Nouvelle traduction du missel romain, absence de célébrations publiques pendant le confinement, les défis de la liturgie. Regard de Mgr Guy de Kerimel, président de la commission épiscopale pour la liturgie (France et pays francophones).
Propos recueillis par LAURENCE DE LOUVENCOURT
Pourquoi cette nouvelle traduction des textes de la messe ?
La troisième édition typique du Missel Romain (voir encadré page 32) a été promulguée par le pape Jean Paul II en 2002. En langue française, un travail de traduction a été entrepris pour mettre à jour notre missel français, à partir de l’édition typique latine ; pour cette traduction, Rome demandait une plus grande fidélité au texte latin, à une traduction littérale du texte latin. De nombreux allers-retours avec Rome ont eu lieu.
Le 3 septembre 2017, alors que ce travail était presque terminé, le pape François a publié un Motu Proprio, Magnum Principium, redonnant un peu souplesse dans la traduction, et insistant sur l’importance d’une triple fidélité : au texte latin, à la langue vernaculaire et aussi à la compréhension du peuple de Dieu. Une équipe de la commission francophone pour les traductions liturgiques a donc relu l’ensemble du travail déjà effectué pour améliorer la version française en ce sens, avec de nouveaux allers-retours avec Rome. La traduction qui va entrer en vigueur probablement en 2021, est le fruit de tout ce travail.
En réalité, cette nouvelle traduction ne propose que des ajustements. Quelques formules de la messe vont changer, bien sûr, mais sur le fond, il n’y a pas de révolution.
Quelle était la principale limite de la traduction française en cours depuis 50 ans ?
Cette traduction était globalement bonne. Dans certains cas, le texte français était cependant plus éloigné du latin que le texte italien par exemple. Ainsi au moment de l’offertoire. Dans la nouvelle traduction, Rome a demandé aux francophones d’inclure une formule plus directement traduite du latin (voir encadré), qui insiste davantage sur la dimension du sacrifice. Les prêtres garderont le choix de l’une ou l’autre formule.
Que dire au sujet de la nouvelle traduction du Notre Père, qui, très attendue, a été adoptée sans difficulté ?
L’ancienne traduction, bien comprise, était bonne. Rome ne nous demandait d’ailleurs pas de la changer. L’initiative en revient aux francophones. Les deux formulations « Ne nous soumets pas… » et « Ne nous laisse pas entrer en tentation » avaient fait, on s’en souvient, l’objet de multiples débats après Vatican II. Depuis 50 ans, de nombreux fidèles étaient gênés par l’idée de Dieu que pouvait induire la traduction finalement retenue. On peut dire que la nouvelle traduction est plus accessible immédiatement. Cependant, des spécialistes m’ont dit regretter cette évolution. Le texte du Notre Père en grec est, il est vrai, difficile à traduire.
Nous venons de vivre une période de confinement pendant laquelle la célébration des messes en public et avec assemblée était impossible. Selon vous, que nous a appris cette épreuve du point de vue de la liturgie ?
Je vois que beaucoup ont découvert la possibilité de vivre des liturgies domestiques. Pendant la Semaine sainte, les familles ont ainsi célébré chez elles le repas du jeudi saint, le chemin de croix, etc. Le samedi saint, certaines se sont inspirées du repas pascal juif, notamment en incitant leurs enfants à poser des questions sur le sens de ce repas. Chez nos frères juifs, c’est en effet une façon de faire mémoire de l’action de Dieu dans l’histoire du peuple hébreu et de transmettre cette histoire aux jeunes générations.
J’ai constaté, aussi, parmi les fidèles, une vraie hâte de se rassembler, de se retrouver. Cette période nous a permis de comprendre que l’Eucharistie, c’est bien autre chose que « Mon petit Jésus et moi » ! Cela a mis en lumière le caractère essentiel de la dimension fraternelle.
Enfin, l’attente eucharistique dit quelque chose de notre lien au Christ, à l’Église et de la manière de participer à l’Eucharistie. Cette période a été pour certains l’occasion de redécouvrir que l’on vient à la messe d’abord pour se livrer à Dieu, à ses frères et sœurs, pour recevoir Dieu qui se livre à nous, et le partager ensuite dans notre vie quotidienne.
