Jésus était juif. Qu’est-ce que ça change pour nous ?

Cet été, les sessions de Paray-le-Monial accueilleront du 12 au 17 juillet la 3ème édition du parcours Judaïsme. L’occasion de se côtoyer, de recevoir des enseignements en commun et d’étudier la Torah, mais aussi de partager des bons moments ensemble.

“Les sources juives de la foi constituent un ensemble immense pour les Chrétiens (…). La conséquence immédiate est qu’un chrétien coupé de cette source ne peut comprendre ce qu’il est.”

Entretien avec deux acteurs du parcours Judaïsme à Paray-Le-Monial :
Le Père Jean-Baptiste Nadler, prêtre de la Communauté de l’Emmanuel, curé de paroisse à Vannes, et Sandra Yerushalmi, coordinatrice de projets culturels juifs.

Père Jean-Baptiste Nadler, Sandra Yerushalmi,  quelle est la justification de ce parcours Juifs Chrétiens à Paray-Le-Monial ?

Père Jean-Baptiste Nadler : Tout simplement parce que Dieu l’a voulu ! Ce parcours a bien sûr une histoire, mais sa cause première est la volonté de Dieu qui, comme toujours, passe par des médiations.
Historiquement, ces rencontres ne sont pas nées dans la communauté de l’Emmanuel : elles ont été initiées dans l’ouest de la France par une équipe investie dans le dialogue entre Juifs et Chrétiens. Elles ont ensuite été proposées à la communauté de l’Emmanuel qui a entendu là un appel de Dieu et un appel de l’Eglise.
Des parcours ont débuté en 2016, se sont continués en  2018, et maintenant nous sommes en 2022 pour une troisième édition.

Le premier objectif est de faire découvrir au plus grand nombre un événement inouï, qui se réalise depuis quelques dizaines d’années : le renouveau incroyable d’amitié, de découverte, de respect et de fraternité entre Juifs et Chrétiens.
Les mondes juif et chrétien partagent une histoire en partie commune, mais aussi une histoire douloureuse.
Du point de vue chrétien, un tournant a eu lieu avec le concile Vatican II, il y a un peu plus de 50 ans : depuis, des pages historiques se sont écrites, il s’agit maintenant de ne pas laisser tout cela confidentiel.

Sandra Yerushalmi : Pour les participants chrétiens, il s’agit bien sûr de découvrir le judaïsme et les sources juives du christianisme, mais l’objectif premier est tout simplement de se rencontrer, d’échanger, de discuter de nos expériences et de nos pratiques.
A travers des rencontres, il s’agit de découvrir la foi de l’autre, et la manière dont il la vit dans sa subjectivité. 

 

Concrètement, que vit-on dans ce parcours ?

Sandra Yerushalmi :  Dans la vie juive, il y a des moments d’études et des moments de vie, je pense que la session rassemble vraiment ces deux moments-là. Quelque chose de très fort se crée à un niveau individuel, et en conséquence à un niveau collectif. On retrouve ce dont parlait Jean-Baptiste : de nouvelles pages d’histoire s’écrivent entre Juifs et Chrétiens.
Concrètement, le cœur du parcours est de vivre un shabbat car le shabbat est le cœur de la vie juive. Cet extrait de vie est le meilleur moyen de ressentir l’essence du judaïsme.

Père Jean-Baptiste Nadler :  Ce que l’on vit dans ce parcours est d’abord une expérience de tout l’être et non pas un cours sur le judaïsme.
Pendant 5 jours, Juifs et Chrétiens vont se côtoyer, chacun essayant d’être le plus lui-même possible. Cela passe par des enseignements, par l’étude des textes, de la Torah, par des ateliers, par les offices de shabbat, mais aussi par les repas pris ensemble et par des discussions à bâtons rompus : des expériences intellectuelles mais aussi émotionnelles, des expériences de vie. Français, nous sommes parfois très cartésiens : nous pensons que nous comprenons avec notre tête uniquement, alors que nous comprenons avec tout notre corps : avec nos oreilles et notre bouche lorsque nous chantons, avec nos jambes lorsque nous dansons, et avec notre ventre lorsque nous mangeons casher !

Sandra Yerushalmi :  Lors d’un précédent parcours, quelqu’un nous a dit que nous, Juifs, vivions un peu plus la foi avec notre ventre et que vous, Chrétiens, la viviez un peu plus avec votre tête : cela montre qu’à Paray-Le-Monial, nous avons vraiment réussi à transmettre quelque chose de vivant, d’émotionnel, dans le partage de cette vie juive au quotidien, et du shabbat.

Quel est l’enjeu de ce parcours ?

