Table ronde – Face à la crise, quel nouvel art de vivre dans l’Église ?

Crise sanitaire, crise économique et sociale, crise de l’Église : dans un tel contexte, il n’est pas facile de garder l’espérance ! Pour les chrétiens, clercs et laïcs, cette situation n’est-elle pas pourtant une invitation à vivre autrement ?

Propos recueillis par LAURENCE DE LOUVENCOURT (Il est Vivant ! n°349)

LES INVITÉS

Vignette Porteret GomartOdile et Vincent Porteret sont responsables du comité paroisses au sein de la Communauté de l’Emmanuel.

Jacques Gomart, prêtre, est le délégué du responsable des prêtres de l’Emmanuel en France et membre de ce même comité.

La pandémie de COVID-19 a bousculé nos habitudes. Que retenir de cette expérience pour vivre mieux en Église ?

Jacques Gomart Dès le mois de mars, le cardinal Vingt-Trois a souligné que cette expérience révèle avant tout notre vulnérabilité. Or, une réponse chrétienne à cette vulnérabilité, c’est la compassion. Elle était peut-être moins visible sur les écrans que les initiatives liturgiques ou missionnaires, mais nous avons tous constaté un bel élan de solidarité dans les paroisses, dans notre communauté et même bien au-delà de l’Église. Le confinement a également mis en lumière une grande disparité dans les modes de vie. Face aux fractures que cela révèle dans notre société, la réponse que nous pouvons apporter, c’est l’expérience de communion entre personnes vivant des situations très différentes.

Vincent Porteret Cette crise nous lance un défi : comment nos communautés vont-elles pouvoir “refaire corps” ? La pandémie interroge aussi certaines de nos habitudes : faut-il s’adapter ou se transformer ? Quels sont nos “critères” de fécondité ? Ce que nous vivons renvoie finalement à l’étymologie du mot paroisse “campement provisoire”. Alors, comment ferons-nous de cette expérience, qui nous a tous désinstallés, le tremplin vers une transformation pastorale et missionnaire ?

Cette crise sanitaire, les chrétiens l’ont vécue sur fond de crise de l’Église. Quel nouvel art de vivre imaginer au sein de la communauté chrétienne en réponse à cette crise ?

VP La fraternité peut être un premier axe fort, notamment au sein de nos communautés paroissiales. Cette fraternité que nous sommes appelés à vivre en tant que baptisés, dans nos différents états de vie, est un moyen de veiller les uns sur les autres et de se considérer les uns les autres de façon plus ajustée. Par exemple, reconnaître le charisme d’untel, sans le mettre sur un piédestal et être capable de lui parler librement.

Odile Porteret L’autre axe possible de ce nouvel art de vivre pour les chrétiens est la proximité, d’apprendre à se faire proche des personnes. Plusieurs évêques ont partagé combien la rencontre de victimes d’abus de la part de prêtres les avait transformés. En se rendant proches, ils se sont laissés bousculer en profondeur. Cette crise est aussi, pour l’Église, l’occasion de se laisser appauvrir.

JG L’Église, c’est d’abord une communauté de foi et de charité dans laquelle nous sommes tous frères par le baptême. Les vocations et les missions sont complémentaires, mais leur socle commun, c’est la fraternité. C’est quand on l’oublie que le cléricalisme peut apparaître, de la part de clercs comme de laïcs, qui se mettent alors à vivre leur mission comme un pouvoir et non plus comme un service. La spiritualité de communion constitue un rempart contre cette grave dérive.

Comment mettre en œuvre cette communion entre nous ?

JG Avant de la mettre en œuvre, il faut la recevoir dans la prière, car elle est un don de Dieu, animé par l’Esprit Saint. Jésus s’est révélé comme notre frère, lui, le Fils unique qui nous intègre dans sa relation filiale à son Père. C’est aussi en regardant Jésus vivre et en se mettant à son école que nous apprenons la fraternité.

L’encyclique Laudato Si’ nous donne-t-elle des clés pour cet “art de vivre” dans l’Église ?

