Mgr Xavier Malle a vécu les rencontres méditerranéennes. Interviews avant-après.

Ces 2 interviews de l’évêque de Gap, avant et après la venue du pape à Marseille,  propose l’éclairage d’un évêque qui a vécu de l’intérieur ces Rencontres  Méditerranéennes.

AVANT : Interview de Xavier Malle du 16 septembre par Vatican News.

(republié ici avec leur aimable autorisation)

Mgr Xavier Malle, évêque de Gap et d’Embrun, conduit une délégation de douze personnes des Hautes-Alpes aux Rencontres méditerranéennes de Marseille, composée de membres de la pastorale des migrants du diocèse, du Refuge solidaire de Briançon, du Secours catholique local et d’une Malienne réfugiée politique. Ils seront présents aux côtés du Souverain pontife vendredi 22 septembre près de la stèle dédiée aux marins et et migrants disparus en mer à Notre-Dame de la Garde.

Delphine Allaire – Envoyée spéciale à Marseille

Qu’attendez-vous du moment de recueillement du Pape à Notre-Dame de la Garde auprès de la stèle pour les marins et migrants disparus en mer?

Il faut rappeler que les migrants meurent aussi en montagne. Pour cette raison, le cardinal Jean-Marc Aveline m’a invité à participer à cette prière avec une délégation des Hautes-Alpes. Pour moi, c’est une manière de rendre hommage et de remercier tous les aidants, tous les solidaires qui œuvrent dans les Hautes-Alpes pour l’accueil des personnes migrantes passant par les montagnes, et qui, à leur arrivée, sont épuisées, car passées par des cols de haute altitude. Nous sommes un petit département de transit. Ces personnes ne restent pas chez nous, mais reprennent la route vers les grandes villes. 

Notre délégation compte douze personnes: des personnes du Refuge solidaire à Briançon où nous avons justement fermé l’un des refuges de Briançon face à l’afflux ingérable; des personnes de Gap, où l’on connait d’autres difficultés, et des membres de la commission pastorale des migrants du diocèse de Gap-Embrun.

Il y aura aussi dans la délégation une personne migrante qui vit à Gap actuellement. Elle fait partie de la pastorale des migrants. Il s’agit d’une Malienne arrivée avec son fils. Elle s’est échappée, a fui la famille parce que le père de l’enfant voulait l’embrigader chez les djihadistes. Son fils a obtenu le statut de réfugié politique et la maman, comme mère d’un enfant réfugié, l’a obtenu aussi. Depuis, son fils a grandi. C’est un vrai joueur de basket, il est très grand. Il est scolarisé au collège Saint-Joseph à Gap. Se rendre à Marseille est l’occasion de mettre à l’honneur toutes ces personnes qui ont dû fuir. Le thème de la Journée mondiale des migrants de dimanche traite de la liberté de partir ou de rester. Là, nous voyons bien qu’ils n’étaient pas libre de rester.

Dans quel état d’esprit votre délégation des Hautes-Alpes se prépare à ce moment avec le Pape?

Ils l’attendent avec impatience, comme une reconnaissance, aussi parce qu’actuellement, au moment même où nous parlons, c’est un temps de crise à Briançon où tous se posent de grandes questions sur l’accueil. La difficulté, c’est que quelle que soit la structure que l’on va pouvoir mettre en place, qu’on va pouvoir reprendre, comme les terrasses solidaires que nous allons réouvrir, nous seront forcément dépassés. Comment faire? Peut-on fermer la porte à quelqu’un qui arrive à 2 heures du matin après avoir gravi une montagne dans la neige? Ce sont des vraies questions difficiles pour eux. Ce sera donc un temps de réflexion sur leurs actions, de bilan, de relecture.

Quel est le rôle de l’Église locale dans cet accompagnement, comme vous l’expliquiez, vous faites face à des limites. Comment parvenez-vous à vous positionner sur cette délicate ligne de crête?

Nous jouons le rôle de médiation. Une des difficultés en effet est qu’il y a peu de dialogue entre les solidaires, la préfecture, le département, la police. Je propose cette médiation régulièrement. Ce n’est pas très entendu mais, il me semble que, de temps en temps, nous pouvons faciliter les choses. Nous prenons aussi notre part dans l’accueil à la fois par des chrétiens individuellement ou, à Gap, par un presbytère qdédié à cet accueil des mineurs non accompagnés (MNA).

Il y a un autre aspect, celui de la formation des consciences, des chrétiens en particulier, sur cet accueil des réfugiés, qui pour nous est tout simplement le respect de la dignité de toute personne humaine. Mais la communauté chrétienne est comme toute la communauté humaine en France, divisée sur ce sujet-là et on le comprend, il y a des peurs légitimes. Il ne s’agit surtout pas de juger ces peurs mais de les surmonter par la rencontre.

