Thierry des Lauriers et Philippe Chevillard témoignent de leur engagement contre le trafic sexuel et la traite des enfants
Aux captifs, la libération comme au sein de l’ONG ECPAT-France, le trafic sexuel et la traite des enfants suscitent sidération, colère et écœurement. Pour autant, pas question de se décourager ni de désespérer. Leur espérance se nourrit de chaque personne sauvée, l’une après l’autre.
Philippe Chevillard, président d’ECPAT-France, et Thierry des Lauriers, directeur d’Aux Captifs, la libération, nous partagent leur combat, pas aussi éloigné de nous que nous pourrions le penser.
« Chaque fois qu’une personne est retirée des griffes d’un réseau de prostitution ou de trafic sexuel, cela nourrit mon espérance. Quand bien même, une seule serait sauvée, cela suffirait pour espérer. » Ce message d’espérance est celui de Thierry des Lauriers. Directeur de l’association Aux captifs, la libération depuis 13 ans, qui va à la rencontre de personnes exclues, à la rue ou en situation de prostitution, il est régulièrement confronté à la question du trafic sexuel des enfants. Et cela de deux manières :
D’abord par la rencontre avec des personnes en situation de prostitution qui déclarent être majeures, à la demande du réseau qui les prostitue, pour protéger leurs clients, mais qui, en réalité, sont mineures. Elles sont munies de vrais passeports déclinant de fausses identités et déclarent avoir plus de 18 ans alors qu’elles ont parfois seulement 13 ou 14 ans. « Nous sommes régulièrement amenés à faire des signalements quand nous avons des doutes sur la majorité d’une personne. »
Ensuite, dans le cadre de nos interventions dans les établissements scolaires, nous sommes confrontés à des situations d’exploitation sexuelle de filles ou de garçons. Parfois entre élèves : « En général, cela commence de manière assez innocente : l’élève accepte de se prostituer contre un téléphone portable ou contre un devoir de maths. Puis, voyant qu’il peut se faire un peu d’argent de cette manière, il fait des propositions sur internet et là, les réseaux de prostitution qui sont à l’affût de nouvelles victimes, auront vite fait de le prendre dans leur filet. C’est beaucoup plus rapide qu’on ne le pense. »
La prévention est indispensable
Un piège dont personne ne peut se croire définitivement à l’abri : « Aucune classe sociale n’est protégée, aucun établissement scolaire n’est protégé. » affirme Thierry. « Des affaires qui se sont passées dans des établissements huppés ont défrayé la chronique. Cela nous montre que la prévention est essentielle dans ce domaine. »
Faire de la prévention c’est principalement dire à ses enfants ce qu’on peut voir sur internet, ce qui peut se passer, pourquoi ce n’est pas une bonne chose : « In fine, l’acte prostitutionnel amène à dissocier son corps de sa personne et à créer un clivage interne. Or, mon corps n’est pas un objet. Je suis mon corps, mon corps est mon être. L’image d’une rage de dents qui nous mobilise entièrement, nous empêchant de faire autre chose, peut suffire pour expliquer cela. Cela n’empêche pas de pouvoir parler à ses enfants des belles choses de l’amour, mais ce n’est pas suffisant. De la même façon qu’on avertit nos enfants que certains champignons peuvent être vénéneux, il faut les avertir que certains contenus sur internet et certaines personnes qu’on y rencontre peuvent être aussi vénéneuses. »
Philippe Chevillard, président de l’ONG de protection de l’enfance ECPAT-France, qui lutte contre la traite et l’exploitation sexuelle des enfants sous toutes ses formes, confirme : « Un enfant sur 2 a déjà vu des contenus pornographiques sur internet avant l’âge de 15 ans. Si ses parents l’ont prévenu des dangers d’internet, il aura plus de facilité à en parler le jour où il sera confronté à ce type d’images ou à des propositions douteuses. Il est essentiel que ce sujet ne soit pas tabou dans les familles. »
Tous complices ?
Alors qu’on peut se sentir à l’abri voire pas concerné par le sujet de la traite et du trafic sexuel des enfants, Thierry des Lauriers défend l’idée qu’a travers des actes apparemment anodins, nous sommes tous complices de deux choses : « Je tiens cette idée d’un colloque sur la prostitution et la traite des êtres humains, du piège à la libération, auquel j’ai assisté récemment aux Bernardins. Le philosophe Matthieu Villemot faisait remarquer que nous étions tous complices de deux choses : d’une part dans la diffusion de la théorie du besoin et d’autre part dans la financiarisation de l’ensemble des rapports humains. »
La théorie du besoin consiste à affirmer, par exemple, que les hommes ayant des besoins sexuels à assouvir, la prostitution permet de diminuer le nombre de viols. « Dès qu’on coopère à diffuser cette théorie du besoin, on collabore au système prostitutionnel » explique fermement Thierry.
