“Partager peut tout changer”

A Simon de Cyrène, au cœur de la fragilité, trouver l’espérance

Dans « Partager peut tout changer », aux éditions Salvator, Laurent de Cherisey, membre de la Communauté de l’Emmanuel, raconte 18 ans d’aventure au cœur des « maisons partagées Simon de Cyrène ». Personnes valides et non valides vivent ensemble sous le même toit, pour défier la solitude engendrée par le handicap. Un livre « pour témoigner qu’au cœur de la fragilité se trouve l’épicentre de l’espérance chrétienne. » Rencontre.

Laurent de Cherisey compresse 002Laurent, pourquoi un livre sur l’aventure Simon de Cyrène ?

« Depuis 40 ans, notre société a fait le choix, extrêmement coûteux, de mettre en place un système de soins d’urgence : 24 h sur 24, 365 jours par an, l’arrivée des secours est possible, n’importe où sur le territoire national, en 18 minutes en moyenne, et sauve la vie de 40 000 personnes chaque année. Un signe tangible que la vie de chacun a du prix.

Nous chrétiens, nous devons être les premiers à rendre grâce pour cela. Ce n’est pas en dénonçant, en étant contre ou en pointant du doigt, au lieu d’avoir un regard d’espérance sur le monde et de chercher où sont ces jaillissements de vie que nous serons audibles comme chrétiens.

Ce n’est qu’à la condition d’entrer dans ce dialogue fécond que nous pourrons alors dire : ici, là, la dignité de l’homme est blessée. Et que nous serons entendus.

Le « peuple Simon de Cyrène » comme je l’appelle, est un peuple sauvé, pourtant il va basculer, après l’accident, l’AVC, le traumatisme crânien, dans le handicap grave, physique, sensoriel, psychique, cognitif… Pourquoi ?

Si j’ai écrit ce livre, c’est pour témoigner qu’au cœur de la fragilité se trouve l’épicentre de l’espérance chrétienne. »

N’est-ce pas paradoxal de parler d’espérance quand on se découvre atteint d’un handicap acquis et définitif ?

La plus grande souffrance vécue par les personnes en situation de handicap c’est la solitude. Quand elles nous disent : « J’ai besoin de toi », elles nous font le plus beau cadeau qu’un être humain peut faire à un autre être humain. Elles nous offrent leur confiance, elles croient en nous, elles nous mettent debout en nous libérant de la tyrannie de la performance, de la peur de ne pas être éligible et d’être une variable d’ajustement. Cet évangile du pauvre est un chemin de libération qui peut venir éclairer notre société et évangéliser les multitudes : si le plus fragile nous révèle que sa vie peut avoir du goût, de la valeur et du sens, c’est prodigieux, parce qu’à ce moment-là, les 8 milliards d’êtres humains qui peuplent notre petite planète Terre, sont alors tous sauvés. C’est ça l’espérance chrétienne. »

Partager peut tout changer couvertureLe livre « Partager peut tout changer » fait le récit de conversations qui ont été organisées dans les 25 maisons Simon de Cyrène. Racontez-nous…

« Le livre est le fruit d’une démarche synodale qu’on a appelé « les conversations Simon de Cyrène » Pendant un an, dans toutes nos maisons, salariés, résidents, volontaires, bénévoles, donateurs… nous avons conversé pour mettre des mots sur ce que nous vivons ensemble.

Entendre ce cri prophétique de la souffrance et de la solitude des personnes gravement handicapées, c’est découvrir une boussole dont le pôle Nord, le champ magnétique c’est la relation. Cette boussole a 6 points cardinaux qui tiennent en 6 mots-clés : la maison commune, le décloisonnement, le temps suspendu, la réciprocité, la transcendance, la joie. »

La maison commune c’est-à-dire ?

« Il s’agit de se reconnaitre d’une maison commune, d’une même humanité. Il n’y a pas si longtemps, dans certaines idéologies, les plus fragiles étaient éliminés. A Simon de Cyrène, ils sont au cœur de la maison et ce sont eux qui nous invitent à y entrer. Lors d’une conversation, nous avons demandé à Cédric pourquoi il était là, dans cette maison partagée. Sa réponse, lancée depuis son fauteuil roulant, m’a transpercé le cœur : « Parce qu’ici, je suis vivant. » A travers cette réponse, il adresse une promesse que tout être humain est appelé à être un vivant, quelle que soit sa situation. Et moi, est-ce que je pense le soir à rendre grâce au Seigneur car aujourd’hui j’ai été vivant ? »

Le décloisonnement, de quoi s’agit-il ?

« Vivre ensemble dans cette maison commune, cela nécessite de casser d’abord les murs intérieurs derrière lesquels je me cache car la relation avec l’autre me fait peur, car la différence me fait peur, car j’ai peur de ne pas être aimable ou capable. Et d’expérimenter combien la relation fait du bien. Je pense à ce jeune volontaire en service civique, âgé de 20 ans, à qui on demandait ce qu’il faisait là et qui a répondu : « Depuis plusieurs années, je me cherchais, ici je me suis trouvé. »

La réciprocité dans la relation, c’est vivre une relation où chacun peut donner et recevoir ?

