Vatican II : le sacerdoce ministériel à sa juste place

Vatican II a remis en valeur la théologie du sacerdoce tant baptismal que ministériel, dans le cadre d’une Eglise comprise comme communion, notamment des deux sacerdoces.

Par Fr. BENOÎT-DOMINIQUE DE LA SOUJEOLE, O.P.

Cet article est paru dans la revue Il est vivant! n°363

Le concile Vatican II est à la fois un point d’aboutissement et de “redépart”. Il intervient comme fruit du renouveau de la théologie (biblique, patristique, scolastique…) initié à la fin du XIXe siècle. Il s’agissait de retrouver dans la vision de l’Église la grande perspective qui avait été comme “comprimée” à la suite de la naissance de la Réforme pour les besoins de la réponse catholique. Par exemple, le sacerdoce baptismal étant pour Calvin le seul sacerdoce au sens précis à participer de celui du Christ, la réponse catholique a insisté fortement sur le sacerdoce ministériel avec le risque de sous-évaluer la condition baptismale. Le Concile a par conséquent remis en valeur la théologie du sacerdoce, tant baptismal que ministériel. À la suite de Vatican II, notamment dans le Catéchisme de l’Église catholique (1992), il convient de présenter de façon renouvelée la condition du ministre ordonné dans le cadre voulu par le Concile d’une Église comprise comme communion, notamment des deux sacerdoces. L’Église-communion est la communauté chrétienne engendrée par la prédication de l’Évangile et la célébration des sacrements. Ainsi posée dans l’existence, elle vit de la vie reçue du Père, par le Fils dans l’Esprit. Cette vie s’exprime essentiellement par la charité. D’où la “définition” de l’Église comme communion : la communauté de ceux qui vivent de la charité reçue de Dieu.

La source qu’est le Christ

Le Verbe par son Incarnation rend pleinement sainte l’humanité singulière qu’il reçoit de la Vierge Marie. Cette plénitude de grâce (Jn 1,14) a trois caractéristiques : prophétique, sacerdotale et royale. Elle est destinée à se communiquer aux hommes pour leur salut (Jn 1, 16), et cette communication se fait selon deux participations réellement distinctes et complémentaires : la grâce baptismale et la grâce ministérielle1. C’est ainsi que tant les fidèles que les ministres sont, chacun à sa façon, prophètes, prêtres et rois.

La communauté issue du Christ

Le thème biblique qui porte cette présentation de la communauté chrétienne est celui de l’Église-Corps dont le Christ est la Tête2. À l ’image du corps biologique, saint Paul énonce quatre caractéristiques fondamentales du Corps ecclésial : son unité, la diversité de ses membres, leur complémentarité et leur réciprocité.

L’unité de l’Église est donnée par son “âme” qui rassemble et vivifie les membres. Cette âme est l’Esprit Saint en personne et la vertu de charité qu’il donne. L’unité est première en importance comme pour le corps biologique : si un membre n’est pas vivifié par l’âme, il meurt.

La diversité est grande dans la communauté chrétienne. Diversité humaine (hommes-femmes, jeunes-vieux, riches-pauvres, savants-humbles…), diversité aussi de dons (les charismes), de conditions historiques, culturelles… Bref, une pluralité extrêmement développée qui est une richesse.
Dans cette diversité il y a une distinction fondamentale qui est celle des laïcs et des ministres. La raison d’être majeure de l’institution des ministres par le Christ est de signifier l’origine de la grâce : le Christ. À ce titre, la condition laïque manifeste la réception de la grâce et les fruits de charité qu’elle porte dans la communauté.

La complémentarité dans la communauté chrétienne est comparable à celle de l’orchestre. Tous les instruments, unis et divers, apportent leur note propre pour un résultat unique qu’est la symphonie. Par exemple, l’enfant reçoit l’Évangile tant du ministre (catéchisme) que de ses parents.

