Accueillir la correction fraternelle comme un signe de l’Esprit-Saint

Témoignage du père Yves Guerpillon

Le père Yves Guerpillon est prêtre de l’Emmanuel. En 2019, il reçoit de la part de ses frères de communauté une correction fraternelle vigoureuse. Tombé de son piédestal, cette expérience lui a permis d’accueillir sa vulnérabilité comme une chance pour lui et pour les autres. De cet « effondrement intérieur » a jailli une humanité authentique. Il témoigne.

Photo Yves Guerpillon 2

« En 2019 j’étais le curé d’une grosse paroisse depuis 4 ans. Comme prêtre dynamique et missionnaire, j’étais très déterminé à transformer ma paroisse au risque d’être trop directif.

Un jeudi soir du mois de juin, quelques jours après la Pentecôte, les responsables de province de la Communauté de l’Emmanuel de l’époque viennent me voir et me disent que mes frères et sœurs ne me supportent plus, mes paroissiens non plus et que la situation ne peut plus durer. La critique qu’ils me font est d’avoir mis en premier l’efficacité au détriment de la relation devenue déshumanisée. Ils ajoutent que la situation est tellement sérieuse qu’ils ont jugé bon d’écrire une lettre au comité prêtres de la communauté.

Sur le moment, je ne comprends pas ce qui m’arrive mais je sais que je veux le vivre avec le Seigneur. Encore sous le choc, je termine ma soirée dans l’oratoire et je décide de me remettre dans les mains de l’Esprit-Saint. Je sens confusément que Dieu m’invite à me laisser faire, à me laisser conduire par Lui.

Le lendemain, je craque. Beaucoup d’émotions, beaucoup de larmes. Je vis comme un « effondrement intérieur » : quelque chose comme une armure s’écroule à l’intérieur de moi. Je commence à prendre conscience que j’étais en train de vivre un début de burn-out. Je prends la mesure d’un décalage entre ma perception de ce que je faisais et la perception de mon entourage. C’est un moment douloureux et angoissant.

Très vite, le Seigneur m’envoie un « bon Samaritain », un simple frère de communauté dont je suis proche et qui va se rendre disponible pour être à mon écoute. Je ressens le besoin de l’appeler, de me confier à lui, de pleurer… c’est une épaule précieuse dans ce temps que je traverse.

Rapidement, je pars me mettre « au vert » et me reposer, car je ne suis plus capable de conduire la paroisse. Dans ce chalet familial à la montagne où je prends du recul, je vis un moment très beau et très douloureux en même temps. Douloureux car j’expérimente une extrême sensation de vulnérabilité et beaucoup de remises en question sur ma capacité à être curé. Beau car je suis dans une grande proximité avec le Seigneur, le Saint Sacrement est dans ma chambre. Quand je me réveille la nuit, angoissé, Jésus est là, avec moi.

« Je suis saisi d’un doute intérieur très profond sur moi-même mais ma confiance en Dieu est absolue. »

C’est au cours de ces quelques jours que je vis le moment le plus difficile de cette épreuve : une nuit, je me réveille avec l’impression d’être sous une chape de désespoir, d’être gagné par un sentiment d’absurdité et une vraie tentation suicidaire. N’ai-je pas complètement raté ma vie ? Ne me suis-je pas menti à moi-même ? Ai-je vraiment donné ma vie au Seigneur ? Je suis saisi d’un doute intérieur très profond sur moi-même et confronté à une angoisse d’une rare puissance, je pense avoir touché le fond.  Je crois que j’aurais pu être submergé mais ma confiance en Dieu est absolue et je crie vers le Seigneur. Il est là, il est le rocher sur qui je m’appuie. A cet instant précis, la présence du Saint Sacrement est une consolation vitale pour moi.

Avec le recul, c’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à remonter la pente. Il m’a semblé que lors de cette nuit particulière j’avais vécu quelque chose du mystère pascal.

