“On ne sort jamais indemnes d’une crise… on en sort meilleur ou pire”, affirme le pape dans son ouvrage : Un temps pour changer (Éditions Flammarion, décembre 2020). Dans ce livre, né de sa propre expérience du confinement, le pape nous exhorte, sur un ton direct et libre, à rêver et à changer. Nous sommes allés à la rencontre du Père Charles Rochas, curé de la paroisse Saint-Nizier à Lyon, qui a traduit ce livre, aux côtés du journaliste et auteur britannique Austen Ivereigh et de Natalia Trouiller, qui réside à Lyon.
Propos recueillis par Caroline Lefévère
Qu’est ce qui t’a amené à traduire ce livre?
Cette aventure a été initiée par Austen Ivereigh. Lors du premier confinement, il a voulu questionner le Saint-Père à propos de la crise inédite que le monde traversait. Mais ce n’est pas un livre d’entretien : le texte a été écrit par le pape lui-même avec la collaboration d’Austen Ivereigh. Notre tâche était de veiller à la fidélité au texte original anglais et à certains aspects théologiques, tandis que Natalia Trouiller s’assurait de la qualité littéraire du texte final français. Le temps de travail de traduction a été court (un mois) et d’autant plus intense que le pape effectuait beaucoup de modifications.
Qu’est ce qui t’a marqué dans ce livre?
Il y a un côté feu d’artifice, tant les sujets évoqués par le pape sont divers. Par ailleurs, nous ne sommes pas dans un document magistériel, et François peut donc donner son avis très librement sur des sujets aussi divers que la foi, la morale, la société, l’économie, la politique. Il y a même des passages assez cash.
Il donne son avis sur la pandémie, la gestion des gouvernements, l’obéissance des catholiques aux demandes des États. Comme souvent avec le pape François, chacun en prend un peu pour son grade. Par exemple, il parle de son agacement pour les chrétiens trop rigides, pour ceux qui sont trop laxistes. Il y a de très belles pages sur la morale chrétienne, une morale qui n’est ni moralisatrice ni légaliste.
Il évoque aussi un sujet qu’il apprécie particulièrement: la notion de débordement. La mission d’évangéliser le monde jaillit d’un trop plein d’amour, un peu comme le feu intérieur d’un volcan qui déborde en éruption.
Il évoque également ses Covid personnels, ses moments de crises. Il y a une tonalité très personnelle dans ces pages, il n’hésite pas à se confier, raconter sa rencontre avec le Christ, ses études, sa thèse de théologie interrompue. J’ai été surpris qu’il aborde certains sujets d’actualité comme George Floyd, cet homme afro-américain tué par un policier à Minneapolis, dont la mort a provoqué des émeutes et une vague d’indignation aux Etats-Unis et dans le monde entier.
A plusieurs reprises, j’ai été étonné par sa liberté de ton. Il revient sur certaines polémiques ou des reproches que certains ont pu lui faire, notamment sur Amoris Laetitia par exemple.
Il y a quelques très belles pages sur la vocation de la femme “ama de casa”, une conception qui mêle tradition et modernité. Ces pages sont, à mon sens, parmi les plus belles du livre. Le Saint-Père explique ainsi pourquoi et comment il a voulu impliquer davantage les femmes dans le gouvernement de l’Eglise.
Pourquoi ce titre ?
Le titre dans l’édition originale anglaise est Let Us Dream. C’est l’éditeur français qui a choisi plutôt Un temps pour changer.
Le prologue démarre par ces mots : “Je crois que les temps que nous vivons sont décisifs.” Et le pape poursuit : “Entrer en crise, c’est passer au crible. (…) Au cours des épreuves de la vie se révèle ton propre cœur : combien il est solide, combien il est miséricordieux ; combien il est grand ou petit.”
Le pape affirme que nos manières de réfléchir sont secouées. Comme Jésus qui part au désert, ce temps est l’occasion d’une conversion extérieure et intérieure.
Dans ce livre, il parle avec son cœur, avec une certaine fougue, c’est touchant. Il reprend également certains thèmes qui lui sont chers : la mise en demeure de l’entre soi, la priorité à l’évangélisation, le service dans l’Église, auquel il ne faut pas s’attacher, la recherche effrénée de soi alors que le Christ nous demande d’être dans le don de soi.
L’Église n’est pas une citadelle de pureté, et le pape met en garde contre le néopélagianisme ou néognosticisme (cf. Gaudete et Exsultate). Nous sommes au service de la mission. Le pape nous met en garde contre une certaine forme de condescendance et de peur du monde. Il reprend également des thèmes évoqués dans Laudato Si’ : la nature humaine ne peut pas être dans la toute-puissance.
Pour moi, cela a été une expérience très impressionnante de rentrer ainsi dans la tête et le cœur du pape. Plusieurs fois, j’ai été étonné de son franc-parler et j’ai demandé confirmation à Austen Ivereigh pour vérifier que c’était bien ce que François avait voulu dire. A titre personnel, cela m’a permis de saisir encore plus l’originalité de la pensée du Saint-Père et de m’en nourrir encore plus.