La réciprocité explique que la relation ministres-fidèles n’est pas à sens unique. Si le ministre, par exemple, préside l’Eucharistie pour accomplir la consécration du pain et du vin manifestant ainsi sacramentellement la présence du Christ dans son offrande au Père, c’est pour que les fidèles participants accomplissent leur propre sacerdoce qui est de s’offrir soi-même, un avec le Christ, au Père (Rm 12, 1-2). C’est grâce à cette réciprocité que la perfection de la célébration eucharistique est atteinte : le sacrifice du « Christ total », Tête et Corps, le mystère de l’Église, comme l’écrit saint Augustin.

La vocation de ministre

Il participe aux trois qualités, prophétique, sacerdotale et royale, du Christ. Il convient de noter en premier la qualité de prophète. Est prophète celui qui parle au Nom de Dieu. C’est l’office de la prédication qui vient en premier parce qu’il a pour raison d’être de proposer la foi (Rm 10, 17 : « La foi vient de la prédication »), et si l’auditeur a déjà la foi, il s’agit de la nourrir pour qu’elle grandisse, notamment en pénétrant toujours plus dans la vie du croyant. Elle est nécessaire pour recevoir avec fruit les sacrements.

La responsabilité proprement sacerdotale (célébrer les sacrements) est le “cœur” du ministère parce qu’il s’agit là de donner réellement la grâce sanctifiante annoncée par la prédication. Les sacrements, au plus haut point l’Eucharistie, contiennent tout le trésor de l’Église, la participation effective à la vie même de Dieu. La royauté, enfin, intervient alors que la communauté est née et vit de l’Évangile prêché et des sacrements célébrés. Il s’agit alors de porter un fruit, et un fruit qui demeure (Jn 15, 4-5). C’est tout le domaine des “œuvres”, c’est-à-dire de la charité qui pénètre toute la vie, guide tous les actes. Le ministre est principalement celui qui authentifie une œuvre comme fruit de la charité, qui insère les initiatives particulières des fidèles dans la vie de la communauté ; il prend ainsi soin de la communion vivante qu’est l’Église.

Deux rappels du pape François

Le concile Vatican II a été célébré de 1962 à 1965. Son enseignement a maintenant presque 60 ans. Il convient de veiller à ce qu’il entre toujours plus et mieux dans la vie de la communauté chrétienne. Le pape François a relevé deux points qui sont à parfaire encore pour une pleine réception du Concile : la complémentarité ministres-fidèles et leur réciprocité. La démarche synodale initiée en 2021 s’achèvera en 2025 par le texte final du pape. Elle est la mise en pratique, à l’échelle de l’Église universelle, de la complémentarité dans le peuple de Dieu. Pour relever le défi pastoral et missionnaire dans le contexte actuel de la mondialisation, il faut que tous les membres de la communauté, à quelque place qu’ils soient, concourent en vue des discernements à faire. Que ce soit sur la place et le rôle de la femme dans l’Église et la société, l’importance à reconnaître aux jeunes, la nécessité du dialogue… Il y a des éléments de réponse que le dialogue ministres-laïcs doit apporter. À vrai dire, le mode de vie synodal, à tous les niveaux de l’Église, est une donnée traditionnelle. Elle avait été diminuée depuis quelques siècles, et il faut la revivifier maintenant.

Le pape François dénonce régulièrement le “cléricalisme”. Avant d’être un travers moral (le goût du pouvoir), il s’agit d’une imperfection proprement doctrinale : la relation clerc-laïc n’est pas à sens unique, mais doit être réciproque. On l’a illustré ci-dessus par le concours nécessaire pour que l’Eucharistie atteigne sa finalité : par l’œuvre des deux sacerdoces le « Christ total » se forme et si l’un des deux est absent, cette épiphanie sacramentelle du mystère de l’Église n’a pas lieu.
On l’aura bien compris : le sacerdoce ministériel n’a pas à être inventé ; il nous est donné par le Christ. Cependant il faut toujours en ressaisir toute la profondeur et la place qu’il a dans la communauté chrétienne. Il n’y a rien à y ajouter ni à en retrancher ; il faut qu’il soit lui-même, totalement lui-même, rien que lui-même.

1. Cf. Vatican II, Constitution Lumen gentium (cité LG) n° 10 § 2.
2. L’origine est en saint Paul : 1 Co 12 ; Rm 12 ; Col.1 et Ep.1. Cf. LG n° 7.

