“La division entre chrétiens est contraire à la volonté de Jésus”

Chrétien évangélique d’origine suédoise, Henrik Lindell est devenu catholique en 2015. Journaliste à La Vie, il publie avec Pierre Jova : Comment devenir plus catholiques… en s’inspirant des évangéliques (Éditions de l’Emmanuel, 2020). Un livre de fraternité, pour stimuler la foi et la créativité missionnaire dans l’Église. Entretien.

Pouvez-vous nous raconter votre “histoire sainte”: comment avez-vous rencontré Jésus ? 

EE Comment devenir plus catho 1142x1536 1Je suis issu d’un univers plutôt non croyant dans un pays culturellement marqué par le protestantisme: la Suède, où j’ai passé mon enfance et une grande partie de ma jeunesse. A cause de mes origines, je me suis longtemps senti en décalage avec la culture catholique. 

J’ai rencontré Jésus à l’âge adulte alors que j’étais confronté à une situation de grande détresse. Dans ce contexte-là, Il s’est révélé à moi comme la lumière dans les ténèbres. Cela a été véritablement une “naissance d’en haut”. Spontanément, je me suis alors tourné vers l’église évangéliste baptiste : culturellement, je me sentais proche d’eux, de leur langage, de leurs chants. Ma femme est catholique mais cette culture catholique me paraissait assez étrangère. 

Comment êtes-vous devenu catholique ? 

Je me suis mis à prier pour les morts, à prier pour les saints, une pratique inutile, voire hérétique chez les protestants. Deux autres facteurs furent déterminants: l’aspiration à l’unité chrétienne et Marie. Ma méditation profonde du chapitre 17 de l’évangile de Jean a fini par me convaincre que la division entre chrétiens est tout simplement contraire à la volonté de Jésus, car il veut nous voir unis. Je vis cette séparation entre chrétiens comme un drame et je trouve que c’est vraiment un contre-témoignage. 

Si je me suis finalement rapproché de l’Église, c’est parce que j’ai découvert sa théologie, la richesse de la Tradition et la succession apostolique, qui me semble biblique. J’ai fini par prendre conscience de la grâce communiquée dans l’Eucharistie et dans les autres sacrements. J’ai senti dans l’Église catholique quelque chose d’objectif, qui nous reliait directement au Christ et qui me manquait dans l’univers évangélique. Si j’ai toujours apprécié la valorisation de l’individu chez eux, j’ai fini par penser qu’il y avait parfois une recherche trop systématique de l’expérience personnelle et un sens de l’immédiateté qui ne prenait pas suffisamment en compte la dimension historique de l’Église. Par leur activisme, les évangéliques ont tendance à vouloir découvrir la roue à chaque génération. 

Parallèlement, j’ai été extrêmement touché, bouleversé même, par le témoignage de Marie, qui est pour moi le plus grand modèle de la foi après Jésus. Mais Marie est généralement réduite à un personnage secondaire quand elle n’est pas ignorée chez les évangéliques. Alors que j’étais toujours évangélique, j’avais commencé à prier Marie quotidiennement, à demander son intercession, chose incompatible avec l’adhésion à la théologie de mes sœurs et frères protestants. Le fait est que ma foi était déjà « catholique » dans mon cœur depuis plusieurs années, mais j’avais du mal à l’admettre. Et un jour, je me suis senti obligé d’en tirer la seule conclusion possible. 

Ce qui me retenait était à la fois les profonds liens d’amitié qui me liaient à ma communauté et la façon dont on célèbre la foi et dont on « fait Église » chez les évangéliques. Longtemps, chez les catholiques, je ne comprenais même pas le sens des rites, des gestes ni même de leur vocabulaire. Oui, je pensais vraiment que ma façon de prier et de louer Dieu (je suis charismatique) avec des chants contemporains en faisant appel à l’Esprit Saint me rendait tout simplement catho-incompatible. Je ne savais pas qu’il y avait des catholiques qui priaient et louaient Dieu comme je le faisais, et il a fallu que je rencontre des membres d’une communauté charismatique pour comprendre mon erreur. Je n’avais rien compris au catholicisme et à sa diversité ! C’est en allant à la messe, mais sans communier, au siège de la Communauté de l’Emmanuel à Paris, que j’ai fini par me sentir catho-compatible. Je pouvais vraiment m’identifier à ces croyants. C’était d’autant plus facile que leur chapelle se trouvait à environ 100 mètres des bureaux de La Vie à l’époque : un clin d’œil de Dieu? 

