Séminaristes : « Seul un prêtre heureux pourra faire des heureux »

La dimension humaine de la formation au cœur de toutes les attentions

Ce week-end, une quarantaine de formateurs des maisons de formation des séminaristes de l’Emmanuel de Paris, Namur et Abidjan, ainsi que quelques pères spirituels, se sont réunis, à Paris ou en ligne, pour une formation sur l’approfondissement de la connaissance du psychisme humain, donnée conjointement par Mgr Micas, évêque de Tarbes et Lourdes, et Anne Danion, membre d’un Conseil de séminaire et psychiatre.

Deux jours pour travailler sur les enjeux de la dimension humaine de la formation, « qui est la base de toute la formation » selon les mots de Mgr Micas, et « que l’on doit retrouver à toutes les étapes de la formation ».

Deux jours d’échanges fraternels pour comprendre que seul un (futur) prêtre heureux pourra faire des heureux.

A la lumière des encouragements de Rome et des leçons tirées des abus dans l’Eglise, faut-il attendre des séminaires qu’ils forment de futurs prêtres sans tâche et sans défaut, en un mot, parfaits ?

Jacques Gomart portrait ievLe père Jacques Gomart, délégué à la formation des clercs de l’Emmanuel, rejette d’emblée tout malentendu : « Il ne s’agit pas, bien sûr, de former des héros. On ne vise pas la perfection. Mais on vise l’équilibre nécessaire pour que les séminaristes, futurs prêtres, soient heureux et fassent des heureux. L’enjeu est d’éviter de les mettre en danger ou qu’ils ne mettent en danger d’autres personnes en usant à mauvais escient de l’autorité morale et spirituelle que leur confère le sacerdoce. »  

Pour cela, Mgr Jean-Marc Micas, évêque de Tarbes et Lourdes et président du Conseil épiscopal pour les ministres ordonnés et laïcs en mission ecclésiale, a rappelé un critère intéressant donné par le pape François, en 2014, à l’équipe chargée de rédiger la nouvelle règle de formation (la Ratio fundamentalis institutionalis sacerdotalis publiée le 8 décembre 2016) : « Il faut bien évaluer si cette personne est auprès du Seigneur, si cet homme est sain (…) équilibré, (…) capable de donner vie, d’évangéliser (… de fonder une famille et de renoncer à cela pour suivre Jésus. »

WhatsApp Image 2024 01 06 at 17.44.45 1Ce week-end annuel de formation s’inscrit dans la suite d’un travail initié il y a deux ans, avec la rencontre de M. Jean-Marc Sauvé et des équipes de formateurs de l’Emmanuel, explique Jacques Gomart : « C’est un temps de travail habituel destiné aux équipes formatrices des séminaristes de la Communauté de l’Emmanuel des maisons de Paris, Namur et Abidjan. L’objectif est d’approfondir tout ce qui peut prévenir les abus, pas seulement de façon négative, en connaissant mieux la psychologie humaine, soit pour accompagner le séminariste dans un travail sur lui-même, soit pour discerner avec lui que son chemin de vie ne passe pas par le sacerdoce. »

« La question du discernement est de savoir si la maturité est suffisamment avancée pour un candidat au sacerdoce. »

Erwan Simon Identite trombi 2Le père Erwan Simon, responsable de la maison de formation de Paris, précise : « Comme pour le mariage, on prend toujours un risque lorsqu’on dit oui pour une vie donnée, sur fond de confiance et de foi. On ne peut pas avoir de certitude à 100%. » Car l’homme évolue tout au long de la vie, qu’on ne peut pas prévoir les événements qui jalonneront son existence et que l’autre restera toujours un mystère.

Pour autant, ajoute le père Erwan, « dans la formation, il s’agit de concilier un regard d’espérance et de confiance constructive avec une vigilance, nourrie par les sciences humaines, sur les critères non négociables. C’est important, sans être nous-mêmes psychiatres ou psychologues, d’avoir des notions qui permettent d’ajuster et d’affiner notre regard. »

Parmi les critères non négociables, Erwan Simon retient un critère très important dans la nouvelle Ratio : « la docibilitas, qui va plus loin que la seule docilité. Elle signifie la confiance et l’engagement personnel, libre et déterminé dans sa formation,  mais aussi l’aptitude et la volonté expresse d’apprendre à apprendre. » La pratique de la docibilitas, détaille Mgr Micas, « conduit le séminariste à avoir un cœur et une intelligence en capacité d’accueillir la formation, de découvrir Dieu et de se laisser convertir en profondeur. »

Une aptitude qui vient en résonnance avec une des paroles d’Anne Danion, psychiatre et membre du Conseil du Séminaire de Strasbourg, lorsqu’elle déclare que « la maturation affective est progressive et ne se termine pas ». Ce à quoi Jacques Gomart ajoute : « La question du discernement est de savoir si elle est suffisamment avancée pour un candidat au sacerdoce. » « Ce qui doit alerter, c’est l’absence d’évolution tout au long du parcours » précise Anne Danion à l’évocation des signaux faibles auxquels il convient d’être attentifs.

