Avec Jean-Luc Moens, prenons un moment pour (re)découvrir l’histoire de saint Jean-Paul II, ce pape missionnaire qui traversera les drames du 20ème siècle en s’offrant sans réserve à l’Amour divin, qui s’exprimait profondément dans son amour pour l’homme.
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Découvrez chaque semaine un ou plusieurs saints. Quels sont les événements majeurs de leurs vies ? Quels ont été leurs grands enseignements ? Que peut-on en tirer pour notre vie aujourd’hui ? Et pour notre monde ? Jean-Luc Moens nous raconte leur histoire dans des podcasts de 5 minutes ! Bonne écoute !
Saint Jean-Paul II
Santo subito ! Santo subito ! Saint tout de suite !
C’est ce que nous avons entendu sur la place saint Pierre à Rome le 8 avril 2005 lors des obsèques du pape Jean-Paul II, célébrée en présence d’un million de personnes. Des milliers d’entre elles ont demandé en criant et avec des banderoles la canonisation immédiate du pape polonais, décédé quelques jours auparavant.
Il faut dire que le pape Jean-Paul II a marqué l’histoire du XXème siècle :
• Premier pape non italien depuis des siècles ;
• Premier pape issu de derrière le rideau de fer : quand Karol Wojtyła est élu en 1978, n’oublions pas que nous sommes toujours en pleine guerre froide avec le rideau de fer et le mur de Berlin ;
• Un pape qui a contribué à faire tomber le mur de Berlin et qui a été victime d’une tentative d’assassinat probablement fomentée par le KGB ;
• Un pape élu à 58 ans et dont le pontificat sera un des plus longs de l’histoire (le troisième plus long) : près de 27 années ;
• Le pape qui a inventé les JMJ et qui rassemblé des millions de personnes au cours de ses 104 voyages apostoliques ;
• Un pape qui a révolutionné la vision chrétienne de la sexualité humaine à travers ses catéchèses sur la théologie du corps ;
• Un pape qui a battu le record de béatifications et de canonisations : il a proclamé 1338 Bienheureux et 482 Saints !
• Un pape qui a fait entrer l’Église dans le troisième millénaire…
• Et je pourrais continuer…
Qui est donc ce pape exceptionnel ? Ce saint de notre époque ?
Karol Józef Wojtyła naît le 18 mai 1920 à Wadowice, petite ville située à cinquantaine de km de Cracovie. Il est le cadet des trois enfants de Karol Wojtyła et d’Emilie Kaczorowska. Il est baptisé deux jours après sa naissance. Il fait sa première communion à 9 ans et, la même année, il perd sa maman. Son frère aîné Edmund, médecin, décède alors qu’il a 12 ans. À la fin de ses études secondaires à l’École Marcin Wadowita de Wadowice, il entre à l’université Jagellon de Cracovi. Il suit aussi un cours de théâtre, passion qu’il entretiendra toute sa vie au point d’écrire lui-même des pièces. Son université doit fermer en 1939 avec l’invasion de la Pologne par les nazis. Le jeune Karol est obligé de travailler sur un chantier de l’usine chimique Solvay afin de gagner sa vie et d’échapper à la déportation en Allemagne. C’est à ce moment-là qu’il découvre le Traité de la vraie dévotion à la Vierge Marie de saint Louis-Marie Grignion de Montfort qui va marquer sa vie et lui donner une grande dévotion mariale. Son père meurt en 1941. Le jeune Karol se retrouve donc seul à 19 ans, car sa sœur Olga était décédée avant sa naissance.
A partir de 1942, il ressent l’appel au sacerdoce. Il entre alors au Séminaire clandestin de Cracovie. En même temps, il fait de la résistance à l’occupant avec le Théâtre Rapsodique, un théâtre évidemment clandestin. Déjà à cette époque, le jeune Karol considère la culture comme un acte de résistance.
Une fois la guerre terminée, Karol poursuivit ses études au Grand Séminaire de Cracovie à peine réouvert ainsi qu’à la Faculté de théologie de l’Université Jagellon. Il est ordonné prêtre à Cracovie le 1er novembre 1946 par le Cardinal Adam Stefan Sapieha.
Vient ensuite un temps d’étude à Rome où il présente son doctorat en théologie en 1948, sous la direction du célèbre théologien Dominicain français, le P.Garrigou-Lagrange. Le thème de sa thèse est la Foi dans l’œuvre de saint Jean-de-la-Croix. Durant ce séjour en Italie, il exerce un ministère pastoral auprès des émigrés polonais de France, de Belgique et des Pays-Bas.