Aussi, je crois que l’un des fruits de cette épreuve difficile peut être de nous ouvrir à une vie liturgique plus intense et plus fraternelle.
Selon vous, quel est le défi majeur de la liturgie aujourd’hui ?
Redonner à Dieu la place qui lui revient. En d’autres termes, redécouvrir que la liturgie est “théocentrée” et non “anthropocentrée”. Elle nous invite à entrer dans un rite, qui s’inscrit dans toute une tradition biblique. Cela suppose que nous acceptions de nous laisser saisir par un mystère qui nous dépasse. Quand on l’a bien compris, la question de savoir s’il faut célébrer dans la forme “ordinaire” ou “extraordinaire” ne se pose plus vraiment.
La liturgie est un acte de dépossession, de livraison de soi à Dieu pour entrer dans un mystère sur lequel nous n’avons pas prise.
QU’EST-CE QUE L’ÉDITION TYPIQUE LATINE ?
« Il revient au Pape de décider de l’édition de référence en ce qui concerne les textes liturgiques.
À partir de cette édition typique latine, Dans tous les pays, les prêtres célèbrent soit en latin, soit avec la traduction de cette édition de référence dans leur langue vernaculaire approuvée par Rome. On dit que notre manière de prier exprime notre manière de croire : Lex orandi, lex credendi. On ne peut donc pas faire n’importe quoi en matière de liturgie, au risque de porter atteinte à l’intégrité de notre foi. G.DE K.
MESSE : CE QUI VA CHANGER
Voici quelques-uns des changements les plus importants qui vont intervenir avec la nouvelle traduction.
« Je confesse à Dieu ». Nous disons : « Je reconnais devant mes frères que j’ai péché » ; nous dirons : « Je reconnais devant vous, frères et sœurs, que j’ai péché. » Cette formulation implique plus : je prends conscience que mon péché a abîmé aussi mes frères et sœurs qui sont ici.
Offertoire. Nous disons : « Prions ensemble au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Église », nous pourrons dire : « Priez frères et sœurs ; que mon sacrifice et le vôtre soit agréable à Dieu le Père tout-puissant. » Et les fidèles de répondre : « Que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacrifice à la louange et à la gloire de son Nom pour notre bien et celui de toute l’Église. »
Consécration (Prières eucharistiques 1, 3 et 4). Nous disons : « Il prit le pain, il le bénit, et le donna à ses disciples en disant… » ; nous dirons : « Il prit le pain, il dit la bénédiction et le donna à ses disciples. » Cette formule, beaucoup plus juste, rappelle le repas pascal juif, le repas du shabbat aussi. C’est Dieu que l’on bénit et non pas le pain. Jésus nous tourne vers Dieu le Père.
Anamnèse. Nous disons : « Nous proclamons ta mort… » ; nous dirons : « Nous annonçons ta mort, Seigneur Jésus, nous proclamons ta Résurrection… »
Envoi. Nous disons « Allez dans la paix du Christ » ; nous pourrons dire également : « Allez porter l’Évangile du Seigneur » ou « Allez en paix. Glorifiez le Seigneur par votre vie. » ou « Allez en paix. »
Embolisme (après le Notre Père). Nous disons « [Délivre-nous de tout mal, Seigneur. Donne la paix à notre temps] Par ta miséricorde, libère-nous du péché ; rassure-nous devant les épreuves en cette vie où nous espérons le bonheur que tu promets et l’avènement de Jésus Christ notre sauveur » ; nous dirons : « Soutenus par ta miséricorde, nous serons libérés de tout péché, à l’abri de toute épreuve, nous qui attendons que se réalise cette bienheureuse espérance, l’avènement de Jésus Christ notre sauveur. »
Agneau de Dieu. Nous disons « Heureux les invités au repas du Seigneur, Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » ; nous dirons : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde ; heureux les invités au repas des noces de l’Agneau. » G.DE K.