Père Jean-Baptiste Nadler :  il y a une évidence qui est tellement évidente qu’on ne la voit plus, ce parcours aide un chrétien à la regarder : cette évidence est que la source de l’Église est dans le judaïsme.
Chrétien signifie disciple du Christ, mot grec pour Messie, Machia’h en hébreu.
Messie d’Israël, voilà ce à quoi nous renvoie notre nom : qu’est-ce que ça signifie ?
Les sources juives de la foi constituent un ensemble immense pour les Chrétiens : tous les premiers Chrétiens étaient juifs, le Nouveau Testament s’enracine profondément dans le Premier Testament, des prières chrétiennes fondamentales sont ancrées dans leur origine juive… La conséquence immédiate est qu’un chrétien coupé de cette source ne peut comprendre ce qu’il est.
Un premier aspect est donc de découvrir cette source toujours vivante – on ne fait pas de l’archéologie – mais je ne dirai pas que c’est l’aspect le plus important, car le judaïsme ne se réduit pas à être une source pour le christianisme.
Le deuxième enjeu, le plus important, est d’apprendre l’altérité et de vivre l’amitié : laisser l’autre être autre, laisser les juifs se définir eux-mêmes, et écouter comment ils se définissent, c’est ça que j’appelle amitié.
Et l’on n’est pas ami pour un intérêt précis : l’amitié est d’abord profonde gratuité même si elle porte du fruit.
Le pape François affirme dans Evangelii Gaudium (248 – 249), son texte programmatique :
“Le dialogue et l’amitié avec les fils d’Israël font partie de la vie des disciples de Jésus. L’affection qui s’est développée nous porte à nous lamenter sincèrement et amèrement sur les terribles persécutions dont ils furent l’objet, en particulier celles qui impliquent ou ont impliqué des chrétiens.
Dieu continue à œuvrer dans le peuple de la première Alliance et fait naître des trésors de sagesse qui jaillissent de sa rencontre avec la Parole divine. Pour cela, l’Église aussi s’enrichit lorsqu’elle recueille les valeurs du Judaïsme.”

Ce sont des mots extrêmement forts qui invitent à être suivis par toute l’Église ! Dieu continue à œuvrer dans le peuple de la première alliance, c’est une évidence et il est bon que nous, Chrétiens, en prenions conscience.

Sandra Yerushalmi :  Il est important de rappeler cette altérité car lorsque l’on parle uniquement de sources juives de la foi chrétienne, nous sommes dans une relation asymétrique. Cette relation asymétrique nous ramène, en tant que Juifs, à une histoire douloureuse et à des souvenirs de persécutions.
En revanche, quand on rappelle que nous sommes là pour vivre l’altérité, pour nous connaitre, pour apprendre de l’autre, pour être ensemble par amitié et désintérêt total, nous restaurons une symétrie : voilà pourquoi on est là, tout simplement !
C’est ce qui m’a toujours portée, dans mon parcours de dialogue inter-religieux en général, et d’amitié judéo-chrétienne en particulier, et c’est ce qui m’a amenée à Paray-Le-Monial.

J’ai toujours vu le dialogue de manière naturelle avec toutes les religions, mais quand je suis arrivé à Paray, il y avait des écriteaux qui disaient :”Jésus était juif qu’est-ce que ça change pour nous ?”.
Ça m’a rappelé cette évidence évidente donc parle Jean-Baptiste : Jésus était juif, évidemment ; mais dans la tradition juive c’est un tabou, un tabou dont on n’a pas parlé, qu’on a surtout voulu oublier parce que l’histoire a été si douloureuse qu’il fallait se mettre à distance de ce peuple là, du peuple chrétien.
Cette expérience est vraiment symptomatique du point où nous en sommes aujourd’hui, de cette découverte de l’autre dans une vraie amitié qui nous permet vraiment d’être nous-même, de dire qui nous sommes et d’où nous venons.

Père Jean-Baptiste Nadler : Au Moyen-Âge, l’immense majorité des nations européennes était chrétienne, mais il y avait toujours une présence du peuple juif en Europe, comme un empêcheur de vivre entre soi, et il a été très difficile de penser l’altérité pour les royaumes chrétiens : il y a eu des expulsions de Juifs, des pogroms, des spoliations de biens, des Talmud brûlés… 
Au regard de tout cela, je pense qu’il se joue à Paray-le-Monial quelque chose de l’ordre de la guérison de l’histoire, une évolution du monde chrétien en tout cas.
Pour les chrétiens, la permanence d’Israël est une bénédiction de Dieu qui nous oblige à intégrer l’altérité, une altérité qui vient de Dieu, pas une altérité purement humaine. C’est une étape de conversion pour l’Église.

Paradoxalement, la foi chrétienne est équipée pour vivre l’altérité puisque la Trinité, altérité du Père, du Fils, et de l’Esprit Saint est une altérité en Dieu. Pourtant, dans le christianisme nous pouvons avoir une difficulté à intégrer le dialogue et la discussion théologique.
Le judaïsme n’a pas d’altérité en Dieu et pourtant il a intégré l’altérité par les discussions talmudiques qui mettent en œuvre l’altérité des positions.