Rentré en Pologne en 1948, il est vicaire dans diverses paroisses et aumônier des étudiants. Toute sa vie, il sera proches des jeunes. Il est sportif, aime les balades en montagnes, le kayak, le ski. Il emmène les jeunes en excursions, ce qui lui permet d’éviter les contrôles des autorités communistes, très méfiantes à l’égard de l’Église.
En 1951, il fait un doctorat en philosophie à l’Université catholique de Lublin. Il défend sa thèse en 1953 en phénoménologie dont le titre est « Mise en valeur de la possibilité de fonder une éthique catholique sur la base du système éthique de Max Scheler ». Il devient ensuite professeur d’université en théologie morale et éthique sociale au Grand Séminaire de Cracovie et à la Faculté de théologie de Lublin. Il continue son apostolat auprès des jeunes et des jeunes couples. N’oublions pas que tout ceci se passe dans un régime communiste qui s’est installé en Pologne dès après la seconde guerre mondiale.
Le 4 juillet 1958, Pie XII le nomme évêque auxiliaire de Cracovie. Mgr Wojtyła choisit comme devise épiscopale « Totus tuus », devise empruntée à Louis-Marie Grignion de Montfort. Il confiera plus tard, dans une lettre datée de 2004 : « Ces deux paroles expriment l’appartenance totale à Jésus à travers Marie : “Tuus totus ego sum, et omnia mea tua sunt”, écrit saint Louis-Marie et il traduit : “Je suis tout à vous, et tout ce que j’ai vous appartient, ô mon aimable Jésus, par Marie, votre sainte Mère” (Traité de la vraie dévotion, n. 233). La doctrine de ce saint a exercé une profonde influence sur ma dévotion mariale et sur ma propre vie. »
Le 13 janvier 1964, il est nommé archevêque de Cracovie par Paul VI et trois ans plus tard, il est fait cardinal. Comme évêque polonais, il s’oppose courageusement aux autorités communistes, par exemple dans la construction de l’église de Nova Uta, une cité sidérurgique que le gouvernement polonais veut édifier à la gloire de l’athéisme. Le cardinal Wojtyła célèbre la messe en plein air, parfois sous la neige, jusqu’à ce que les autorités cèdent et que l’église puisse être construite.
Entre temps, Mgr Wojtyła participe au Concile Vatican II (1962-1965). Il apporte une importante contribution à l’élaboration de la constitution Gaudium et spes. Ensuite, le Cardinal Wojtyła participe à toutes les assemblées du Synode des évêques.
Je me suis demandé comment le conclave de 1978 a pu élire un cardinal polonais, inconnu au bataillon. Eh bien, c’est justement qu’il n’était pas si inconnu que cela.
Il y a eu un événement qui a mis le cardinal Wojtyła en évidence au synode sur l’évangélisation de 1974. Dans la première partie du synode, chaque évêque participant a pu donner sa vision de l’évangélisation. À la fin de toutes les interventions, la situation était d’une certaine manière bloquée car différentes visions qui semblaient contradictoires s’opposaient. Par exemple, pour certains, l’évangélisation devait être explicite ; pour d’autres, elle devait se faire par le témoignage de vie silencieux. Pour certains, l’évangélisation était christologique ; pour d’autres pneumatologique. Il y a eu une commission chargée de dénouer ces blocages et c’est le cardinal Wojtyła qui a proposé une solution dans un document imprimé sur des feuilles bleues, qu’on a appelé plus tard « le document bleu ». Dans ce texte, le cardinal Wojtyła proposait de suivre le principe d’intégration de Hans Urs von Balthasar, c’est-à-dire d’utiliser la conjonction ET au lieu de la conjonction OU. On trouve une trace de ce travail au §24 d’Evangelii Nunciandi : « Ces éléments peuvent apparaître contrastants, voire exclusifs. Ils sont en réalité complémentaires et mutuellement enrichissants. Il faut toujours envisager chacun d’eux dans son intégration aux autres. » (EN §24) Concrètement, pour revenir à nos exemples, le cardinal Wojtyła affirmait que l’évangélisation doit être explicite ET basée sur le témoignage de vie ; qu’elle dépend du Christ ET de l’Esprit Saint, etc.
Un autre événement a contribué à faire connaître le cardinal Wojtyła : en 1976, Paul VI lui a demandé de prêcher les exercices de carême de la Curie romaine.