Quel discours, quels mots, quelle attitude employer pour ce faire?

Je dis toujours que je n’ai pas la solution, et en fait, personne n’a la solution donc je n’ai pas de propositions à faire ou de leçons à donner à qui que ce soit. La seule chose que nous ayons à faire comme chrétiens, c’est d’être saints là où le Seigneur nous a plantés. Moi comme évêque, le curé de Briançon à Briançon, les paroissiens de Briançon à Briançon, les paroissiens de Gap à Gap. De faire au mieux, mais c’est exactement la même chose -et j’en ai discuté assez souvent avec les forces de l’ordre- de faire au mieux de manière la plus humaine qu’il soit où ils sont placés et c’est difficile pour eux aussi et je reconnais volontiers qu’ils ont une tâche très difficile.

Quelles sont les limites que je pose? Il n’est pas illégitime de poser des limites, mais lesquelles sont les plus respectueuses de la dignité humaine? Nous tournons en rond, nous ne trouvons pas de solutions… La seule chose pour nous, c’est d’essayer de faire les choses avec humanité là où est placé et de vivre l’Évangile Matthieu 25:35 «Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger». À Briançon, il est impossible de dormir dehors la nuit. Il fait trop froid. Nous sommes en haute montagne. C’est quelque chose qui m’a beaucoup frappé et qui est très commun, je pense, avec ce qu’ils vivent en Méditerranée. En montagne comme à la mer, nous ne laissons pas les gens mourir, nous allons les chercher, nous allons les sauver. C’est aussi une raison pour laquelle je pense à Briançon, la population est plutôt accueillante parce qu’il y a cette solidarité de la montagne. En montagne, nous ne pouvons pas vivre seul et donc il y a une solidarité naturelle pour les personnes, et je crois que c’est pour ça que nous les accueillons. Une autre raison m’est aussi venue. Nombre de Haut-Alpins ont dû, pour des raisons économiques, migrer. Nous étions un département très pauvre dans les deux guerres mondiales. Beaucoup sont partis aux États-Unis, au Mexique. Certains sont revenus mais d’autres sont restés. Ils savent qu’un certain nombre de membres de leurs familles a dû quitter la région pour survivre et ils comprennent que d’autres arrivent aussi pour survivre.

Comment regardez-vous l’action du Pape François en la matière?

Je trouve qu’il a un don du Seigneur, un charisme, qui est de mettre le doigt là où ça fait mal: sur la pastorale familiale ou par rapport à la migration. Et là où ça fait mal, c’est tout simplement comment être un chrétien dans cette situation qui est inextricable et internationale. Comment traiter les gens avec humanité, parce qu’ils sont infiniment aimés de Dieu comme chacun d’entre nous. Le Pape a ce charisme d’éveiller les consciences à ces zones de fracture du monde. Or, dans ces zones de fracture passe la grâce. Ce sont des lieux où nous, chrétiens, devons être.

APRES : Interview de Mgr Xavier Malle le 27 septembre.

Par Louis-Etienne de Labarthe

Vous avez participé aux journées méditerranéennes, pourtant votre diocèse n’est pas sur la mer…

Mon diocèse a une frontière de montagnes avec l’Italie, mais en fait, vous pouvez remplacer « mer » par « montagne », et on a la même réalité sur les défis migratoires qui touchent la Méditerranée. J’ai donc aussi été invité à y participer.

Je l’ai vécu à plein depuis le mercredi soir jusqu’au dimanche avec les 70 évêques et 70 jeunes. Au début j’étais un peu dubitatif : qu’est-ce qui pourra bien rester après ces 3 jours ? Nous avons vécu un très beau moment. C’était un peu comme dans le livre de Joël : « vos anciens seront instruits par des songes, et vos jeunes gens par des visions. »

Il y a eu évidemment la joie et la richesse de toutes les rencontres personnelles. Le travail en groupe a aussi été magnifique. Il y avait des groupes mixés mais aussi des groupes entre évêques et des groupes entre jeunes avec une pédagogie très bien préparée et vraiment intéressante. On m’avait demandé d’animer un groupe mixte, jeunes et évêques, sur le thème de la « guérison de mémoire ». Beaucoup de peuples ont une mémoire très blessée. Il suffit de penser aux Palestiniens et aux Juifs, aux Algériens et aux Français… 

Que restera-t-il de ces rencontres ?

