[Paris Notre-Dame] La synodalité, «c’est le chef qui se met à l’écoute, avec ses troupes, du Seigneur »

Le journal du diocèse de Paris a interviewé Michel-Bernard de Vregille, modérateur de la Communauté de l’Emmanuel, à propos de la synodalité dans un article paru le 4 février 2021 dans Paris Notre Dame. Nous le publions ci-dessous avec l’aimable autorisation du journal.

La synodalité, « c’est le chef qui se met à l’écoute, avec ses troupes, du Seigneur »

Propos recueillis par Priscilia de Selve (Twitter @Sarran39) pour Paris Notre-Dame du 4 février 2021

Qu’est-ce que la synodalité ? Une forme de gouvernance « démocratique » permettant au peuple de Dieu de faire entendre sa voix ? Une manière d’agir en communion à l’écoute de l’Esprit Saint ? Afin de mieux comprendre ce que signifie ce terme et ce qu’il implique pour chaque baptisé, nous avons demandé au P. Pascal Nègre, docteur en théologie, et à Michel-Bernard de Vregille, modérateur de la Communauté de l’Emmanuel, leur éclairage.

PND 4 fevrier 2021Paris Notre-Dame – Qu’est-ce que la synodalité, et qu’est-ce qu’elle n’est pas ?

P. Pascal Nègre – Le terme concentre beaucoup d’aspirations, d’espérances, de crispations aussi. Chacun est tenté d’y mettre un peu ce qu’il veut. Or dans la vie de l’Église, la synodalité correspond à une réalité fine, théologique, qui ne désigne pas tant une activité de l’Église – une manière de rajouter du fonctionnement démocratique à sa structure – que son essence même. Église et synode sont synonymes dit saint Jean Chrysostome. C’est donc une réalité qui concerne tous les baptisés. Or, le Concile Vatican II, événement synodal par excellence, n’évoque pas directement ce terme mais parle de l’Église comme communion. C’est d’ailleurs le premier mot employé dans l’intitulé du futur synode sur le synode*, convoqué par le pape en octobre 2022. L’Église est une communion, un peuple convoqué et guidé par Dieu et qui marche ensemble – synode veut dire chemin commun – avec la conscience qu’il doit rassembler toute l’humanité en lui, et qu’il est donc constitué d’une immense et nécessaire diversité. La notion de communion est une bonne porte d’entrée dans la réalité de la synodalité.

Michel-Bernard de Vregille – Je venais d’être nommé responsable de la France pour la Communauté de l’Emmanuel, et j’avais été très touché par la définition que donne le pape François du pasteur, dans son exhortation La joie de l’Évangile (numéro 31). Ce passage où il dit qu’il y a un moment pour être devant son troupeau, un temps pour être au milieu de lui, et un temps pour être derrière lui. Afin de s’occuper de ceux qui sont en difficulté, mais aussi parce que le troupeau lui-même a l’odorat pour trouver de nouveaux chemins. En caricaturant, la synodalité ce n’est pas le chef qui rassemble ses troupes pour leur dire où il faut aller, mais c’est le chef qui se met à l’écoute, avec ses troupes, du Seigneur. À l’écoute de Dieu, ensemble, dans l’Esprit Saint. Le 21 décembre dernier, le Saint- Père a fait une intervention devant le personnel de la Curie, dans laquelle il évoque la différence entre la synodalité et la démocratie (voir Pistes pour agir), à savoir la présence de l’Esprit Saint. Quand nous sommes réunis pour travailler sur un sujet, le discernement doit être éclairé dans l’Esprit Saint, en communion.

P. N. – C’est l’Esprit qui fait l’unité dans la communion. Le peuple de Dieu ne se rassemble donc pas démocratiquement pour décider ce qu’il y aurait lieu de faire pour avancer, il se rassemble pour écouter et célébrer ce que Dieu a décidé et fait. Et le suivre, uni dans l’Esprit.

M.-B. de V. – Quant à ce qu’elle n’est pas… Elle n’est pas une assemblée nationale, avec des questions de majorité et de minorité. Elle n’a rien à voir avec un rapport de forces et ne doit pas être conçue comme un contrepouvoir. Si je prends l’exemple de ce que nous vivons en communauté, je dirais que la synodalité, c’est quand chacun arrive avec son idée et qu’après avoir prié et partagé ensemble, tout le monde repart avec l’idée du Seigneur.