OP Ce texte nous fait prendre conscience que tout ce que l’on fait, vit… a une incidence sur les autres. Cela éclaire notre appel de baptisés à vivre la fraternité, notamment entre laïcs et prêtres, sans faire des compartiments ou “jouer des rôles”. Cela se manifeste, par exemple, quand, en échangeant avec un prêtre sur quelque chose qu’il a fait ou dit, je parle d’une façon différente qu’avec un laïc. Finalement, je suis moins dans la vérité. C’est quelque chose dont nous avons à nous corriger pour vivre une fraternité plus authentique. Et si, dans la Communauté de l’Emmanuel, nous avons reçu ce don de la communion des états de vie, il n’est pourtant pas acquis une fois pour toutes. Nous avons à l’accueillir et à y coopérer afin que la fraternité grandisse entre nous. L’humilité de recevoir des autres est l’une des clés de ces relations fraternelles. Elle nous fait grandir dans l’estime des autres.

JG En nous invitant à prendre soin de la « maison commune », un bien commun qui nous dépasse, Laudato Si’ nous interroge également sur la question du centre : où est le centre ? Si dans la paroisse, c’est le prêtre, il y a un problème. De même si c’est un laïc en responsabilité. Si, à l’inverse, c’est le cœur battant de Jésus, un cœur sensible aux petits et aux pauvres, et que toute la vie de la paroisse gravite autour, alors une vraie communauté chrétienne pourra se former. Tant que je mets mes attentes et mes revendications en premier, cela ne peut pas fonctionner. Dans l’Évangile, Jésus dit « Celui qui aime quelqu’un plus que moi ne peut pas être mon disciple » (cf. Mt 10, 37). Lorsque l’amour de Dieu est premier, tout le reste des relations s’ordonne. Laudato Si’ nous invite à nous décentrer et à apprendre à faire de la place à l’autre.

Une telle communion entre prêtres, laïcs et consacrés peut-elle réellement se vivre en paroisse ?

OP Oui c’est possible, souvent après un temps d’apprivoisement mutuel. Cela demande du temps, gratuit, d’entrer dans la logique de l’autre et ainsi, aussi, d’entrer plus avant dans notre propre appel.

VP Je poserais la question dans l’autre sens : est-ce si facile pour nous, Emmanuel, de vivre cette communion ? Et par quoi passe-t-elle concrètement ? Comment rendre opérante cette foi en un appel commun à la sainteté ?

Cette “communion des états de vie” change-t-elle quelque chose pour la mission ?

VP Pendant le confinement, nous avons constaté que là où prêtres et laïcs ont l’habitude de travailler ensemble, la créativité et l’audace de se lancer jaillissaient plus facilement. Cette créativité missionnaire s’enracine dans des relations fraternelles fortes et un souci commun du salut des âmes et dans l’amour des personnes, qui nous pousse à aller vers elles, à nous mettre à l’écoute de leurs besoins, là où elles en sont.

Vieillissement des prêtres, manque de vocations… Dans quel sens faire évoluer nos paroisses face à l’urgence de la situation et aux attentes du monde ?

VP La paroisse est une chance car elle est « plastique », dit le pape François. Comment faire alors pour que nos paroisses soient de plus en plus « en sortie », et « hôpital de campagne » ? Comment être plus attentifs aux besoins du peuple vers lequel nous sommes envoyés ? Comment repenser l’organisation en fonction de la mission (et non l’inverse) ? Une piste possible est de sortir d’un schéma de “tribus gauloises” et de faire en sorte que les paroisses apprennent davantage à avancer ensemble, à apprendre les unes des autres : mise en commun de bonnes pratiques, d’idées, de questions. Se rendre compte qu’on est confrontés aux mêmes difficultés est rassurant. Et on avance toujours mieux ensemble, même si les solutions sont différentes d’un lieu à l’autre. C’est une façon de vivre la synodalité chère au pape François !