Le 16 octobre 1978, le cardinal Wojtyła est élu pape à la suite du décès de Jean-Paul Ier. Il choisit de s’appeler Jean-Paul II, en continuation de son prédécesseur. Je vous rappelle que Jean-Paul Ier avait choisi ce nom pour montrer qu’il voulait continuer l’œuvre commencée par ses deux prédécesseurs, Jean XXIII et Paul VI. C’est finalement Jean-Paul II qui va être le pape qui mettra en œuvre le concile Vatican II. Le lendemain de son élection, il déclare : « Nous voulons tout d’abord souligner l’importance permanente du deuxième Concile œcuménique du Vatican, et ceci signifie pour nous l’engagement formel de l’appliquer soigneusement. »
Il n’est pas possible de résumer l’immense pontificat de Jean-Paul II. Il faut faire des choix, se limiter aux événements marquants. Je fais évidemment des choix personnels :
• Peu de temps après son élection, de septembre 1979 à novembre 1984, Jean-Paul II a consacré les catéchèses des audiences générales du mercredi à une vision chrétienne renouvelée de la sexualité qu’on a appelé théologie du corps. Il s’agit du premier enseignement majeur de son pontificat et du plus long enseignement jamais donné par un pape sur le même sujet. Cet enseignement apporte un renouvellement majeur dans la vision de l’Église sur la sexualité et on n’a pas fini d’en découvrir toutes les facettes. Malheureusement, alors qu’elle est très étudiée dans les pays anglophones, chez nous, elle reste quasiment inconnue. Nous avons du pain sur la planche !
• Son premier voyage en Pologne : les autorités communistes ont peur de cette visite. Le peuple polonais est immensément fier d’avoir un pape issu de sa culture. Jean-Paul II est accueilli en triomphe. Il soutient explicitement Solidarnosc et Lech Walesa. C’est le début de la chute du communisme. On reconnaît généralement que Jean-Paul II a joué un rôle – au moins indirect – dans la chute du communisme.
• Clairement, l’URSS et les pays communistes voient d’un mauvais œil l’avènement d’un pape polonais à la tête de l’Église. C’est ainsi que le 13 mai 1981, Mehmet Ali Ağca tire 3 balles sur Jean-Paul II au cours d’une audience sur la place saint Pierre. Le pape est grièvement blessé mais il survit au grand étonnement du tireur professionnel qui dit ne jamais rater sa cible. Jean-Paul II attribue sa survie à la Vierge de Fatima que l’on fête le 13 mai. C’est lui qui fera dévoiler le troisième secret de Fatima où les voyants ont vu un homme en blanc blessé par des balles et des flèches. Jean-Paul II considère que son attentat est la réalisation de la vision des petits pastoureaux. Il béatifiera d’ailleurs François et Jacinthe le 13 mai 2000.
• En reconnaissance, 6 mois après l’attentat, Jean-Paul II fait installer une grande mosaïque (plus de 2,5 m de haut) de Marie, mère de l’Église, sur la façade du palais apostolique, bien visible de tous les pèlerins sur la place saint Pierre. Il fera aussi insérer la balle qui l’a blessé dans la couronne de la statue de la Vierge à Fatima. Jean-Paul II accordera publiquement son pardon à son assassin le 17 mai 1981, quatre jour après l’attentat. Il visitera aussi Mehmet Ali Ağca en prison le 27 décembre 1983 pour réitérer son pardon.
• Suite à cette blessure, il écrit aussi un texte magnifique sur la souffrance : la lettre apostolique Salvifici doloris, la souffrance salvifique, en 1984. Cet écrit du pape fait partie de grande production : 14 encycliques, 15 exhortations apostoliques, 11 constitutions apostoliques et 45 lettres apostoliques.
• C’est un pape qui ne mâche pas ses mots. Par exemple, au cours de son voyage de 1983 en Haïti, en pleine dictature Duvalier, alors que le peuple souffre, Jean-Paul II proclame : « Il faut que les choses changent ici ! » Le régime Duvalier s’écroulera 3 ans plus tard.
• En 1985, Jean-Paul II lance les Journées Mondiales de la Jeunesse, les fameuses JMJ, qui seront organisées dans différents pays du monde et qui vont regrouper des millions de jeunes. On saura au ciel l’impact incroyable que les JMJ ont eu sur les jeunes, sur les vocations, sur le développement de l’Église dans le monde entier. En 1994, il lance les Journées Mondiales des familles, avec un objectif analogue pour les familles du monde entier.
