Témoins de la tendresse auprès de ceux qui en manquent

Cette semaine, Fidesco met la tendresse à l’honneur. Floriane et Pierre ont été envoyés en couple en 2020 à Salvador de Bahia au Brésil, pour une mission de 2 ans. Ils sont tous les deux animateurs sociaux au sein de la paroisse des Alagados, un des quartiers les plus pauvres de Salvador de Bahia où les besoins sont immenses.

Tout au long du mois de la mission, nous vous proposons de plonger au cœur de la mission Fidesco à travers ses volontaires : véritables témoins de la joie, de l’amour, de la foi …

 2022 Boulet Bresil 2« Nos 36 enfants du matin et 32 de l’après-midi viennent du mardi au vendredi. Nous faisons avec eux des activités de portugais et de mathématiques, adaptées à leur niveau, pour leur permettre de revenir sur les apprentissages scolaires qu’ils n’ont pas acquis. Larissa, 11 ans, fait avec moi des cahiers de niveau CP. Elle m’a confié qu’à l’école, elle a du mal à suivre… Évidemment, elle est en équivalent CM1 ou CM2, et ne sait pas encore bien lire ! Mais elle est très appliquée et persévère dans la lecture. Nous créons une belle complicité lors des temps de « devoirs ». Après les devoirs, nous proposons des activités à thème. […] Nous essayons de varier les thèmes pour leur proposer une éducation de la tête, du cœur, de l’âme.

Puis vient l’heure du sacro-saint « temps de sport » : foot, corde à sauter, cache-cache, 1-2-3 soleil, épervier… La place de l’église devient leur terrain de jeu. Ce vaste espace surveillé est précieux dans ce quartier si densément peuplé ! Je leur dis souvent : « Vous êtes ici pour étudier, vous faire des amis et jouer à la récré. » Les éléments de base de la vie d’un enfant ! Le projet s’appelle d’ailleurs ainsi : « Être enfant aux Alagados », pour leur permettre d’avoir une vraie vie d’enfant 4 demi-journées par semaine !

Ce semestre, nous avons choisi le thème de la paix comme fil conducteur. Dans ce quartier blessé par beaucoup de violence sous des formes variées, nous croyons que nous pouvons offrir aux enfants un havre de paix. Nous voulons leur montrer qu’ils peuvent eux aussi être artisans de la paix.

Au Reforço, ils découvrent un lieu où les disputes se règlent par une demande de pardon, où un enfant terrible est écouté par les tias (tantes) pour savoir comment se passe la vie à la maison et à l’école.

Guilherme Vitor, 8 ans : « Tia, je peux t’appeler maman ? ». Ana Beatriz, 10 ans, vient se blottir contre moi lors de la projection d’un film. Alberto, 8 ans, un des « durs », me donne un abraço en me soufflant « Merci » le jour où il reçoit une récompense pour son bon comportement. Beatriz, 9 ans, vient s’asseoir sur mes genoux pour faire son exercice de mathématiques. Lucas, 7 ans, s’endort sur mes genoux pendant le catéchisme. Yasmin, 10 ans : « Devine qui c’est ? » me demande-t-elle quotidiennement en me cachant les yeux. Arthur, 8 ans, m’accueille chaque matin en me serrant dans ses bras plusieurs minutes. Ana Julia, 9 ans : « Ta bénédiction, ma tia ! » me demande-t-elle chaque fois qu’elle me rencontre. Les témoignages de l’amour de ces enfants sont innombrables. J’ai accroché sur un mur entier les dessins qu’ils me donnent : des cœurs, des « Tia Flor, je t’aime ». Julia, 11 ans, ne quitte pas le Reforço sans m’avoir cherchée partout pour me donner un abraço.

Souvent Vânia, la directrice du projet, qui connaît l’histoire et la famille de chacun des enfants présents, me décrit leur toile de fond familiale. Ces enfants vivent dans la partie la plus pauvre du quartier. Ils manquent donc de biens rudimentaires. Certains dorment sur un drap par terre, certains ne mangent pas tous les jours. Ce qui alerte beaucoup plus Vânia et chacun de nous qui vivons avec ces petits, c’est la démission des parents de leur rôle d’éducateurs et d’adultes référents. Comment décrire la misère sociale de ces familles, par où commencer. Nous sommes nous-mêmes effarés de découvrir l’ampleur de la déstructuration familiale. Les familles du Reforço sont toutes déchirées. Environ 1 enfant sur 10 dans cette favela a perdu un parent par assassinat. La drogue et l’alcoolisme font des ravages. Nous croisons des enfants le soir dans les rues, livrés à eux-mêmes car la maman est partie à une fête et rentrera tard, ivre, se lèvera tard sans force et sans patience pour ses enfants qu’elle n’aura pas réveillés pour aller à l’école. Nombreux sont les enfants battus par leurs parents, nombreux sont ceux qui sont abandonnés par leurs parents, vivant pourtant sous le même toit. On nous répète constamment que les enfants du Reforço sont très « carencés » : ils reçoivent peu d’amour et de marques d’amour de leurs parents.

Il semblerait que ce soit cette carence élémentaire qui les rendent si affectueux envers nous. Toutes les tias reçoivent d’innombrables marques d’affection. Et on ne s’y trompe pas : ceux qui réclament beaucoup de câlins et d’attention affectueuse de notre part sont des enfants qui en manquent cruellement à la maison ; qui, entre 7 et 11 ans, rentreront tout seuls chez eux, et personne ne les y attendra ; le soir, ils attendront devant la télé que leur maman rentre et leur donne leur pain du soir, puis elle ira se coucher en laissant l’enfant devant la télé ou le téléphone, toute la nuit.

Il faut néanmoins rendre justice à ces familles : le manque de soin est généralisé, et pourtant tous les parents ne sont évidemment pas ainsi. Nous avons des témoignages édifiants de mamans données, qui se lèvent aux aurores pour faire des petits boulots et gagner dignement et durement le pain de chaque jour. Le tableau n’est évidemment pas blanc ou noir, et les éducateurs du Reforço essaient de montrer aux enfants les efforts que font leurs parents pour prendre soin d’eux. C’est pour nous-mêmes un exercice que nous avons à faire constamment : voir la qualité de la personne, quoi qu’on sache d’elle, quoi qu’on puisse avoir à lui reprocher. C’est une vraie conversion. J’ai été particulièrement touchée d’entendre Vânia nous confier combien pour elle, qui a 10 ans de Reforço, c’est encore une conversion et un choix à refaire chaque fois qu’elle reçoit un parent dans son bureau.

Ce que l’on ne peut pas percevoir sur les photos, c’est leur odeur. En ce moment, c’est l’hiver dans la Bahia : il pleut beaucoup, il y a du vent, les enfants ont froid. L’absence de cadre parental ne les aide pas à avoir une hygiène corporelle correcte, et par conséquent ils ne se lavent pas chaque jour. Il y a un petit qui est venu toute une semaine avec de la boue dans les cheveux. Quand ils viennent dans mes bras et que je suis répugnée par leur odeur, je suis encore plus heureuse de les serrer fort. La joie d’aimer des petits repoussants. »

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