« Qu’est-ce que je crains le plus : mourir ou vivre sans demeurer en Dieu ? »

Comment les volontaires d’ONG vivent-ils la crise du COVID-19 sur leur lieu de mission ? Anne-Gaëlle, sœur consacrée de la Communauté de l’Emmanuel, est actuellement en mission à Madagascar avec Fidesco, comme médecin dans un dispensaire. Découvrez son témoignage, ainsi que le premier Podcast Fidesco.

Tu exerces une mission dans le domaine de la santé. Quels sont les principaux défis à relever dans ce domaine à Madagascar ou tu a été envoyée ?

A Madagascar, les défis au niveau de la santé sont énormes. En commençant par les règles d’hygiène de base : se laver, et se laver les mains avant de manger ou de cuisiner, laver les plaies même petites avec du savon, se brosser les dents, …. Par ailleurs, une grande partie de la population n’a simplement pas accès aux soins qui sont payants, faute de moyens financiers. Beaucoup de familles ont encore recours à la médecine traditionnelle qui fait parfois plus de mal que de bien, et retarde les prises en charge médicales. Enfin, l’automédication fait des dégâts : les familles pauvres achètent des médicaments dans la rue, sans aucun conseil et avec des molécules souvent de mauvaises qualités.

Quel pourrait être l’impact de la pandémie dans ce pays, compte tenu de l’état des infrastructures et des conditions de vie ?

Nous ne savons pas vraiment vers quoi nous avançons avec cette pandémie. Cependant  la promiscuité, l’absence d’hygiène de base, la dénutrition chronique et l’absence de structures sanitaires adaptées (il n’existe pas de réanimation en dehors de la capitale Antananarivo) font craindre le pire au niveau sanitaire.  Ajoutons à cela que beaucoup de familles vivent au jour-le-jour, sans aucune réserve d’argent ni de nourriture : un confinement strict affamerait très vite les plus pauvres, avec des risques sécuritaires rapidement importants.

Sur ton lieu de mission, comment vous êtes-vous organisés pour y faire face ? Quelles mesures sont mises en place ?

Dans le dispensaire où je travaille, des mesures importantes ont été prises dès l’annonce des premiers cas dans le pays. Nous portons tous un calot, un masque et une casaque lavable. Nous manquons de matériel de protection, mais dès les premiers jours, des infirmières ont fait des masques en tissu pour tout le personnel, que nous lavons chaque soir à la maison (sûrement pas aux normes internationales, mais c’est un début).

En 2 jours, tout notre accueil a été réorganisé. Un petit chapiteau a été monté à l’extérieur. Tous les patients qui arrivent sont invité à se laver les mains, et à mettre un masque artisanal jetable que nous fabriquons sur place (en attendant mieux). Puis en plein air, on prend la température pour tous les patients, et on fait un tri selon le motif de consultation : ceux qui présentent des signes respiratoires sont orientés en priorité vers un des médecins présents.

Pour l’instant, on organise un roulement pour ne pas travailler tous les jours, et prendre des forces avant l’épreuve physique que représenterait pour nous une épidémie dans la ville.

Au cœur de cette épreuve, de quels gestes de solidarité es-tu témoin ? Comment vois-tu Dieu à l’œuvre, malgré la pauvreté des ressources face à la menace de la pandémie ?  Qu’est-ce qui nourrit ton espérance ?

Depuis une semaine est né dans la ville un projet solidaire pour faire 100 000 masques à distribuer gratuitement aux habitants de la ville. Des fonds sont récoltés en Europe par une association, et permettent d’employer des couturières localement, qui font des masques en tissu selon les propositions européennes qu’on trouve sur Internet. Ces masques commencent à être distribués dans différents points de la ville (dont notre dispensaire) où l’on en profite pour enseigner les « mesures barrières » à la population. C’est un beau projet solidaire qui soutient l’économie locale et participe à la protection des habitants.

A l’extérieur, je vois de beaux gestes de solidarité. Je pense à une connaissance malgache qui a peu de revenus, mais a reçu une prime de son employeur au moment où nous sommes entrés en confinement pour pouvoir faire des stocks alimentaires. Avec cette prime, elle a en fait acheté des savons pour tous ses voisins qui n’ont pas les moyens d’en avoir. Je suis à la fois marquée et émerveillée de voir que ce sont souvent les personnes avec peu de ressources qui pensent aux plus pauvres qu’eux.

Par ailleurs, l’entraide est déjà là dans de petites choses concrètes : les transports de la ville ont été supprimés, alors pour venir travailler et rentrer le soir, une organisation est faite chaque jour pour aller chercher les employés du dispensaire en voiture, soit par les rares collègues qui ont un moyen de transport, soit par le chauffeur du dispensaire. Ambiance sympathique assurée !

Les messes ont été supprimées du jour au lendemain. Pour soutenir la foi des habitants, la radio locale retransmets tous les jours la messe, ainsi que des messages réguliers et encourageants de l’évêque. Les Évêques malgaches ont initié une neuvaine nationale avec un chapelet quotidien, elle a été très suivie ici. Les malgaches ont une grande foi en Dieu, qu’ils expriment plus que jamais en cette période d’incertitude.

Qu’apprends-tu au contact des plus pauvres en ce temps d’épreuve ?

Les malgaches ont un rapport à la mort et à la vie différent de l’Occident. La mort est omniprésente ici, il y a toutes les semaines un frère, un cousin, une tante qui décède jeune. Alors oui, les malgaches ont peur du Covid-19 qui peut entrainer la mort, mais ils ont des peurs plus grandes (par exemple il serait bien pire de « faire une bêtise » qui fasse qu’on ne sera pas enterré dans le tombeau familial, ce qui est pour eux la pire chose qui puisse arriver). Cela m’amène à réfléchir à mes propres peurs. Qu’est-ce que je crains le plus : de mourir, ou de vivre sans demeurer en Dieu ? D’être loin des miens en cette période d’incertitude, ou de ne pas voir ceux qui ont besoin de moi, ici, juste à côté ? Avec eux, malgré mes peurs, je me réjouis de pouvoir aujourd’hui continuer à vivre ma mission médicale, en souhaitant qu’elle reste un signe que Dieu est là dans cette épreuve, et qu’Il continue à prendre soin de chacun.

Les malgaches ont une capacité incroyable à vivre le « jour-le-jour », sans essayer de se projeter trop dans l’avenir, qui est de toute façon encore plus inimaginable en ces temps d’incertitude : cela leur donne une force admirable, j’essaie de me mettre à leur école.

Par ailleurs, la résilience des malgaches est édifiante : en toute circonstance, je les vois prendre leur courage à deux mains et avancer. Ils sont extrêmement « débrouillards », et aucune contrariété ne les arrête. C’est une vraie leçon de vie pour moi.

Quelle est l’importance du soutien des donateurs et des parrains pour toi ?

J’ai la chance d’avoir des donateurs et des parrains qui m’envoient régulièrement des petits mots pour prendre des nouvelles ou m’encourager. Cela me touche d’autant plus qu’eux aussi ont leurs craintes, leur emploi du temps bien chargé s’il y a les enfants à la maison, etc. C’est un appui extraordinaire, je dirais même indispensable pour continuer ma mission ici.


Les Podcasts de Fidesco #EPISODE 1 – Perrine et Claire [Kenya]


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