Mgr Emmanuel Dassi, évêque de Bafia au Cameroun, témoigne.
Il est l’un des 363 évêques à avoir eu la chance et le privilège de participer au synode. De retour dans son diocèse rural du Cameroun, il témoigne de la profonde fraternité vécue pendant la 2ème Assemblée Générale du synode en octobre dernier à Rome. « Dans une ambiance de prière, nous avons redécouvert que l’Eglise est le sacrement de l’unité et que le synode est un style de vie qui nous conduit à valoriser les structures dans lesquelles on discerne ensemble. » Encouragé dans sa mission, il envisage de créer un Conseil Pastoral diocésain pour réfléchir ensemble, prêtres, consacrés et laïcs, à la bonne marche de son diocèse.
Une Assemblée fraternelle
Souriant, calme et posé, Emmanuel Dassi s’exprime avec beaucoup de clarté et de précision, sans esquiver les questions. « Les relations et les échanges ont été bien plus approfondis que l’année dernière car nous nous connaissions déjà tous. Il y avait plus de confiance mutuelle. Cette Assemblée a été beaucoup plus fraternelle que celle de l’année dernière » confie-t-il avec simplicité.
« Et cela a facilité notre travail. Même si nous avons fait l’expérience de l’unité dans la diversité » dit-il en souriant pour faire comprendre avec élégance que tous n’ont pas toujours été d’accord sur tout.
L’Eglise, sacrement de l’unité
L’évolution du monde depuis l’année dernière, entre embrasement du Proche-Orient et enlisement de la guerre en Ukraine, a eu un fort impact sur les débats mais aussi sur l’atmosphère de prière : « Plusieurs de nos frères catholiques orientaux étaient présents au synode, ainsi que des membres d’autres églises chrétiennes d’Orient venus du Liban ou de Syrie et des représentants de l’Ukraine. Leurs témoignages nous ont permis de percevoir la gravité de ces conflits, de nous sentir dans une grande proximité avec eux et de nous laisser baigner dans une ambiance de prière. »
Ainsi, les participants du synode ont-ils compris que dans un monde si fragmenté, la synodalité, c’est-à-dire le fait de marcher ensemble unis dans la diversité sur le chemin du royaume de Dieu, était importante pour l’Eglise mais aussi pour le monde entier : « La synodalité nous amène à consolider la communion entre nous, autour d’une même foi en Dieu. »
Et Mgr Dassi de donner un exemple concret : « Une des questions était de savoir s’il fallait donner aux conférences épiscopales une autorité doctrinale pour décider ce qui peut être vécu dans leur contexte. Nous aurions pu penser que la tendance, au nom de l’inculturation, serait à libéraliser davantage en donnant plus d’autonomie doctrinale aux conférences épiscopales. Mais, nous avons senti que nous ne pouvions pas donner au monde un message fragmenté, qui pourrait s’apparenter à une certaine privatisation de la foi. » La réalité de la guerre a permis de se souvenir que « pour Vatican II, l’Eglise est le sacrement de l’unité dans le Christ. Et cela prime sur nos petits problèmes et notre volonté de trouver nos petites solutions particulières indépendamment de ce qui fait l’unité. »
La synodalité, un style de vie et un processus
L’expérience du synode c’est aussi de découvrir que la synodalité est un style de vie pour l’Eglise : « Oui, il s’exprime dans le fait qu’on n’est pas chrétien seul mais avec les autres. Nous marchons ensemble grâce à des structures et des processus. Cela nous invite à valoriser toutes les structures dans lesquelles nous discernons ensemble ce que nous avons à vivre. »
Parmi ces structures, on peut nommer les conseils au niveau de l’Eglise universelle, des conférences épiscopales, au niveau diocésain ou encore paroissial : « Ici, en Afrique, nous nous sommes sentis encouragés dans notre organisation en communauté ecclésiale de base mais aussi dans notre manière de préparer les jeunes à la confirmation, que je rencontre tous personnellement. »