Je devins donc formellement catholique en 2015, lors d’une petite cérémonie à la Domus de l’Emmanuel à Paris. 

Comment décririez-vous les relations entre catholiques et évangéliques? 

Sur le plan théologique, il y a plus de liens qu’on veut le reconnaître. Par exemple, nous pouvons dire le credo avec des évangéliques alors même que certains catholiques sont en désaccord avec le credo. Certes, on ne peut pas invoquer Marie ni communier ensemble mais on peut prier, évangéliser (le parcours alpha, issu du mouvement évangélique anglican en est un bel exemple). Et surtout, il me semble qu’il y a de plus en plus de liens fraternels entre évangéliques et catholiques. 

Pourquoi avoir écrit ce livre ? 

Je crois vraiment que les catholiques doivent s’inspirer des évangéliques pour 10 raisons qui constituent les 10 chapitres de notre livre. Voilà quelques exemples: les évangéliques témoignent davantage, sont plus en phase avec la société, évangélisent mieux, ont un sens de l’accueil plus développé. Les catholiques ne doivent pas copier mais s’inspirer tout en restant fidèles à ce qu’ils sont. En faisant cela, ils ne seront pas moins catholiques, mais au contraire, plus catholiques! 

Je voulais aussi rendre hommage aux évangéliques, ils sont un peu méprisés alors qu’ils méritent d’être pris au sérieux. Ce livre est aussi une façon d’œuvrer pour l’unité. Jésus nous ordonne d’être unis ! 

Comment votre livre est-il perçu chez les évangéliques ? chez les catholiques ? 

Les évangéliques sont plutôt contents que l’on parle d’eux. Pour le moment, je n’ai reçu encore aucune critique négative autour de notre livre. Du côté des catholiques, beaucoup trouvent que le sujet du livre est pertinent. 

Quels sont les freins à une plus grande unité ? 

Il n’y a pas suffisamment la “culture de la rencontre” que le pape François appelle de ses vœux dans Fratelli Tutti. Beaucoup d’évangéliques sont très fermés à l’égard des catholiques. Un des gros problèmes qui se pose toujours dans la relation entre évangéliques et catholiques est la triste incompréhension mutuelle. Elle est l’héritage de plusieurs siècles de conflits, de guerres de Religion parfois, et de condamnations mutuelles. Encore aujourd’hui, la plupart des catholiques qui parlent des évangéliques, si d’aventure ils les connaissent, disent souvent des bêtises énormes. Dans l’autre sens, ce n’est pas mieux, et même souvent pire. Bien des évangéliques pensent toujours que les catholiques ne sont pas de vrais chrétiens, mais des idolâtres qui ont dévoyé la vraie foi. Certains expliquent même aux catholiques qu’ils doivent se convertir au Christ. J’en ai été le témoin. 

En même temps, on observe depuis une bonne vingtaine d’années un renouveau dans les relations entre catholiques et évangéliques qui vient de la base. Les rencontres concrètes se multiplient, par exemple dans des groupes de prière, des concerts de louange, ou lors d’événements et de séminaires organisés par des communautés nouvelles. À défaut d’un œcuménisme institutionnel, dont on dit qu’il est en panne, nous assistons ici à une vraie interconfessionnalité ou à un «œcuménisme de terrain», si l’on veut. Des chrétiens lambda se réunissent au nom du Christ, souvent dans le cadre de mouvements ou d’associations charismatiques, par exemple celle du pasteur Carlos Payan, véritable pionnier dans ce domaine. Ils prient et louent Dieu ensemble. Ce faisant, ils se découvrent précisément en tant que chrétiens et partagent leurs expériences. Grâce à cette curiosité réciproque, beaucoup pressentent que nous ne sommes peut-être pas si différents que ça, malgré nos divergences théologiques. 

Est ce que vous ne vous sentez pas tiraillé entre catholiques et évangéliques et qu’est ce que cela signifie ? 