À la fois père et frère

Il est fréquent d’appeler les prêtres « père ». Certains préfèrent cependant rappeler la qualité fondamentale chrétienne qui est celle de frère ou de sœur dans le Christ. C’est ainsi que, le plus souvent, l’apôtre saint Paul s’adresse aux chrétiens qu’il a évangélisés.

Il faut éviter d’opposer ces deux façons de voir, qui sont justes toutes les deux. Bien sûr, dans l’ordre naturel, une personne ne peut être à la fois père et frère d’une autre ; ce sera l’une ou l’autre qualité. Il convient donc, à la lumière du mystère de l’Église, d’accorder ces deux appellations.

Un père transmet le don fondamental de la vie (avec le concours de la mère). Ainsi le prêtre peut-il être appelé en vérité « père » parce qu’il transmet prêchant l’Évangile et célébrant les sacrements, rien moins que la vie de la grâce. Mais le père naturel transmet la vie avec des particularités propres (par exemple, un patrimoine génétique) alors que le prêtre-père ne transmet la vie divine, non pas à partir de sa propre vie spirituelle mais comme un serviteur. C’est la limite de la comparaison. Un frère ou une sœur sont unis par la même vie reçue d’un même père (et mère). Et c’est bien le cas de tous les baptisés, quelle que soit leur vocation : c’est la même vie divine de foi, d’espérance et de charité dont vivent les prêtres et les fidèles. C’est pourquoi les uns comme les autres prient, se confessent…

Dire « père » à un prêtre désigne son service de transmission de la vie ; dire « frère » à un prêtre signifie le partage de la même vie de Dieu.

Fr. Benoît-Dominique de La Soujeole

Pour aller plus loin, B.-D. de La Soujeole, Paternités et fraternités spirituelles, Cerf.

Pour aller plus loin

L’ordination épiscopale, plénitude du sacrement de l’Ordre
1555 « Parmi les différents ministères qui s’exercent dans l’Église depuis les premiers temps, la première place, au témoignage de la Tradition, appartient à la fonction de ceux qui, établis dans l’épiscopat, dont la ligne se continue depuis les origines, sont les sarments par lesquels se transmet la semence apostolique » (LG 20).

1556 Pour remplir leur haute mission, « les apôtres furent enrichis par le Christ d’une effusion spéciale de l’Esprit Saint descendant sur eux ; eux-mêmes, par l’imposition des mains, transmirent à leurs collaborateurs le don spirituel qui s’est communiqué jusqu’à nous à travers la consécration épiscopale » (LG 21).

1557 Le deuxième Concile du Vatican « enseigne que, par la consécration épiscopale, est conférée la plénitude du sacrement de l’Ordre, que la coutume liturgique de l’Église et la voix des saints Pères désignent en effet sous le nom de sacerdoce suprême, de réalité totale (summa) du ministère sacré » (Ibid.).

1560 Chaque évêque a, comme vicaire du Christ, la charge pastorale de l’Église particulière qui lui a été confiée, mais en même temps il porte collégialement avec tous ses frères dans l’épiscopat la sollicitude pour toutes les Églises : « Si chaque évêque n’est pasteur propre que de la portion du troupeau confiée à ses soins, sa qualité de légitime successeur des Apôtres par institution divine le rend solidairement responsable de la mission apostolique de l’Église » (Pie XII, enc. Fidei donum ; cf. LG 23 ; CD 4 ; 36 ; 37 ; AG 5 ; 6 ; 38).

1561 Tout ce qu’on vient de dire explique pourquoi l’Eucharistie célébrée par l’évêque a une signification toute spéciale comme expression de l’Église réunie autour de l’autel sous la présidence de celui qui représente visiblement le Christ, Bon Pasteur et Tête de son Église (cf. SC 41 ; LG 26).

CATÉCHISME DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE

Cet article fait partie du dossier thématique :Prêtres et frères, au service de tous →

Le magazine Il est vivant a publié le numéro spécial :

IEV n°363 - Prêtres et frères

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