Au-delà des structures, il faut comprendre que le processus synodal demande à être habité d’une véritable spiritualité synodale : « Il s’agit de cultiver cette écoute mutuelle, cette écoute de l’Esprit-Saint qui n’est pas possible sans beaucoup d’humilité de la part de chacun. » Et Mgr Dassi de s’enthousiasmer : « Moi, j’étais touché ! J’étais à une table avec des cardinaux, des sommités théologiques, qui sont des figures de l’Eglise depuis des dizaines d’années. Ils étaient au milieu de nous comme de simples participants. Voilà la beauté de l’Eglise synodale : chacun sait qu’il a à apprendre des autres. »
Définir le synode comme un processus, cela veut dire que le chemin à parcourir avant la décision, et le temps nécessaire pour le parcourir, comptent autant que la décision elle-même. « Un des points de vigilance c’est de respecter les 3 étapes qui mènent à la décision : l’élaboration de la décision qui nécessite qu’on puisse écouter largement ceux qui sont concernés par la mise en œuvre de la décision et qu’on se mette à l’écoute de la Parole de Dieu et de ce que le Seigneur veut nous révéler. Ce n’est pas une question d’opinion. Ensuite, la formulation de la décision par celui à qui il appartient, au nom de l’Église, de trancher. Enfin, la mise en œuvre qui intègre aussi l’évaluation de la décision et de son impact. »
Et Mgr Dassi ne s’y trompe pas : « Pour que les personnes puissent être motivées dans la mise en œuvre, il faut qu’elles aient participé à l’élaboration. »
Si la méthode est à contre-courant de l’immédiateté de notre monde, elle invite surtout à la conversion des pratiques dont un certain nombre appellent des améliorations, comme le partage simplement Emmanuel Dassi : « Je me suis senti invité à mettre sur pied rapidement un Conseil Pastoral diocésain car c’est une structure qui compte à la fois des représentants de prêtres, de consacrés, mais aussi de laïcs. J’entrevois que nous puissions tenir une session par an de ce Conseil pour évaluer et nous projeter sur l’année suivante à partir des orientations données dans le document final du synode. Je pense que je nommerai quelques-uns des membres mais je ne les choisirai pas tous. C’est un point de vigilance. »
La synodalité encourage la redevabilité
Avec humilité, l’évêque camerounais reconnait que le synode l’a encouragé à la redevabilité : « C’est un des points de renouveau du synode. Il nous faut comprendre que si, en tant que responsables, nous sommes tous des serviteurs, alors il est juste de rendre compte à la communauté diocésaine de façon transparente. Sur le plan financier et matériel mais aussi pastoral. L’Eglise n’est pas la propriété privée de quelqu’un mais l’œuvre de Dieu dont nous sommes intendants. »
Une exigence à vivre dans « le dialogue avec les fidèles qui doivent avoir la capacité d’interroger pour mieux comprendre » tient à souligner Emmanuel Dassi avant d’ajouter que cela « cultive la confiance et le respect mutuel » mais aussi « permet de décharger les épaules des responsables, en particulier des évêques, qui portent un lourd fardeau. Et ce faisant, les aide à être les simples serviteurs qu’ils sont appelés à être. »
Un témoignage de synodalité
Fidèle à son habitude, le pape François a surpris tout le monde en annonçant qu’il ne publierait pas une exhortation post-synodale, comme il est d’usage de le faire. En effet, le document final voté par l’Assemblée du synode, dont la traduction française est parue il y a quelques jours, tiendra lieu d’exhortation. Emmanuel Dassi déclare dans un éclat de rire : « Pour être honnête, oui, j’ai été surpris mais je crois que je ne suis pas le seul ! » avant de reprendre son sérieux et d’y voir avant tout un « grand témoignage de synodalité : cela montre qu’il fait confiance au travail de l’Assemblée et dit aussi le désir du pape de voir ce document mis en œuvre sans délai. »
S’il contient des affirmations prêtes à s’appliquer, de nombreuses questions restent encore en suspens et seront approfondies dans des groupes de travail d’ici juin prochain. En attendant, Mgr Dassi est heureux d’avoir retrouvé les réalités rurales de son diocèse qui n’ont pas été oubliées pendant les débats et qui seront, à n’en pas douter, un des lieux de mise en œuvre du renouveau synodal.