Seigneur de cette manière, mais pour sortir du tunnel, pas pour y rester. Et il s’agit de la familiarité des apôtres: elle n’est pas gnostique, elle n’est pas viralisée, elle n’est pas égoïste pour chacun d’entre eux, mais c’est une familiarité concrète, dans le peuple. La familiarité avec le Seigneur dans la vie quotidienne, la familiarité avec le Seigneur dans les sacrements, au milieu du peuple de Dieu. Ces derniers ont accompli un chemin de maturité dans la familiarité avec le Seigneur: apprenons nous aussi à le faire. Dès le premier moment, ils ont compris que cette familiarité était différente de celle qu’ils imaginaient, et ils sont arrivés à cela. Ils savaient que c’était le Seigneur, ils partageaient tout: la communauté, les sacrements, le Seigneur, la paix, la fête. Que le Seigneur nous enseigne cette intimité avec Lui, cette familiarité avec Lui, mais dans l’Église, avec les sacrements, avec le saint peuple fidèle de Dieu.


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