Lequel d’entre nous peut prétendre ne pas avoir de difficulté à prier ? Pourtant, souvent, nous avons le désir de la prière. Comment faire pour entrer ou retrouver une vie de prière personnelle, poumon de toute vie spirituelle ?
Par JEAN-RODOLPHE KARS
Chapelain au Sanctuaire de Paray
Beaucoup de chrétiens sont fidèles à dire quotidiennement leurs prières (« Je fais mes prières ») ou à pratiquer telle ou telle forme de prière, dont une des plus précieuses et recommandables est le chapelet. Mais bien peu pratiquent ou même connaissent ce cœur à cœur quotidien avec Dieu qu’est la prière personnelle silencieuse, moment privilégié et indispensable pour grandir dans les grâces de notre baptême et des autres sacrements. Et surtout pour mieux en recueillir les fruits. Lorsqu’une graine a été semée en terre, si l’on veut que la plante pousse et porte du fruit, il faut qu’elle soit exposée au soleil et à la pluie. Il en est de même pour notre vie spirituelle.
Une attitude de confiance face à l’Amour
Toutes les grâces, qui ont été déposées en nos cœurs lors du baptême et des autres sacrements, doivent porter « un fruit qui demeure » (Jean 15,16) ; et pour cela, nos cœurs doivent être exposés à celui que l’Écriture appelle « le Soleil de justice qui brillera avec la guérison dans ses rayons » (Malachie 3, 20). Pas de croissance spirituelle, pas de fruit sans prière personnelle, sans cet accueil de l’Esprit Saint qui descend du ciel comme la rosée, comme cette eau qui purifie le cœur et le renouvelle (Ezéchiel 36, 25-26).
Alors, pourquoi si peu de chrétiens pratiquent cette forme de prière ? Peut-être que les mots d’oraison, méditation, adoration font peur ? On les associe à ces grands saints qui, tels Thérèse d’Avila ou Jean de la Croix ont manifesté des capacités étonnantes d’union à Dieu dans la prière. On veut “mettre la barre trop haut”. Que d’objections, lorsqu’on propose cette forme de prière ! « Je suis tout de suite distrait, je n’arrive pas à me concentrer, j’ai des sentiments incontrôlés qui montent, j’ai des pensées peu dignes, je m’endors… »
En fait, c’est tellement plus simple. La prière personnelle silencieuse n’est pas d’abord un “exercice” de haute spiritualité, c’est essentiellement une attitude d’abandon et de confiance face à l’Amour qui vient sans cesse à notre rencontre.
Se laisser regarder, se laisser aimer. Voilà l’attitude fondamentale que nous enseigne le Curé d’Ars. On connaît l’histoire de ce paysan que le Curé d’Ars voyait souvent entrer dans son église pour y demeurer de très longs moments en silence, apparemment sans rien faire. Un jour que le Curé d’Ars lui demandait le sens de ces longues visites silencieuses, le paysan lui répondit en montrant le grand crucifix pendu au mur : « Il m’avise et je l’avise » (« Il me regarde et je le regarde »).
La joie pure de se mettre sous le regard de celui qui est notre Créateur et Sauveur, qui veut nous communiquer son amour, sa consolation, sa vie. Le petit enfant qui se laisse bercer par ses parents se pose-t-il des tas de questions sur la “qualité” de son amour, sur la “dignité” de ses pensées ? Pour le Seigneur, nous sommes des tout-petits.
Venez à moi, vous tous qui peinez !
Une autre approche qui nous fera encore mieux comprendre la nécessité et la beauté de la prière personnelle silencieuse : Jésus se présente comme le bon médecin qui vient guérir les malades que nous sommes. Ce temps de “cœur à cœur” avec lui est un moment privilégié où nous pouvons nous mettre en sa présence tels que nous sommes : avec nos fragilités, nos blessures, nos passions incontrôlées, nos misères. C’est pour cela qu’il est venu dans le monde. « Venez à moi, vous tous qui peinez… » (Matthieu 11,28). Il ne nous demande pas d’être autre que ce que nous sommes ou de nous forcer à avoir des attitudes “dignes” ou “mystiques”. Le temps de prière est un temps de vérité dans l’Amour. Il nous attend pour nous combler de sa grâce.
Enfin, si la prière silencieuse fortifie et intensifie toujours plus notre relation intime et personnelle avec le Seigneur, il n’en est pas moins vrai que toute l’Église et même le monde bénéficient de notre fidélité à cette rencontre quotidienne avec Dieu. L’Église est une grande famille, c’est le corps du Christ dont tous les membres sont étroitement solidaires les uns des autres. Et c’est l’Église qui porte l’humanité entière en sa maternelle sollicitude. Comme me le disait un prédicateur ami : chaque disciple du Christ qui accepte de prendre du temps gratuitement avec son Seigneur est à l’image de la femme de l’Évangile qui verse un parfum « de grand prix » sur la tête ou sur les pieds de Jésus ; et « toute la maison est remplie de l’odeur du parfum » ; la maison c’est l’Église… c’est le monde (cf. Marc 14, 3-9 et Jean 12, 1-8).
Article initialement rédigé pour la revue Le Cœur de Jésus, Paray-le-Monial.