• Jean-Paul II a promulgué le Catéchisme de l’Église catholique, à la lumière de la Tradition, interprétée avec autorité par le Concile Vatican II. Il a également réformé le Codes de droit canonique latin et oriental, a créé de nouvelles institutions et réorganisé la Curie romaine.
• Jean-Paul II a aussi travaillé au dialogue avec les juifs ainsi qu’avec les représentants des autres religions. Il a été l’initiateur des rencontres de prière pour la paix à Assise où des leaders de différentes religions se sont retrouvés pour prier pour la paix.
• Jean-Paul II est aussi le pape qui a fait passer l’Église dans le troisième millénaire avec le Grand Jubilé de l’an 2000 et sa lettre programmatique Novo Millenio ineunte où il propose un véritable parcours pastoral pour l’Église.
• Jean-Paul II est le pape des années saintes, de l’année de la Rédemption, de l’année mariale et de l’année de l’Eucharistie. C’est aussi le pape de la nouvelle évangélisation. Dès 1979, il invite toute l’Église à entamer une nouvelle évangélisation avec une « nouvelle ardeur », dans de « nouvelles formes » et de « nouvelles méthodes ».
• Enfin, c’est le pape de la souffrance et de la maladie. Tout le monde se souvient de ce vieux pape à sa fenêtre, malade de Parkinson, incapable de parler, quelques jours avant sa mort, saluant une dernière fois les pèlerins amassés sur la place saint Pierre.
On attribue plusieurs miracles au pape Jean-Paul II de son vivant. Il y a un livre du vaticaniste Andrea Tornielli qui est consacré à ce sujet.
Permettez-moi de vous en raconter un.
Un riche juif américain apprend qu’il a un cancer et qu’il ne lui reste que très peu de temps à vivre. Il a deux rêves : aller à Rome rencontrer Jean-Paul II et aller à Jérusalem.
Il obtient grâce au secrétaire du pape, Mgr Dziwisz, de participer à la messe du pape, le matin à 6h. Notez que beaucoup de personnes ont pu être invitées à participer à cette messe, j’ai moi-même eu la grâce d’y participer un jour.
Notre riche juif américain se retrouve donc dans la chapelle privée du pape et la messe commence. À la communion, il ne sait pas bien comment faire et s’avance avec les autres. Il reçoit la communion des mains du pape, mais celui-ci a bien vu que cet homme ne sait rien de ce qu’il fait. À la fin de la messe, Jean-Paul II montre un certain agacement à Mgr Dziwisz. Il a l’impression d’avoir été piégé dans une situation inattendue.
Mais, miracle, notre juif américain est complètement guéri ! et il rentre aux USA en ayant salué le pape comme espéré !
Il y a beaucoup d’anecdotes très belles sur Jean-Paul II. Une, en particulier, m’ beaucoup touché.
Il s’agit d’un prêtre qui a quitté le sacerdoce et qui est devenu SDF dans les rues de Rome. La chose parvient aux oreilles de Jean-Paul II. Il charge Mgr Dziwisz de le retrouver et le faire venir dans ses appartements. On amène donc le SDF chez le pape qui le reçoit longuement en tête à tête. Finalement, le SDF ressort transfiguré. On lui demande : « Que s’est-il passé ? Que t’a dit le pape ? » Il répond : « Il m’a simplement demandé de se confesser… » Suite à cela, ce SDF a réintégré le sacerdoce dans une paroisse de Rome. Cette histoire très touchante montre le cœur sacerdotal et la miséricorde de Jean-Paul II.
Jean-Paul II a aussi canonisé sainte Faustine Kowalska qu’il connaissait bien comme archevêque de Cracovie. Il a été un pape apôtre de la miséricorde. Sa deuxième encyclique est consacrée à la miséricorde : Dives in misericordia, Dieu riche en miséricorde. C’est lui aussi qui accèdera à la demande que Jésus a faite à sainte Faustine que le dimanche après Pâques devienne le dimanche de la miséricorde. C’est justement dans la soirée qui précède ce dimanche de la miséricorde que Jean-Paul II aimait tant qu’il s’éteint paisiblement au Vatican le 2 avril 2005 à l’âge de 84 ans.
Seulement 41 jours après son décès, son successeur Benoît XVI permet l’ouverture du procès de béatification de Jean-Paul II. Il est béatifiée en 2011 et canonisé en 2014. À noter que le premier miracle qui ouvre à la béatification est justement celui d’une religieuse souffrant de la même maladie que Jean-Paul II, la maladie de Parkinson.