P. N. – C’est exactement cela. Si on se réfère au premier synode, évoqué au chapitre 15 des Actes des Apôtres, on voit les apôtres, rassemblés à Jérusalem, se disputer et débattre. Et au bout d’un moment, ils s’arrêtent. Ils font mémoire de ce que Dieu a fait, de ce dont ils ont été témoins. Ils écoutent la parole de Dieu puis décident : « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé… » Dans la communion de l’Église, chacun a une place. Et chacun doit donc comprendre qu’il y est nécessaire. Sans substitution de fonction et sans passivité. Communion et participation dit le pape dans son intitulé de synode. Cela veut dire que pour vivre de la synodalité, chacun, voyant qu’il est nécessaire, doit entrer dans une relation de dépendance aux autres, dans l’amour et dans la fraternité. Pas dans la concurrence. Dans l’Église, nous ne devons pas être dans un rapport de concurrence mais dans un rapport de dépendance mutuelle. Le lieu essentiel de la synodalité, c’est l’eucharistie, où chacun a sa place, écoute la Parole, met en œuvre les charismes reçus et reçoit de Dieu la grâce de l’unité dans la différence.

M.-B. de V. – Lors du synode sur la famille, je me souviens d’un moment très disputé où le Saint-Père avait dit : « Ici vous pouvez et vous devez tout vous dire. » Ce n’est pas une question de concurrence ou d’avoir raison contre l’autre mais c’est d’être ensemble à l’écoute de l’Esprit. Car toute la question du synode est celle de l’écoute. Et pour être une Église de l’écoute, il faut aussi être une Église de la liberté de parole.

P. N. – Une des grâces synodales, qui devrait être mise en œuvre dans l’Église tout entière, c’est la capacité à dire en vérité ce que l’on croit devoir dire et la capacité à écouter ce que l’autre veut dire. Le pape a fait précéder les derniers synodes romains par des consultations longues, pour recueillir la parole du peuple. Les synodes diocésains font de même. Il faut écouter. Est-ce mis en œuvre au niveau ultra local de nos paroisses ? Le conseil paroissial peut être l’une des manifestations d’une Église synodale, s’il n’est pas un simple organe d’enregistrement de la parole du curé, mais un lieu où peut être dit et entendu ce que le peuple de Dieu vit, attend, espère et croit.

P. N.-D. – Mais le pape François insiste également sur le fait qu’il ne peut pas y avoir de synodalité sans primauté. C’est-à-dire ?

P. N. – Dans son discours pour les cinquante ans du synode**, le pape commence par évoquer le peuple de Dieu, pas les évêques. Voulait-il raboter la primauté pour valoriser la synodalité ? Non ! Il fait l’inverse. En disant que l’Église doit fonctionner « cum Petro », avec Pierre au milieu, et « sub Petro », sous l’autorité de Pierre, il insiste sur la force de sa primauté dans l’exercice de la synodalité. On pense toujours la synodalité en opposition à la primauté comme si chacune devait se compenser l’une l’autre. Or en réalité, il n’y a pas de corps sans tête. Si on prend le collège des apôtres, il n’y a pas de collège sans Pierre. Mais de la même manière, il n’y a pas Pierre sans collège. Ce que le pape demande, c’est que nous convertissions notre compréhension de l’autorité et de la primauté. Que nous la vivions évangéliquement, sans penser qu’elle s’oppose à la synodalité. Dans la hiérarchie de l’Église, le sommet se trouve en bas et les ministres sont les plus petits d’entre tous. L’autorité est une autorité de service, pas de pouvoir. Le vrai pouvoir, dans l’Église, c’est de s’agenouiller pour servir le troupeau. Et alors, on n’a rien à craindre de cette autorité là, au contraire, on la réclame pour que la communion soit garantie.

M.-B. de V. – Il n’y a pas d’autres pouvoirs dans l’Église que celui du service, on dit d’ailleurs du pape qu’il est le serviteur des serviteurs. Et s’il n’y a rien à craindre, c’est parce que tout cela est fondé sur le Christ. Quand nous avons rencontré Benoît XVI à l’occasion des vingt ans du décès de Pierre Goursat, notre fondateur, il a évoqué notre charisme et la responsabilité qui était la nôtre et qu’il fallait déployer, car si l’Église reconnaît un charisme, il faut y être fidèle. Et le pape rappelait que la communion que nous vivions n’était pas uniquement basée sur une solidarité humaine mais fondée sur le Christ. C’est une hiérarchie au service de la communion.

P. N.-D. – À vivre véritablement la synodalité, certains dysfonctionnements dénoncés dans l’Église comme le cléricalisme ou la question de la juste place de chacun, laïcs, clercs, hommes, femmes, devraient être évités ?

