Augustin, saint et docteur de l’action de grâce

Pour saint Augustin, pécheur converti devenu évêque et docteur de l’Église, chaque chrétien est appelé à devenir un homme de la louange car tout est donné par Dieu.

Par le Père Emmanuel-Marie, abbé des chanoines de Lagrasse

Égoïsme, ambition, sensualité… voilà ce dont souffre l’âme du jeune Augustin. Ce jeune homme trop brillant n’est pas encore converti et il s’avoue insatisfait. Car on le sait, il faudra des années pour que l’orgueil cède et que la grâce de la conversion s’empare de cette âme assoiffée de vérité, de beauté et d’amitié. A 33 ans, Augustin naît enfin à la lumière par le baptême. Il s’écrit : “C’est le Seigneur qui tire le mort du tombeau, c’est lui qui touche le cœur.” Il crie la joie […] Il crie la joie du don de Dieu, du don de la vie : « Et notre véritable Vie est descendue ici-bas, et elle s’est chargée de notre mort, et elle a tué notre mort par l’abondance de sa vie. »

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Le livre des Confessions

Dès lors la vie d’Augustin se caractérise par l’action de grâce et la louange. Dans son fameux livre des Confessions, il a témoigné de son itinéraire. Et à chaque page, sa joie déborde, même s’il est réaliste sur ses fautes passées : « Ô Seigneur, je suis ton serviteur et le fils de ta servante ; tu as rompu mes liens : je t’offrirai une hostie de louange. Que mon cœur, que ma langue te louent, et que tous mes os s’écrient : “Seigneur, qui est semblable à toi ?” » Ainsi donc la reconnaissance du péché n’atténue pas l’action de grâce. La confession augustinienne met moins en évidence le péché et la faiblesse de l’homme que l’action de Dieu-Père, son pardon, sa grâce toujours présente. C’est en effet la miséricorde de Dieu qui est la cause profonde de ce double jaillissement : aveu et louange. Augustin nous le précise : « La confession n’est pas toujours confession des péchés, mais la louange de Dieu s’exprime aussi en une confession fervente. La première pleure, la seconde se réjouit ; la première montre la plaie au médecin, la seconde rend grâce pour la guérison. »

L’évêque, prédicateur de l’action de grâce

Une fois devenu évêque, saint Augustin invite tous ses fidèles à devenir des êtres d’action de grâce, des témoins de la louange. Mais notons bien : pas seulement s’ils sont dans l’abondance, la santé ou les succès. Non, répète-t-il : « mais en tout temps ; c’est-à-dire et dans ce moment, et lorsque cette prospérité, soit pour un temps, soit par l’ordre du Seigneur, sera troublée, que ces biens te seront enlevés, qu’ils écloront plus rarement, qu’à peine éclos ils disparaîtront – C’est lui qui les donne, c’est lui qui les retire ; mais il ne se retire point de celui qui le bénit. » Or le contexte de la vie d’Augustin inviterait plutôt à geindre et conduirait aisément à un pessimisme inquiet. En effet, les Goths d’Alaric ont envahi Rome en 410, les Huns ont passé la Volga, repoussant devant eux les Vandales qui passent en Espagne puis en Afrique. Sont-ce les derniers temps ? Beaucoup l’évoquent. Et voici l’évêque qui exhorte pourtant à l’action de grâce ! Quelle exigence pour nous qui opposons souvent à la bienveillance de Dieu un regard pessimiste, ne voyant souvent que les éléments sombres du tableau de notre propre histoire. Augustin invite à une disposition très profonde : glorifions Dieu, non pas en lui apportant quelque chose qui serait notre propriété, mais en lui rendant, en lui offrant ses propres dons. Car tout nous est venu par lui.

L’homme du “Deo gratias”

La joie et l’action de grâces correspondent alors à la posture la plus authentique du chrétien, qui laisse agir en son cœur Dieu lui-même en ses dons. Voyons-là un “optimisme augustinien”. Pour notre saint, l’homme qui serait totalement dans l’action de grâces serait un chrétien vraiment incorporé à son Sauveur. « On ne peut rien penser, rien dire, rien écrire de meilleur que ces mots : “Rendons grâce à Dieu !” Rien de plus court à dire, de plus agréable à entendre, de plus grand à comprendre, de plus utile à faire : Deo gratias ! » « Souvent, rapporte Augustin, les chrétiens africains se saluaient en disant “Deo gratias !”» Aujourd’hui encore, il nous enseigne : « Chrétiens, vous êtes des “Deo gratias !”, des hommes de la louange. »

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“Prêtre” de la louange de la création

Cette attitude profonde invite aussi à renouveler notre regard sur le monde et la création. Augustin fut un homme de beauté et d’émerveillement. Converti, il reste un homme profondément sensible. Il s’enthousiasme et remercie Dieu devant la germination et la multiplication des grains de blé, ou devant un paysage harmonieux. Comprenant que la création, dans sa beauté sensible, peut mener la méditation vers le Créateur lui-même. Augustin voit là une étape nécessaire de la vie spirituelle : il faut remonter, au travers des choses sensibles et visibles, vers Dieu. Ce chemin passe par nos cœurs, car c’est dans ce sanctuaire que peut être purifié et ordonné l’amour des êtres créés.