Depuis 1992, la formation d’un séminariste s’articulait autour de 4 dimensions (humaine, spirituelle, intellectuelle et pastorale). La Ratio de 2016 a ajouté 4 notes caractéristiques de la formation. Cette dernière doit être unique, intégrale, communautaire et missionnaire. Et le parcours de formation des candidats au sacerdoce est désormais présenté en 4 étapes (propédeutique, disciple-missionnaire, configuration pastorale et synthèse vocationnelle) et non plus en cycles. Au-delà des termes, c’est un changement dans la conception même de la formation qui nécessite de s’adapter, comme l’explique le père Jacques : « On travaille à des orientations générales communes à nos 3 maisons internationales de formation en lien avec le dicastère pour le clergé. Le retour qui nous a été fait, c’est qu’on intègre davantage cette notion d’étape et le point précis c’est celui des objectifs et de l’évaluation de ces objectifs. »

WhatsApp Image 2024 01 06 at 17.44.45 3En effet, pour chaque étape, la Ratio demande que soient évalués au for externe les acquis de formation en fonction des objectifs. Un défi de taille pour Arnaud Dutheil. Avec son épouse Marie-Claude, il est en mission depuis septembre à la maison de formation de Namur qui accueille les propédeutiques de l’Emmanuel : « Ce qui est compliqué dans le discernement c’est qu’il reste une dimension subjective et d’appréciation de la personne. » « Cela renforce l’importance des regards croisés au quotidien. Nous n’avons pas les mêmes regards, nous ne les rencontrons pas au même moment. » réagit Marie-Claude. Quant à Sonia Donne, membre extérieur du Conseil de la maison de formation de Paris, elle complète : « Pour prendre des décisions, nous pouvons nous appuyer sur ceux qui ont une expertise. Sans nous défausser. Le recours à la psychologie, s’il est une richesse, n’est pas une baguette magique. »

Florence Mary, en mission à la maison de formation de Paris avec Luc, son mari, retient de l’intervention de Mgr Micas ce que l’évaluation des objectifs impose : « A la fin de chacune des 4 étapes, il faut se demander s’il y a des choses qui empêchent de passer à l’étape suivante. Nous n’avons pas toujours eu cette attention ni cette vigilance. Cela demande une souplesse entre le cursus universitaire et l’avancée humaine ou spirituelle du candidat. Avons-nous cette possibilité d’un cursus à la carte ? »

Erwan Simon le confirme : « Il nous faut dépasser cette idée bien ancrée que le séminaire se passe en 7 ans. Et travailler à décorréler la dimension du cheminement vers le sacerdoce avec les études universitaires. Et ce n’est pas si simple. »  

C’est en homme « libre pour aimer le Christ inconditionnellement, conscient que Dieu seul suffit » que l’on répond à l’appel du Seigneur

Cette formation, loin d’avoir épuisé le sujet, aura eu le mérite de permettre aux formateurs de s’en emparer, encore un peu plus, avec humilité, sous le regard du Seigneur et dans un esprit fraternel de partage et de soutien mutuel. Sans perdre de vue, comme l’a exprimé Mgr Micas, que le premier travail concerne les formateurs eux-mêmes : « Cela nous invite à être très chastes nous-mêmes dans l’exercice de notre mission de formateurs. Nous devons nous prononcer sur les aptitudes des candidats au ministère : sur tout ça, mais que sur ça ! »

Car au-delà des défis et des embûches, comme parfois du combat spirituel, l’enjeu n’est pas seulement de repérer les empêchements au sacerdoce mais aussi et surtout de mettre en lumière les aptitudes positives des séminaristes. On ne devient pas prêtre par défaut. C’est en homme « libre pour aimer le Christ inconditionnellement, libre pour lui donner sa vie, en étant existentiellement conscient que Dieu seul suffit et que sans lui on ne peut rien faire. » que l’on répond à l’appel du Seigneur, a rappelé l’évêque de Tarbes et Lourdes. En homme libre prêt à se consacrer au service des autres et à annoncer l’évangile dans un monde que l’on doit apprendre à aimer.

En décembre dernier, 600 séminaristes français se sont réunis à Paris. A cette occasion, le pape François leur a adressé un message. 

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