De retour à la paroisse, je décide de commencer un accompagnement thérapeutique. Il durera près d’un an et me permettra une relecture fructueuse de ma manière de fonctionner, de gouverner, d’entrer en relation… Fortifié par l’Esprit Saint, j’ai pu reprendre rapidement mon activité dans la paroisse.

Aujourd’hui, en relisant cette épreuve, j’identifie trois éléments à cette expérience marquante. D’abord, une raison personnelle : j’ai touché mes limites relationnelles. Ce qui s’est effondré est une sorte de protection de moi-même destinée à masquer ma propre vulnérabilité, ma fragilité, bref mon humanité au sens authentique du terme. Ensuite, une raison liée à la nature des relations avec mes responsables et enfin une ambiguïté dans la répartition des responsabilités entre paroisse et communauté.

« L’Esprit-Saint m’a toujours contrarié mais en mieux. »

D’autre part, je me souviens que le jour de la Pentecôte 2019, quelques jours avant cette correction fraternelle, après l’homélie, j’avais proposé à mes paroissiens de demander ensemble l’Esprit-Saint pour qu’il nous soit donné comme si c’était la première fois. Je me suis mis à genoux devant l’autel et nous avons invoqué l’Esprit-Saint ensemble. Je crois que l’Esprit-Saint m’a pris très au sérieux ce jour-là ! J’ai compris que ce qui m’était arrivé avait été non seulement permis mais accompagné par l’Esprit-Saint. Avec le recul, je peux dire que cette épreuve ne m’a pas démoli mais elle m’a plutôt construit. J’ai été très frappé par une phrase du bienheureux père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus que je lisais à ce moment-là. Il écrit : « L’Esprit-Saint m’a toujours contrarié mais en mieux. » C’est exactement ce que j’ai vécu.

En janvier 2020, 6 mois après donc, est arrivé un événement inattendu : Mgr Dubost, administrateur de mon diocèse à l’époque, m’a demandé de devenir vicaire épiscopal territorial*. Avec le recul, j’ai l’impression que le Seigneur m’avait en quelque sorte préparé à cette mission délicate en me faisant expérimenter ma propre vulnérabilité. Désormais je suis davantage capable d’écouter et de comprendre les autres prêtres. Je n’ai pas plus peur d’accueillir ma fragilité et celle des autres. L’Esprit-Saint m’a contrarié pour quelque chose que je n’aurais jamais pu anticiper ou même imaginer.

Je crois aussi que cet événement m’a fait vivre une expérience de docibilitas. Cette vertu correspond à la capacité d’apprendre de ses expériences, de la Parole de Dieu, de ses relations pour grandir en sainteté. En effet, le travail que j’ai fait sur moi-même m’a permis d’apprendre de ce que j’avais vécu et d’en faire une force pour aider d’autres à avancer et à grandir en humanité.

Enfin, cet épisode de ma vie parle aussi des relations entre prêtres et laïcs, entre curé et paroissiens. Il faut veiller à ce que les prêtres ne soient pas sur un piédestal pour éviter que l’autorité qu’ils détiennent, particulièrement lorsqu’ils sont curés, ne se transforme en abus de pouvoir. Le pasteur n’est pas un général d’armée ou un capitaine d’industrie. Mes frères laïcs ont eu le courage de venir me parler. Je leur sais gré d’avoir osé être en vérité avec moi. Ils ont exercé à mon égard ce qu’on appelle la correction fraternelle. C’est une bonne chose car les corrections fraternelles sont des occasions de croissance lorsqu’elles s’enracinent dans un amour fraternel, effectif et réel. Evidemment c’est forcément douloureux – un peu comme un accouchement. Mais la douleur fait place à la joie de la croissance en humanité.

*Le vicaire épiscopal territorial se voit confier la responsabilité d’une partie du territoire diocésain, le suivi de nombreuses paroisses et de leurs prêtres. Il est chargé des entretiens de fin d’année des prêtres de son territoire.

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