Augustin nous propose alors une démarche très belle. En effet, les créatures, par elles-mêmes, n’ont ni voix ni cœur pour louer Dieu. Et pourtant : « Elles-mêmes louent Dieu en quelque manière – Comment louent-elles le Seigneur ? C’est qu’en les voyant, nous nous reportons au suprême ouvrier qui les a créées, et de là vient en nous la louange de Dieu ; or, quand on loue Dieu en considérant toutes les créatures, toutes les créatures louent Dieu. »

Le chrétien devient comme le « prêtre de la création », il offre celle-ci à Dieu, il est médiateur. L’âme de louange, – « âme eucharistique » – fait de la terre le chemin du ciel. Employons une expression augustinienne, et disons que notre cœur est vraiment l’encensoir de la louange de Dieu.

Nous élevons le monde par notre louange, et nous nous grandissons en l’accomplissant : C’est « le Seigneur lui-même qui nous engage à louer le Seigneur. Ce n’est point lui, mais nous que grandissent les louanges que nous lui donnons ; tes louanges n’élèvent point le Seigneur, tes blasphèmes ne l’abaissent point. Mais toi, en louant sa bonté, tu en deviens meilleur, et pire en le blasphémant. Pour lui, il demeure ce qu’il est dans sa bonté – C’est à nous que revient l’avantage de louer le Seigneur ».

Être louange

Néanmoins saint Augustin nous demande la cohérence. La vérité de la prière se vérifie dans l’engagement d’une vie. La prière est aussi un signe, qui ne doit pas mentir ; elle doit refléter l’authenticité profonde de notre charité intérieure, elle nous engage à l’unité de vie : « Louez le Seigneur, mais louez-le de tout vous-mêmes ; c’est-à-dire, non seulement de la langue, mais de la voix, mais aussi de toute votre conscience, dans toute votre vie, dans tous vos actes. Nous louons Dieu dans l’Église, maintenant que nous y sommes assemblés ; et que chacun se retire chez soi, il semble dès lors interrompre cette louange. Mais qu’il ne cesse de bien vivre, et il ne cesse de louer Dieu. Cesser de louer Dieu, c’est t’écarter de la justice, et de tout ce qui lui plaît. »

Oui, la vie est un chant et un chant de louange. Mal vivre, c’est faire mentir la prière : « Si jamais tu ne t’éloignes du bien, ta langue peut bien se taire, mais ta vie est un chant, et Dieu a l’oreille sur ton cœur. La louange seule digne de Celui que vous chantez, c’est le chanteur lui-même. Vous voulez vraiment louer Dieu, soyez vous-mêmes ce que vous chantez ; vous êtes une louange à Dieu si votre vie est sainte… Vous cherchez où est la louange ? Considérez- vous vous-mêmes ! Vous êtes cette louange ! »

Vers l’alléluia de la patrie céleste

Notre vie est un pèlerinage vers la Patrie. Mais nous devons marcher en communauté. La louange liturgique nous unit dans une même intention, par un même chant. Augustin évêque évoque souvent cet alléluia de la liturgie : « Vous savez effectivement que dans notre langue Alléluia signifie “Louez Dieu” ; ainsi, en redisant ce mot avec l’accord sur les lèvres et dans le cœur, nous nous excitons mutuellement à louer le Seigneur. C’est pour nous le chant du voyageur ; mais en traversant nos laborieux sentiers, nous cherchons le repos de la patrie, et là, toute autre occupation cessant, nous n’aurons plus qu’à redire l’alléluia. » La louange et l’action de grâce anticipent ici-bas ce que nous serons plus tard. Comme la fumée de l’encens qui s’élève, conduisant le regard vers les voûtes, l’âme voit plus haut, plus avant.

« Oh ! le bienheureux alléluia de là-haut, dans quelle sécurité nous le chanterons, là où il n’y aura plus d’adversaire ; où toute inimitié aura fait place à une inaltérable amitié ! Louange à Dieu là-haut ! Louange à Dieu, ici-bas. » Ainsi saint Augustin, par la louange , nous entraîne à l’espérance. Et en ces temps difficiles, laborieux, continuons à louer comme il le fait : « C’est l’espérance qui fait ta vie. Que l’espérance te porte à louer Dieu, te porte à le chanter. Ne chante point ce qui te fait mourir, chante ce qui te fait vivre. »

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