D’abord, cette expérience nous a changé. Ces rencontres « à hauteur de visage » » comme le disait le cardinal Aveline, procurent la joie et nourrissent la fraternité. Elles construisent aussi la paix. Les jeunes qui étaient présents auront peut-être des responsabilités importantes dans leurs pays dans les années à venir. Ils ont été forcément marqués par ces rencontres. Je pense, par exemple, à ce jeune syrien musulman qui a participé à ces journées. Ce sera sûrement un homme de paix pour demain dans son pays.

Ensuite, il y a eu beaucoup de bonnes idées échangées dans ces groupes de travail. Je crois que la synthèse n’a pas encore été publiée. Pour que ce travail soit vraiment poursuivi, a été proposée la création d’une assemblée ecclésiale de la Méditerranée. L’idée semble avoir retenu l’attention du pape.

Il y a eu au même moment une rencontre très intéressante et peu médiatisée des directeurs diocésains de l’enseignement catholique de tous ces diocèses méditerranéens pour réfléchir ensemble comment transmettre la pédagogie du dialogue dans les écoles catholiques de tous ces pays. Il y a eu aussi une rencontre des théologiens de tous ces diocèses qui ont produit un manifeste qui reprend leurs réflexions. Tout cela était très riche.

Une étincelle de paix a jailli de ces rencontres et nos regards ont changé. Un des moments qui m’a le plus ému pendant ces rencontres, c’est le témoignage de l’évêque de Tirana. Il a lui-même un parcours de migration incroyable. Je vous encourage à lire son témoignage (Voir la vidéo)

Comment avez-vous vécu ce moment de recueillement et de prière pour les marins et migrants disparus en mer ?

J’y ai participé avec 12 personnes de mon diocèse engagées auprès des personnes migrantes. C’était un très beau temps de recueillement et de prière. C’était aussi un temps pour remercier tous ces solidaires. Le pape s’est adressé à tous ces sauveteurs, comme ceux de SOS Méditerranée pour les remercier et les encourager. Il y avait aussi des maraudeurs de mon diocèse, qui sont des sauveteurs en montagne.

Le pape a eu des mots très forts : « Je suis heureux de voir que vous êtes si nombreux ici à prendre la mer pour sauver, pour secourir es migrants. Et tant de fois, on vous empêche d’y aller, parce que, dit-on, il manque ceci, il manque cela… Ce sont des gestes de haine contre le frère, déguisés en « équilibre ». Merci pour tout ce que vous faites. »

Je suis admiratif de ces personnes qui partent en montagne secourir les personnes en détresse, et de toutes ces personnes qui s’investissent pour venir en aide et recueillir les personnes migrantes. Certains y passent leurs journées, leurs nuits, leur santé… Il y a des gens exceptionnels. Il ne faut pas les confondre avec les “no-border” qui sont des militants politiques qui ne s’occupent pas d’abord des personnes mais instrumentalisent les migrants pour leur cause. J’étais heureux que tous ces solidaires soient remerciés pour leur engagement.

Que retenez-vous du message du pape en présence des évêques et des jeunes, mais aussi du président Macron et d’autres personnalités politiques ?

C’était bien que le président soit là. C’était courageux de sa part car il s’avait ce qu’il allait entendre. Le pape aussi a été courageux. Il a été très clair : « Ceux qui risquent leur vie en mer n’envahissent pas, ils cherchent hospitalité, ils cherchent la vie. Quant à l’urgence, le phénomène migratoire n’est pas tant une urgence momentanée, toujours bonne à susciter une propagande alarmiste, mais un fait de notre temps, un processus qui concerne trois continents autour de la Méditerranée et qui doit être géré avec une sage prévoyance ».

Les migrations récentes ne sont pas un fait passager, c’est un fait qui va durer. On voit bien que les décisions court terme ne sont pas opérantes. Soit on refuse de voir cette réalité, soit on la regarde en face. Cela aura des conséquences fortes. Le pape a évoqué le risque d’un naufrage de civilisation. SI on ne regarde pas les personnes, on va aller vers le pire. Le pape appelle à un sursaut et demande de regarder les personnes pour aller vers le mieux. Regarder les personnes migrantes se résume en ces 4 mots bien connus du pape François : accueillir, protéger, promouvoir, intégrer.

Il faut regarder la réalité. Moi-même je ne la connaissais pas avant d’arriver dans le diocèse de Gap. Je n’étais pas du tout conscient de ces choses-là. C’est vraiment en rencontrant les personnes et les situations que j’ai pu entrer dans cette réalité.

Et ce moment conclusif avec la messe dans le stade vélodrome ?

C’était un très beau moment de prière et de communion avec le peuple de Dieu. Les 250 fidèles de mon diocèse étaient enchantés. Le pape avait un visage recueilli.

Je crois que ce voyage à Marseille a été un grand temps fort spirituel et change des choses pour les chrétiens.

 

Bonus : témoignage de l'évêque de Tirana

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