Inspiré par la figure de Pauline Jaricot, Camille Rhonat, 32 ans, est professeur de philosophie, membre fondateur des Altercathos et directeur artistique du festival Superspectives.
Propos recueillis par LAURENCE DE LOUVENCOURT
Vous êtes membre fondateur des Altercathos, qu’est-ce que c’est ?
Créée en 2011 essentiellement par des étudiants en lettres, sciences humaines et histoire géographie, Les alternatives catholiques est une association culturelle. Tous catholiques, nous étions déçus par la sociologie politique type au sein de l’Église et une sorte de stérilité dans la réflexion politique ambiante. Nous souhaitions nous former pour comprendre mieux ce qu’implique d’être catholique sur le plan politique. Nous voulions connaître la doctrine sociale et le magistère, et nous laisser le droit d’élaborer une traduction politique et intellectuelle, nouvelle et libre, de ce à quoi nous engage le baptême. Nous souhaitions en même temps nous désolidariser du tournant dit “identitaire” chez les catholiques, tout en dépassant les clivages habituels pour penser au-delà. Nous avons organisé des conférences de plus en plus ouvertes à des personnes de tous horizons s’intéressant à la pensée chrétienne. Et en 2016, nous avons créé à Lyon Le Simone, un espace de coworking, café culturel, lieu de conférences, d’art et de vie. Nous avons décidé de placer ce lieu sous le patronage de la philosophe Simone Weil, une figure qui nous inspire beaucoup car elle a pensé et incarné le lien entre mystique, réflexion et action. La devise du Simone est d’ailleurs « Atelier de formation, laboratoire d’action ». Nous former nous amène à agir dans des domaines très divers selon nos compétences et talents propres.
Pauline Jaricot semble influencer de plus en plus votre association, pourquoi ?
L’un des objectifs de l’association figure dès les premières lignes de nos statuts : développer le laïcat. Or Pauline Jaricot a incarné une attitude chrétienne nouvelle : être une laïque pleinement engagée dans le monde. Elle a compris que cette vocation très radicale au service de Dieu et des plus démunis, elle n’était pas appelée à la vivre au sein d’une congrégation, mais dans le monde, afin de pouvoir agir au sein de la société de façon très diversifiée et libre.
Que retenir de sa vision du laïcat pour nous aujourd’hui ?
Elle a inventé une vie chrétienne totale, radicale et laïque, une manière de suivre le Christ jusqu’au bout, jusqu’à la croix. Nous pourrions croire, de loin, que sa vie est le roman d’aventures d’une héroïne proto-féministe, qui tient tête à l’Église pour développer des projets incroyables, et qui a dix ans d’avance sur Marx et les utopistes pour créer des modèles sociaux alternatifs. Mais pour moi, elle est surtout une femme qui, très tôt, a choisi de servir le Christ de façon radicale, au cœur du monde, a impressionné de son vivant du fait de son aura jusqu’au curé d’Ars, au pape, et pas mal de gens qui voyaient en elle une personnalité indépendante, courageuse, imprévisible et assez géniale. Pauline ne cherche pas à affirmer, en soi, un autre modèle de société. Elle cherche à affirmer le Christ, ce qui l’amène à faire émerger indirectement des modèles de vie nouveaux.
Elle a, dites-vous, développé un « catholicisme d’action directe », c’est-à-dire ?
Pour le dire autrement, Pauline Jaricot nous enseigne à ne pas attendre de l’Église institution qu’elle ouvre des pistes nouvelles. Il revient aux laïcs de prendre toutes sortes d’initiatives au service de la charité et de la mission. Pauline a vécu les vertus chrétiennes avec toute la créativité qui la caractérise. À notre échelle, lorsque nous avons lancé l’association Les Alternatives catholiques, nous n’avons pas d’abord demandé l’aval de l’autorité ecclésiastique. Ce n’est qu’ensuite, afin de pouvoir développer des projets, que nous avons sollicité le diocèse et la fondation Saint-Irénée. Tout comme les anarchistes se méfient de tout pouvoir passant par une représentation et privilégient un rapport immédiat au but de l’action du fait de son urgence, la vie de Pauline manifeste qu’il en est de même pour nous : servir le Christ dans la figure des plus pauvres est une tâche suffisamment impérieuse pour se passer des pesanteurs d’un appareil institutionnel. Pauline obéit avant tout à la volonté de se conformer au Christ, et non au conformisme chrétien. Vouloir se conformer au Christ est en quelque sorte un anticonformisme chrétien. Pour toutes ces raisons, nous souhaitons choisir Pauline Jaricot comme figure tutélaire de notre association. Même son dégoût pour la philosophie nous inspire, nous, philosophes. Il nous rappelle que, de façon ultime, la philosophie ne sert pas à grand-chose… ¨
Festival SUPERSPECTIVES, la culture Contemporaine s’invite chez Pauline
Par CAMILLE RHONAT
Avec un ami, François Mardirossian, pianiste, nous avons fait le constat qu’il existe très peu de projets culturels catholiques “sérieux”, qui ne cherchent pas à instrumentaliser la culture à des fins d’“illustration chrétienne”. Nous regrettions également que les catholiques aient tendance à voir la culture contemporaine comme décadente, sans se donner la peine de tenter de la connaître, que ce soit dans le champ musical, philosophique, littéraire, etc. De leur côté, de nombreux artistes détestent l’Église sans chercher à comprendre ce qu’elle dit ni ce qu’elle est. Il nous a donc semblé intéressant de faire naître dans un lieu catholique (maison de Lorette – voir encadré), avec des partenaires catholiques (OPM, Fondation Saint- Irénée), un projet culturel de qualité et avec l’ambition de rejoindre tous les publics. De plus, un espace accueillant aux créations des compositeurs d’aujourd’hui manquait à Lyon.
Hybridation
Depuis 2018, pendant un mois, le festival Superspectives met en scène des créations contemporaines qui présentent de multiples hybridations entre musique savante et répertoire plus populaire. Il y a musique contemporaine partout où s’expérimente un nouveau langage sonore, capable d’explorer musicalement notre temps et de nous rappeler l’heureuse urgence de l’interpréter ! Nous travaillons et accueillons volontiers des musiques immersives, contemplatives, qui permettent de cultiver chez l’auditeur des dispositions authentiquement spirituelles, d’écoute et de recueillement. ¨
POUR ALLER PLUS LOIN : SUPERSPECTIVES.FR
UN LIEU PORTEUR
« La maison de Lorette (1520) est un témoin privilégié de l’effervescence culturelle lyonnaise, et de l’apogée de la culture humaniste chrétienne de la Renaissance, dont Lyon est une capitale. Ce lieu acquis en 1832 par Pauline Jaricot (lire page 53) a été restauré. Il offre une magnifique vue panoramique sur la ville de Lyon. »