Lorsque les chrétiens ont du mal à vivre l’altérité avec autrui, cela conduit au péché. Est-ce que ce péché prend une dimension particulière lorsqu’il est fait envers le peuple juif ?

Père Jean-Baptiste Nadler : Il a une nature particulière, bien sûr, parce que le peuple juif est le peuple que Dieu s’est choisi et il le demeure.
Il y a une volonté divine, et un chrétien doit intégrer la volonté de Dieu dans sa vie. Le fait de s’opposer à la permanence du peuple d’Israël tout au long de l’histoire revient à s’opposer directement à la volonté de Dieu.
Prenons l’exemple de la Bible : dans les premiers siècles, à la suite du prêtre Marcion, il y a eu une hérésie chrétienne qui voulait rejeter tout l’Ancien Testament. l’Église a reconnu que cette position n’était pas chrétienne.
Au-delà de la Bible, il reste un fond de marcionisme dans l’arrière pensée de beaucoup de chrétiens qui rejettent, non pas l’Ancien Testament, mais le peuple juif.
De la part des chrétiens, cet antijudaïsme qui a pu faire le lit de l’antisémitisme – cela a été montré – est clairement un péché grave.

Sandra Yerushalmi : Moi-même, plus j’étudie ces questions, plus je comprends ce lien théologique unique entre chrétiens et juifs, qui est redit à chaque parcours.
En tant que juive, comprendre ce lien est difficile car nous avons des années d’antijudaïsme à effacer. Mais aujourd’hui, a lieu un nouveau départ sur une base d’altérité. C’est quelque chose de fondamental qui permet d’avoir envie d’aller vers l’autre, de se connaître, de se parler, de se raconter… et l’histoire s’écrit !
Vivre ensemble, faire humanité ensemble dans une relation d’égal à égal, voilà notre espérance et voilà ce qui nous rassemble.

En quoi ce parcours aide-t-il à devenir plus juif, en quoi aide-il à devenir plus chrétien ?

Sandra Yerushalmi :  Plus nous parlons de ce qui nous fait vibrer et expliquons pourquoi notre tradition porte des valeurs universelles, plus nous approfondissons notre foi, notre croyance, confiance : “emouna” en hébreu.
Si nous parlons, nous nous exposons à des questionnements, c’est un risque. Ce questionnement peut être interne, comme il peut être celui de mes interlocuteurs.
Je suis alors amenée à chercher des réponses, qui sont parfois données par les autres et apportent de nouvelles perspectives.
De ce questionnement, de cette recherche, nous sortons toujours renforcés dans notre foi. Nous en sortons également renforcés dans notre relation à l’autre, c’est ce qui me porte dans ces rencontres.

Père Jean-Baptiste Nadler : De ces rencontres, je sors toujours grandi dans ma foi chrétienne. La découverte de la tradition juive n’enlève rien à ma foi, mais lui donne un champ de profondeur beaucoup plus grand. L’image que j’utilise est celle d’une pièce, la pièce de ma foi chrétienne avec le Nouveau Testament, les murs de cette pièce s’abaissent  : rien n’est enlevé à ce qu’il y avait dans la pièce, mais j’en vois toute la profondeur et la cohérence, car je la vois avec toute la profondeur juive.
De quel ordre sera la fraternité entre juifs et chrétiens, quelle est aujourd’hui votre espérance concernant ces rencontres ?

Sandra Yerushalmi :  L’histoire est maintenant derrière nous et on avance avec des amis : c’est réel. Nos échanges sont chaleureux et amicaux, dans une écoute réciproque, nous apprenons des textes et de la foi de l’autre, ce qui nous permet de mieux comprendre nos croyances.
Voilà l’espérance et la fraternité qu’on peut espérer pour la suite : recréer cette relation d’égal à égal.

Père Jean-Baptiste Nadler :  A Paray, de grands sujets se jouent dans des choses humainement très simples : cette réparation de l’histoire, cette espérance se construisent tout simplement parce que l’on vit, danse, et mange ensemble !

Sandra Yerushalmi : Paray-le-Monial est pensé comme une initiation où beaucoup de personnes ont eu une  première approche du judaïsme. De ces discussions entre Juifs et Chrétiens sont nées beaucoup d’initiatives : il y a eu un weekend “découvrir le judaïsme” à Grenoble à la suite de la session de 2018, nous avons également créé un groupe de rencontres mensuelles Juifs – Chrétiens à Paris, tout cela est très important.

Père Jean-Baptiste Nadler : En ce qui concerne l’espérance, je suis profondément persuadé que tout cela vient de Dieu et donc je sais que Dieu en fera ce qu’il voudra.
Ma vraie espérance est que les projets de Dieu se fassent.
Seigneur, continue ton œuvre, ce que tu fais est magnifique !

Parcours Judaïsme du 12 au 17 juillet

Vignette avec toutes les dates de Paray 2022

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