C’était dur il y a 5 ans, quand je suis devenu catholique. Je me sentais tiraillé, je ressentais une forme de stérilité dans certains débats au sein de ma paroisse J’éprouvais parfois le besoin d’aller chez les évangéliques prier. Aujourd’hui, les catholiques m’attirent de plus en plus. Il y a une anthropologie positive, le désir de ne pas séparer les gens entre croyants et non croyants, une sagesse issue d’une expérience multiséculaire. 

D’après vous, comment peut-on favoriser une connaissance mutuelle qui ne soit pas superficielle ? Comment s’y prendre: quels sont les lieux où aller, les livres à lire, les choses qu’on peut faire ensemble et les choses à éviter ? 

Il y a peu de choses à éviter, à part obliger un évangélique à prier Marie ! Il faut les inviter, aller à leur rencontre, aller chez eux! La plupart des catholiques ne savent pas ce que sont les évangéliques. Beaucoup dialoguent avec les musulmans mais pas avec les évangéliques. Il faut lire la Bible avec les évangéliques, regarder comment ils font: souvent ils se réunissent par groupe de maisons pour lire la Bible, prier les uns pour les autres , dire ce qu’ils ont vécu avec le Seigneur la semaine précédente. Si on faisait cela, les catholiques pourraient également montrer aux évangéliques qu’ils lisent la Bible! 

Il faut absolument que les catholiques se rendent de temps en temps à un culte évangélique, pour au moins 3 raisons : 

  • voir comment est pratiqué l’accueil, et notamment l’accueil des nouveaux.

  • tout ce qui concerne la musique, la louange, chants de style contemporain ( paroles des chants sur écran, usage de la sono…) . Par exemple, l’orgue pose souvent un problème dans les messes catholiques car il s’impose et du coup les gens participent moins. Il faut faire appel aux talents, aux charismes des participants et ainsi les paroissiens sont plus impliqués. 

  • la prédication: un chapitre entier du livre y est consacré! C’est un moment où on évangélise, pour les évangéliques. Le but c’est de rencontrer Jésus. Les catholiques pensent que le prêche des évangéliques est un show mais non! Le prédicateur cherche à être guidé par l’Esprit Saint. Les évangéliques sont très sensibles à toute tentative du prédicateur de se mettre en avant personnellement. Contrairement à ce que pensent beaucoup de catholiques, je suis pour des homélies plus longues ! Ainsi on ne peut pas tricher : l’homélie sera vraiment préparée et au service de l’évangélisation! 

Après le cluster de Mulhouse, est-ce que le Covid a changé quelque chose pour les évangéliques ?

Les évangéliques ont été doublement punis : Il y a eu 29 morts du Covid après leur rassemblement de février dernier. Et par ailleurs, ils ont été les boucs émissaires de l’arrivée du Covid en France. J’ai échangé avec le pasteur de Mulhouse: Samuel Peterschmitt, qui a perdu plusieurs amis dans ce drame et qui a lui-même été très malade. Il dit qu’il faut rester très humble, ne pas se croire surpuissant. C’est vrai qu’il y a un écueil chez les évangéliques: celui de penser que prier suffit pour guérir. Les catholiques sont moins susceptibles de tomber dans cet écueil. 

Nous signalons dans notre livre qu’il y a parfois chez les évangéliques un orgueil qui résulte du sentiment d’être les seuls dépositaires de la parole de Dieu. Un autre écueil vient de la musique: Parfois, la louange, la musique sont purement euphorisantes et pas très nourrissantes. Le risque est de se focaliser sur ses émotions un peu trop éphémères et de ne pas être nourri. Il y a moins ce risque chez les catholiques où le prêtre, l’évêque exercent un certain contrôle. Un autre écueil concerne la place du silence. Il peut y avoir parfois la tentation de supprimer les moments de silence. Les catholiques à l’inverse cultivent davantage, il me semble, le sens du silence.

EE Comment devenir plus catho 1142x1536 1Comment devenir plus catholiques… en s’inspirant des évangéliques

Un livre pour comprendre le succès des évangéliques pour mieux s’en inspirer

Auteurs : Henrik Lindell et Pierre Jova

Parution : 2 décembre 2020

264 pages

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