« C’est la proposition pastorale la plus transformante que j’ai pu faire »

« J’ai constaté que, dans la paroisse, les jeunes étaient très présents et bien accompagnés mais qu’il n’y avait pas de propositions concrètes pour les plus de 30 ans. L’année dernière, j’ai donc d’abord proposé pendant l’Avent des « petits groupes de maison » (les paroissiens se réunissent à plusieurs chez quelqu’un pour prier ensemble).

Le père Emmanuel Pinot est curé de la paroisse de la Sainte-Trinité (Paris IXe) depuis septembre 2018.

J’ai par ailleurs lancé un parcours sur le thème « 30 jours pour apprendre à prier ». À ma surprise, 120 personnes l’ont suivi. On ne pouvait pas en rester là. Il y avait une réelle attente. J’ai donc eu l’idée de proposer un autre parcours pendant le carême et le thème de la gratitude est venu naturellement. Lionel Dalle est un ami. Il m’avait raconté son expérience dans sa paroisse, un an auparavant. J’avais lu aussi le livre de Pascal Ide, remarquable. Pendant une semaine, j’ai lu, je me suis documenté, j’ai prié, réfléchi et j’ai préparé un livret, en m’inspirant largement du premier parcours de Lionel Dalle. J’ai ajouté une question qui me semblait centrale, celle de l’hyperconsommation. Le jour du mercredi des cendres, j’ai annoncé à mes paroissiens : « Plutôt que de prendre des décisions que nous ne parvenons pas à tenir, je vous propose cette année de vivre quelque chose d’original : “travailler”, ensemble, la vertu de gratitude. Par ce levier de la gratitude et de la joie, beaucoup de vos difficultés vont se résoudre d’elles-mêmes, j’en ai la conviction ! » Pour le dire autrement, travailler la vertu de gratitude, c’est travailler en amont tous nos mouvements de compensation. Tous ces mouvements sont liés à un vide existentiel et ce vide, quand on pratique la gratitude, est comblé.

Quatre cents personnes se sont décidées à vivre ce parcours. Des “paroissiens ordinaires”, mais aussi des gens plus éloignés de l’Église, attirés par ce thème assez “hospitalier”. Un soir chaque semaine, sur une période de cinq semaines, ces personnes se sont retrouvées. Le déroulement était très simple : 20 minutes de louange, une demi-heure d’enseignement suivi par un exercice de gratitude ; partage en petit groupe (« Qu’est-ce qui m’a touché dans l’enseignement ? Quelle petite décision est-ce que je prends ? ») ; et temps d’adoration. Je suis témoin que ce parcours a transformé des vies. Cela va de toutes petites choses : « Cela a changé ma manière de monter les escaliers », témoigne une personne pour laquelle ce moment était devenu une véritable épreuve physique. Elle s’est appliquée à vivre la “grâce” qui était cachée dedans. C’est l’un des trésors de la gratitude. Découvrir que tout instant est un don ou l’occasion d’un don. Une épreuve n’est pas un don en elle-même mais dans une épreuve, une grâce cachée m’est offerte. Autres fruits : à travers ces petits exercices, des célibataires ont redécouvert une joie intérieure. Des couples ont renouvelé leur manière de se remercier. Je peux dire que c’est la proposition pastorale la plus transformante que j’ai pu faire. La gratitude est en réalité l’attitude la plus fondamentale de la créature. C’est une vertu qui s’acquiert par répétition et par petits exercices. Comme l’explique Pascal Ide, c’est d’abord un acte de l’intelligence qui consiste à apprendre à discerner les dons au quotidien. Cet acte fait monter en moi une émotion qui me pousse à agir. Cela s’exerce. Quand je me promène en forêt, je peux dire : « C’est beau. » Mais je peux aussi aller plus loin. Me demander pourquoi c’est beau et apprendre à détailler le don. Faire cet exercice me met en mouvement et me pousse à l’action de grâce, quelle qu’en soit la modalité. De même, dans la vie de famille ou la vie professionnelle. Cela transforme les relations. Et à force de “travailler” cette vertu de la gratitude, je reviens plus rapidement, au milieu même de la difficulté, à un état de calme intérieur. Ainsi, récemment, il y a eu une panne de courant et mon réveil n’a pas sonné. Je devais prendre un avion et cela semblait perdu ! J’ai dit au Seigneur : « Ce n’est pas grave, tu es là, merci Seigneur ! » J’ai appelé un taxi et expliqué la situation. Il m’a répondu : « C’est étonnant, vous êtes en train de rater votre avion et vous êtes pourtant très calme… » À l’arrivée à l’aéroport, nous avons été pris dans un énorme embouteillage… Je pensais n’avoir plus aucune chance. Pourtant, je me suis exercé à rester dans la gratitude. Arrivé à la porte d’embarquement 15 secondes avant la fermeture, j’ai pu finalement être enregistré in extremis… Un autre exemple. Mon oeil gauche perd pas mal de sa capacité de vision en ce moment. C’est un motif naturel d’inquiétude mais aussi une belle occasion pour moi d’exercer la gratitude. Je sais que Dieu est là, qu’il m’aime et qu’il ne m’abandonnera pas. Exprimer ma reconnaissance m’aide à lutter contre l’inquiétude qui monte en moi par moments. Je fais ce que j’ai à faire, le Seigneur est là et il me donne sa grâce en toute situation. Au lieu de dépenser une énergie considérable à vouloir résoudre des problèmes sur lesquels nous n’avons pas de prise, il nous revient d’apprendre à dire, dans les contrariétés du quotidien : « Ce n’est pas si grave »… Travaillons plutôt sur ce que nous pouvons changer !

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