Table ronde : Samia, musulmane, et Laurie, catholique, amies pour la vie !

Samia et Laurie se sont rencontrées il y a 13 ans dans le cadre professionnel. L’une est musulmane, l’autre est catholique. Leur amitié est profonde et elles aiment particulièrement échanger sur la relation qu’elles entretiennent avec Dieu.

Propos recueillis par LAURENCE DE LOUVENCOURT

Ilestvivant ! Comment vous êtes-vous rencontrées ?

Vignette Samia Laurie IEV334

Samia Laurie a fait un stage dans le foyer du ministère de la justice où je travaillais. Elle était assez décalée par rapport au milieu des éducateurs. Quant à moi, je venais de décider de porter le voile (mais bien sûr pas au travail !).

Laurie Ce qui m’a tout de suite frappée, chez Samia, en réunion d’équipe, c’est la façon dont elle parlait des jeunes pris en charge. Elle n’avait pas peur de les aimer et en même temps, elle avait une posture adulte vis-à-vis d’eux. Cette approche me plaisait beaucoup.

Samia Je me souviens de notre première discussion religieuse. C’était profond, avec des textes, des références, etc.

Laurie Nous avons échangé sur notre foi.

IEV De quelle manière s’est vécu ce partage ?

Laurie Chacune a dit là où elle en était dans sa relation à Dieu ; l’héritage familial reçu et ce qu’était sa foi d’adulte aujourd’hui. Je venais pour ma part d’une famille catholique engagée mais j’avais eu besoin de m’approprier cette foi. À un moment de cet échange, on en est venu à parler du sacrement de mariage. J’ai expliqué à Samia son caractère indélébile.

Samia C’était une totale découverte ! J’ai compris que pour les chrétiens, à travers l’autre, c’est envers Dieu que l’on s’engageait. J’ai trouvé cela très fort. Cela signifiait tenir plus à Dieu qu’au mariage lui-même. C’est comme cela que je le vois, moi aussi.

IEV Le mariage de Samia a sans doute été un moment fort dans votre amitié…

Laurie Je revois le moment où j’ai reçu l’appel de Samia m’annonçant son mariage. Comme tout semblait aller très vite, je me suis interrogée un bref instant : ce mariage n’était-il pas le fruit d’un conditionnement communautaire ? Puis tout de suite, cette idée m’a semblé absurde. Connaissant Samia, c’était impossible ! (rires) Et en rencontrant Hervé, j’ai senti que c’était en effet une belle histoire.

Samia C’est vrai, avec Hervé, c’est allé très vite. Ce qui m’a plu chez lui, c’est justement sa foi. Il s’est converti à l’islam. Dans notre religion, on a une prière de la consultation. On demande à Dieu si ce mariage est un bien pour nous : si c’est le cas, que cette personne reste dans notre environnement ; si ce n’est pas le cas, qu’elle s’éloigne. J’ai compris dans mon cœur que cette relation était bonne pour moi. Et ce qui nourrit notre union, encore aujourd’hui, c’est notre rapport à Dieu.

Laurie C’est le plus beau mariage civil auquel j’ai assisté. On a souri avec Samia quand l’élu qui les a mariés a évoqué les racines chrétiennes de l’institution du mariage telle qu’on la connaît en France. C’était un clin d’œil amusant.

Samia Dans l’islam, le mariage civil est important. La célébration religieuse n’est pas obligatoire.

Laurie J’ai réfléchi au cadeau que je voulais faire à Samia et je lui ai offert Histoire d’une âme, de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, avec ce petit mot : « Aujourd’hui je présente l’une à l’autre deux amies, qui valent toutes les deux le détour ; j’ai envie de les voir se rencontrer. »

Samia À plusieurs reprises, j’ai décidé de le lire mais à chaque fois, quelque chose m’arrête. Ce n’est sans doute pas encore le moment.

IEV Laurie, comment se passent vos échanges avec Hervé ?

Laurie La première fois que j’ai rencontré Hervé, nous avons tout de suite été sur le terrain de la relation à Dieu. Il vient d’une culture chrétienne et a retrouvé Dieu dans l’islam. Il s’interrogeait sur mon chemin de chrétienne. J’avais été touchée par sa franchise.

Samia Oui, tout de suite, ils ont parlé de sujets de fond. Hervé s’est éloigné du christianisme dans lequel il a grandi parce qu’il n’y a pas trouvé le respect de Dieu qu’il recherchait. Il trouvait que l’on s’amusait trop avec la religion. Hervé a une tante dont il est très proche, qui est une chrétienne très engagée. Je ne sais pas ce qu’elle pense de la conversion d’Hervé mais elle nous accueille toujours très bien. On échange énormément sur notre foi. C’est très fort.

IEV Qu’est-ce qui, selon vous, caractérise d’abord votre amitié ?

Laurie Nous n’avons jamais cherché à “convertir” l’autre, mais plutôt à la stimuler dans la foi en Dieu.