JG Il est important de distinguer le signe et le nombre. D’un point de vue numérique, force est de constater que des pans entiers de la vie ecclésiale s’effondrent. Or la vocation de l’Église n’est pas d’abord de faire du nombre, mais d’être signe de la présence et de l’amour de Dieu dans le monde. L’Église est « comme le sacrement du salut », dit le concile Vatican II. Alors, notre présence est-elle signifiante pour les hommes d’aujourd’hui ? Si, peu nombreux, nous sommes bien centrés sur le Cœur de Jésus, nous pouvons ensemble être les témoins d’un autre, le Christ vivant, le Sauveur du monde. Les questions d’organisation se posent dans un deuxième temps. Aujourd’hui, beaucoup de paroisses sont engagées dans la dynamique de conversion pastorale et missionnaire à laquelle nous invite le pape François pour être signes pour tous. Dans cette démarche pastorale, un renversement est à opérer : il s’agit de prendre en compte d’abord tous ceux qui ne sont pas là, qui n’osent pas entrer, ou qui sont partis. Quand on s’intéresse d’abord à ceux qui sont à l’extérieur, on constate, à travers diverses expériences, que tout le monde “bouge”. Le pape François, reprenant la parabole du bon Berger, nous rappelle qu’aujourd’hui, l’enjeu est d’aller rechercher les 99 brebis qui sont à l’extérieur.

Mais à qui revient la mission de rejoindre ces 99 brebis ?

JG C’est la mission fondamentale des fidèles laïcs, qui sont dans le monde (travail, famille, associations, etc.) : c’est ce que nous a rappelé le synode de 1988. Les prêtres sont en fait en seconde ligne. Le problème du cléricalisme, c’est qu’on a imaginé l’inverse : que les laïcs étaient juste là pour « aider monsieur le curé ». Mais la vérité est dans l’autre sens : les laïcs ont pour vocation de porter l’incandescence de l’Évangile au cœur du monde. Les prêtres sont là pour les nourrir des sacrements, de la Parole de Dieu et conduire la vie paroissiale. Le sacerdoce des prêtres est au service du sacerdoce commun des baptisés.

VP Dans les paroisses, laïcs et prêtres doivent réfléchir ensemble à la façon d’accueillir les personnes éloignées : par un groupe de prière, une messe “adaptée” ou une proposition dominicale différente. Il n’y a pas de modèle unique. Benoît XVI disait que nous étions appelés aujourd’hui à être des « minorités créatives » pour l’annonce de l’Évangile et la transformation du monde.

Le mot de la fin ?

JG Soyons certains qu’il n’y aura pas de transformation pastorale des paroisses sans transformation de chacun de nos cœurs. C’est quand un cœur s’ouvre, se laisse toucher, se risque, qu’un changement est possible. Je ne sais pas ce que seront l’Église et le monde dans un ou dix ans, mais je sais que Jésus est vivant, qu’il nous donne son Esprit Saint et que, si on se laisse changer, aussi par les autres, les choses pourront changer en profondeur. ¨

UNE RÉFORME PAR LA FRATERNITÉ

Dans une longue interview accordée à la revue Noosphère1, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la conférence épiscopale, évoque notamment la crise de l’Église et les pistes d’une réforme nécessaire. Extraits.

« Je pense que l’avenir de l’Église est surtout dans la fondation de fraternités dans lesquelles des chrétiens s’engagent pour de vrai dans des liens fraternels… Je parle de fraternité de vie (N.D.L.R. clercs, consacrés et laïcs) dans lesquelles on se soutient vraiment mutuellement, on essaie de cultiver une amitié, non pas au nom d’affinités particulières mais de notre foi en Jésus Christ. Si nous pouvions enrichir toute notre vie sociale et spirituelle d’un tel réseau de fraternités, je pense que beaucoup de difficultés se présenteraient autrement et beaucoup de questions de structures disparaîtraient […] La vraie question est de savoir quelles relations le Christ veut voir exister entre ceux qu’il associe à lui par l’ordination et l’ensemble de ceux qui lui sont associés par le baptême […] Ce qui est premier, me semble-t-il, c’est d’organiser et vivre autrement la relation entre le pouvoir reçu lors de l’ordination – pouvoir sacramentel – et la relation de fraternité créée par le baptême qui est essentielle et première… Tant que ce travail n’aura pas été fait, cela ne servira à rien… Et je pense qu’il y a beaucoup de choses que l’on peut organiser dans la vie de l’Église qui ne nécessitent absolument pas la grâce particulière de l’ordination. Cette réforme serait d’ailleurs utile pour permettre aux prêtres de faire ce pour quoi ils sont faits, c’est-à-dire annoncer l’Évangile et célébrer les sacrements. »

1. Noosphère, Saint-Léger éditions, N° 10, juillet 2020.

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