A cette complicité d’ordre intellectuel, s’ajoute une financiarisation de la société : « Il y a de moins en moins de place pour la gratuité dans les rapports humains. De plus en plus d’applications commercialisent des échanges qui étaient auparavant gratuits. On peut penser au covoiturage. Dans les rapports humains, c’est l’idée, par exemple, qu’un homme n’obtient une chose d’une femme que s’il la paye, en l’invitant au restaurant par exemple. Donc, il l’invite au restaurant, il l’invite au cinéma et enfin il peut avoir des relations sexuelles avec elle. Ou alors, il la paye tout de suite et c’est plus rapide. »
Ce que Thierry des Lauriers pointe du doigt c’est notre responsabilité lorsqu’on colporte, de manière consciente ou inconsciente, cette façon de penser et d’envisager les rapports humains. Manière de penser qui, in fine, justifie l’acte prostitutionnel.
Ne pas hésiter à faire un signalement
Thierry comme Philippe insistent sur la possibilité de chacun de nous à participer à la lutte contre le trafic sexuel et la traite des enfants, en n’hésitant pas à faire des signalements.
Signaler n’est ni dénoncer ni faire de la délation. Ce n’est pas non plus enquêter pour chercher à apporter des preuves ou faire des suppositions. Il s’agit de s’en tenir à des faits, vus ou entendus, et de les partager.
Signaler évite de rester seul avec des soupçons et peut venir confirmer d’autres témoignages concordants. « Un changement de comportement d’un enfant ou d’un jeune qui s’enferme sur lui-même peut vous alerter » explique Philippe, « ainsi qu’une chute soudaine des résultats scolaires ou une addiction particulière au portable mais le signal principal qui peut nous mettre la puce à l’oreille, c’est sans doute un train de vie démesuré. » ajoute Thierry.
Espérer contre toute espérance
Après toutes ces années, à côtoyer parfois l’inimaginable, Thierry reste marqué par l’effet de sidération qui l’a frappé lorsqu’il a découvert l’ampleur du phénomène du trafic sexuel des enfants. Sidération, mais aussi écœurement et colère : « J’ai toujours su que cela existait mais je reste saisi d’un sentiment de profond écœurement intérieur quand je vois le cynisme des gens qui font de l’argent sur le dos des enfants. Ecœurement aussi de constater que ces situations ne troublent pas grand-monde. »
Pour autant, il garde l’espérance chevillée au corps, grâce à la prière et à la Parole de Dieu, notamment l’évangile selon St Jean (Jn 2,13-22) : « Dans notre foi chrétienne, le corps c’est le temple de l’Esprit. Et donc, la violation du corps des enfants c’est aussi la violation du temple de Dieu. Quelle est la réaction de Jésus à la vue de la maison de son père violée par les marchands du temple ? Il prend un fouet de cordes, c’est-à-dire un fouet de berger. Pas un couteau ni une kalachnikov. Mais un fouet de berger, de pasteur c’est-à-dire un fouet de miséricorde. La colère de Dieu s’origine dans le même cœur que celui qui nous donne la miséricorde. »
Choisir la miséricorde pour ne pas réduire la personne à ses actes, fussent-ils de la prostitution ou du proxénétisme, est une manière de s’ancrer dans « l’espérance qui se concrétise chaque fois qu’une personne est retirée des griffes du réseau, arrive à s’en sortir et peut en témoigner. Même si le cœur de l’homme, blessé par le péché qui recommence sans cesse, peut donner des raisons de désespérer. » En colère souvent, Thierry n’est jamais découragé : « Le Christ est mort sur la croix pour nous tous. De la même manière qu’il nous sauve personnellement, il nous invite à prendre soin des personnes une par une. Une seule serait sauvée que cela suffirait à espérer. »
Sound of freedom
Au cinéma depuis le 15 novembre
Thriller librement inspiré de l’incroyable histoire vraie d’un ancien agent fédéral américain qui se lance dans une opération de sauvetage au péril de sa vie, pour libérer des centaines d’enfants prisonniers de trafiquants sexuels.