Samia Ce qui caractérise notre amitié, c’est en effet un vrai respect de la foi de l’autre. Ce qui m’émeut toujours, c’est qu’à l’occasion des fêtes religieuses importantes pour l’une, l’autre lui présente ses vœux, l’assurant de ses prières. Notre amitié, c’est, en quelque sorte, deux fois qui se sont rencontrées et qui se sont aimées.

IEV Dans vos échanges sur la foi, de quoi parlez-vous ?

Laurie Je me situe d’emblée naturellement sur le terrain de relation personnelle avec Dieu. C’est cela qui m’intéresse le plus. Nos échanges ne portent pas sur la religion et les prescriptions qui y sont associées mais sur notre vie avec Dieu et notre vie tout court sous le regard de Dieu.

Samia Je parle avec Laurie de Dieu, en qui j’ai une confiance totale. Je m’en remets totalement à lui en toutes choses. Pour moi, il est notre créateur, le créateur de l’univers, il est tout.

Laurie C’est cette relation que Samia entretient avec Dieu qui m’a frappée dès nos premiers échanges.

Samia Chez Laurie, j’ai retrouvé quelque chose que je défends dans ma foi. Que l’on doit faire les choses par amour pour Dieu et pas uniquement par crainte. Laurie parle beaucoup de “Dieu amour” dans ses messages. C’est ma propre vision.

IEV Avez-vous de tels échanges, Samia, avec des amies musulmanes ?

Samia J’en parlais récemment avec une amie et l’on constatait que non. On échange très peu sur notre foi et sur notre ressenti. On ne parle jamais de la saveur de la foi. Personnellement, je n’ai aucune envie de convertir les gens, j’ai juste envie qu’ils goûtent à cette saveur.

Laurie Pour illustrer ce que dit Samia, je pense à deux jeunes femmes que nous avions invitées au Rocher, dans le cadre d’une rencontre entre jeunes chrétiens et jeunes musulmans. Elles étaient très religieuses toutes les deux, l’une portant le voile, l’autre non. L’une était du Maghreb, l’autre du Sénégal. Et contre toute attente, le plus beau des échanges de ce jour-là, c’était le leur. Au Rocher, avec l’apport de notre culture chrétienne, nous suscitons parfois de tels partages entre musulmans sur la foi. Et nous sommes les premiers surpris !

IEV Les attentats islamistes qui ont frappé la France ont-ils eu un impact sur votre amitié ?

Laurie Le lendemain des attentats de Paris, j’ai reçu un message de Samia. Cela m’a semblé tout naturel.

Samia J’ai eu le besoin de partager avec Laurie ce que je ressentais : un profond abattement. J’ai perçu ces événements comme un vrai coup porté au “vivre ensemble” en France.

Laurie Pour ma part, à chaque fois qu’il se produit un événement qui peut créer des divisions entre chrétiens et musulmans, ma première pensée va à Samia.

IEV Qu’aimeriez-vous vivre encore ensemble ?

Laurie Je tiens beaucoup à cette amitié, parce que c’est elle, parce que c’est moi. Et aussi dans le contexte actuel.

Samia Cela montre à d’autres que c’est possible.

Laurie L’amitié n’est pas la seule réponse mais c’est une expérience qui nous dit : j’aime l’autre dans tout ce qu’il est. Je n’essaie pas de le changer. Charles de Foucauld, que j’aime beaucoup, est parti auprès des Touaregs avec l’envie d’en faire des chrétiens baptisés et Jésus lui a révélé combien son appel, c’était d’en faire d’abord ses amis. On aspire toutes les deux à la vie éternelle, et c’est pour cela que l’on ne se sent pas obligées de passer par la case…

Samia « … C’est mieux chez moi ! »

Laurie Exactement ! Samia Ce qui fonde notre relation, c’est bien sûr l’amitié. Mais plus encore : un profond respect de ce qu’est l’autre. ¨

Échanges sur le port du voile

Samia J’aime raconter pourquoi j’ai décidé de porter le voile. Un matin, Dieu m’a proposé le voile et j’ai disposé. La veille, j’étais encore à des années-lumière d’une telle décision. Mais ce matin-là, c’est devenu une évidence.

Laurie Cela m’a touchée de voir que, pour Samia, cette démarche n’était pas de type identitaire, mais qu’elle s’enracinait dans la spiritualité. J’ai été touchée aussi de voir que travaillant dans le service public, Samia avait un profond désir d’en respecter les règles.

Samia Sur cette question, je m’approprie une certaine lecture de l’islam. Ce courant explique que lorsqu’on porte le voile, en pays non-musulman, ce n’est pas pour autant qu’il faut arrêter de travailler. Il invite à respecter les règles du pays où l’on vit : porter le voile en privé, et l’enlever si nécessaire lorsque l’on travaille.

Laurie C’est une piste très intéressante, je trouve.

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