M.-B. de V. – Oui, car là encore nous sommes dans des questions de pouvoir ou de positionnement. Pour transmettre ce trésor qu’est le Christ, il faut que chacun soit bien à sa place. Et pour cela, il y a un point qui me paraît essentiel, c’est l’humilité. On ne peut pas vivre la synodalité sans humilité. L’humilité véritable, c’est justement d’être à sa place. Pas de se faire tout petit, invisible, mais à sa place. Comme la Vierge Marie, si humble et qui déclare pourtant que tous les âges la diront bienheureuse. Dans une paroisse, la relation entre curé, vicaires, laïcs peut ne pas être simple. Mais la question n’est pas : qui est le chef ? Mais plutôt, comment celui qui est en responsabilité prend ses décisions ? Le responsable dans une paroisse, c’est le curé. Mais comment exerce-t-il cette synodalité et ce discernement communautaire ? Il y a quelques années, alors que notre communauté avait bien grandi, nous avons souhaité mettre au clair nos statuts. Et nous avons terminé par la question des statuts cléricaux. Pourquoi ? Parce qu’aux yeux de l’Église, nos frères prêtres de l’Emmanuel n’existaient pas. À qui répondaient-ils ? À l’évêque du lieu ou à la Communauté de l’Emmanuel ? Il fallait donc que l’Église nous aide et lève toute ambiguïté. Ce statut clérical, défini en 2017, a permis à chacun d’être à sa juste place. Ainsi, nous ne nous posons plus la question du pouvoir. Il ne peut y avoir de communion sans confiance dans l’Église, et sans amour de l’Église.

P. N. – Pour que chacun soit à sa place, il faut discerner les charismes reçus. Quelle est la mission de chacun ? C’est la responsabilité des pasteurs d’aider chacun à déployer ses charismes dans l’Église. Il y a des lieux où l’on forme des femmes à la faculté de théologie en maîtrise et en doctorat, où un évident et formidable charisme d’enseignement se déploie chez elles, mais où l’on n’a rien d’autre à leur proposer après que dame catéchiste. Nous devons discerner, accompagner le don de l’Esprit en chacun, et s’il le faut inventer quelque chose pour lui faire trouver la place où ce don s’épanouira au service de tous. Si la synodalité est un chemin, il faut être prêt, aussi, à être déplacé. Je vous donne un exemple : j’avais un projet précis en arrivant à St-Ambroise (11e) sur le groupe de prière du mercredi soir. Et puis des dizaines de jeunes sont sortis de terre avec un projet de maraude et de prière que je trouve exceptionnel. Je vois aux fruits et à la grâce qui s’y déploient que c’est un don de Dieu et que c’est ce qu’il fallait faire. J’ai déplacé mon projet pastoral. Un pasteur doit être capable de cela. Soit chacun milite pour sa petite chapelle, soit on constitue un corps dans lequel l’Esprit souffle et nous surprend toujours. Si on ne se convertit pas fondamentalement, c’est l’annonce de l’Évangile qui est remis en cause. Ce n’est donc pas un petit enjeu qui se joue dans la synodalité, c’est le salut du monde qui est en cause.

* En octobre 2022, la prochaine assemblée générale ordinaire du synode des évêques aura pour thème Pour une Église synodale : communion, participation et mission.

** Discours du pape François à l’occasion de la commémoration du 50e anniversaire du synode des évêques (17 octobre 2015).


Ce que dit le pape François

« Ce que le Seigneur nous demande, en un certain sens, est déjà pleinement contenu dans le mot “synode”. Marcher ensemble – laïcs, pasteurs, évêque de Rome – est un concept facile à exprimer en paroles, mais pas si facile à mettre en pratique. Après avoir réaffirmé que le peuple de Dieu est constitué de tous les baptisés appelés à « être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint », le Concile Vatican II proclame que « la collectivité des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint (cf. 1 Jn 2, 20.27), ne peut se tromper dans la foi; ce don particulier qu’elle possède, elle le manifeste moyennant le sens surnaturel de foi qui est celui du peuple tout entier, lorsque, “des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs”, elle apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel ». Ce fameux infaillible “in credendo”. Dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium, j’ai souligné que « le peuple de Dieu est saint à cause de cette onction que le rend infaillible “in credendo’1», ajoutant que « chaque baptisé, quelle que soit sa fonction dans l’Église et le niveau d’instruction de sa foi, est un sujet actif de l’évangélisation, et il serait inadéquat de penser à un schéma d’évangélisation utilisé pour des acteurs qualifiés, où le reste du peuple fidèle serait seule ment destiné à bénéficier de leurs actions ». Le sensus fidei empêche une séparation rigide entre Ecclesia docens et Ecclesia discens, puisque le trou peau possède aussi son propre “flair” pour discerner les nouvelles routes que le Seigneur ouvre à l’Église. »

Discours du pape François. Commémoration du 50e anniversaire de l’institution du synode des évêques (17 octobre 2015).

Paris Notre-Dame, 4 février 2021 – Priscilia de Selve, Twitter @Sarran39

2021 02 04 PARIS NOTRE DAME 04 fevrier 2021 A

Cet article fait partie du dossier thématique :Synodalité, construire une Eglise différente →

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