« Pour illustrer ce point cardinal, je voudrais vous parler de Charles. Il a besoin d’une aide humaine 24h sur 24. Au cours d’une des conversations, il a dit : « Avant, j’habitais seul. Des gens venaient prendre soin de moi, chez moi, avec dévouement. Puis, je suis venu à Simon de Cyrène parce qu’ici, on prend soin les uns des autres. »

Le temps suspendu, une notion bien éloignée de notre société qui court…

A Simon de Cyrène, on est dans le temps long. Le temps est suspendu car on n’a pas de mémoire récente. On dit qu’on va aller se balader puis il faut 2h pour se préparer et on a oublié ce qu’on a dit qu’on allait faire… En fait, on restaure notre rapport au temps, notre rapport à l’aide, notre rapport à l’autre et peut-être aussi notre rapport à Dieu. C’est ce que permettent l’adoration, la contemplation ou simplement un temps d’intériorité : nous recevoir de l’intérieur !

« As-tu aimé et t’es-tu laissé aimer ? »

Le temps suspendu pour ouvrir à la transcendance ?

C’est une blessure majeure de notre société de ne plus nommer la dimension du sens de la vie. Mais, quand vous avez un corps blessé, vous ne pouvez pas faire l’économie de cette question cruciale du sens de la vie. On ne peut plus vous faire croire que votre vie n’est qu’horizontale. Si je ne peux plus être efficace, ni rentable, si je ne peux plus savoir, ni vouloir, ni paraitre, qu’est-ce qu’il me reste ?

Il reste l’être qui se construit dans la relation à l’autre. Mère Teresa disait que la seule question que Dieu nous posera le jour du face à face est la seule question qui fait que notre vie aura eu du goût. As-tu aimé ? T’es-tu laissé aimer ?

Cette dimension spirituelle, verticale, c’est chercher ensemble le sens de nos vies et nommer qu’à Simon de Cyrène, on est 100% croyant parce qu’on est 100% à croire à la beauté de l’être humain. Et quand on nomme ce qui nous unit, alors les 30% qui viennent à Simon de Cyrène pour vivre leur foi chrétienne, peuvent la vivre pleinement sans menacer les autres.

Et puis les quelques-uns qui sont musulmans ou juifs peuvent vivre ça sans être gênés par le fait que c’est une communauté avec une proposition chrétienne. Et puis ceux qui croient surtout en l’homme sans avoir de foi dans une religion particulière ne se sentent pas menacés non plus. Cela permet des chemins de foi qui sont magnifiques.

Et cela ouvre alors à la joie ?

Ces points cardinaux permettent d’atteindre le Pôle Sud et d’affirmer, avec nos corps et nos esprits blessés, que la joie est plus forte que l’épreuve. Que la résurrection est plus forte que la mort. Pourtant, nous sommes au pied de la Croix tous les jours, avec nos corps qui vieillissent mal. De cet entremêlement permanent entre la Croix et la Résurrection, jaillit la joie. Combien de visiteurs ont été surpris et touchés de constater que la joie est palpable dans nos maisons. Je me souviens, lors de la visite d’un partenaire public, une responsable d’un Pôle handicap avait demandé à Cédric : « Êtes-vous bien ici ? » Il avait répondu : « Non, je ne suis pas bien. » Un moment de gêne avait suivi, avant qu’il ne reprenne soudainement : « Ici, je ne suis pas bien… je suis heureux ! »

18 ans de proximité et de relation avec des personnes en situation de handicap, quel chemin intérieur cela vous a-t-il permis de parcourir ?

Au début, je me souviens, j’avais dit au Seigneur : je te donne 3 ans pour Simon de Cyrène. 3 ans, c’est le temps dont j’avais eu besoin pour créer et développer ma dernière entreprise. Sauf que là, au bout de trois ans, il ne s’était rien passé. La première maison a mis presque 5 ans à ouvrir.

Quelle décision devais-je prendre ? Je me suis appuyé sur la parole d’un chirurgien hindou, rencontré lors de notre tour du monde « Passeurs d’espoirs », qui m’avait dit : « Si tu te demandes : « Aujourd’hui, quel doit être mon choix ? tu risques de te tromper car tu n’as pas de recul. Prends le temps, ralentis pour entendre une réponse, venue de ton cœur, à cette question : « Au dernier jour de ta vie, quels choix seras-tu heureux d’avoir faits ? »

Ainsi chaque année, je revisite mon engagement à Paray-le-Monial.

D’année en année, je me suis laissé convertir dans mon rapport au temps, mon rapport à l’efficacité. J’ai été libéré de la tyrannie de la performance, simplifié, émondé, converti.

Les enjeux évoluent mais ce qui me passionne c’est d’être toujours au cœur de l’évangile.

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