La résurrection de Lazare, pédagogie d’espérance pour aujourd’hui

Dans quel monde les jeunes que nous avons en charge seront-ils appelés à vivre ? Ne nous berçons pas d’illusions, ne leur faisons pas croire que l’avenir sera différent du présent et qu’ils pourront vivre dans ce monde de la série « Friends » qui a fait rêver des millions de jeunes dans les années 1994 à 2004. Non, la vie n’est pas un long fleuve tranquille, et nous pourrions reprendre plutôt à notre compte cette assertion d’Albert Camus qui caractérisait son temps comme « le siècle du tragique ». Aussi bien, notre responsabilité d’éducateurs est de préparer les jeunes à vivre en un tel monde.

Lazare

Pour cela, nous pouvons prendre exemple sur le Christ : n’a-t-il pas préparé ses apôtres et disciples à la plus grande tragédie de tous les temps, à savoir sa Passion et sa mort en croix ? Revenons sur le récit de la mort et la résurrection de Lazare, prodigieuse anticipation de celle de Jésus, et surtout grand moment pédagogique.


Lazare, frère de Marthe et de Marie, était, avec ses sœurs, un des amis intimes de Jésus. Or, il tomba gravement malade alors que le Christ était à plusieurs jours de marche de Béthanie, le village où ils habitaient. Ils envoyèrent des gens lui dire : « Seigneur, celui que tu aimes est malade » (Jn 11,3). Bien qu’ils fussent terriblement inquiets, Jésus demeura encore deux jours au lieu où il se trouvait, avant de partir enfin pour Béthanie. Jésus, qui savait tout, déclara d’ailleurs à ses apôtres que Lazare était déjà mort. Quand il arriva, Lazare était décédé depuis quatre jours ! Marthe et Marie pouvaient n’y rien comprendre : pourquoi leur Maître et Ami n’était-il pas accouru le plus vite possible pour sauver leur frère ? Et Marthe dit à Jésus : « Si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » (Jn 11,21).

Le Christ a donc laissé ses amis faire l’expérience douloureuse de la mort.
Il a ensuite agi de telle sorte que leurs épreuves prennent un sens ; en eux va naître l’espérance. Dans son épreuve, Marthe avait eu une parole pour montrer que la mort de son frère n’avait pas tué en elle la foi en son Dieu : « Maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera » (Jn 11, 22). Jésus lui dit que son frère ressuscitera, et elle répondit qu’elle savait bien qu’il ressusciterait au dernier jour. L’espérance de Marthe ne concernait en effet que les derniers jours, c’est-à-dire la fin des temps, mais pas encore le temps présent. Jésus, partant de cette foi qui était déjà en elle, la raviva encore en lui disant : « Je suis la résurrection, crois-tu cela ? » (Jn 11, 25) et il demanda à aller au tombeau, et qu’on ouvre celui-ci. Marthe objecta « Seigneur, il sent déjà, c’est le quatrième jour » (Jn 11,39).  Alors, le Maître lui demanda non plus un acte d’espérance eschatologique, mais un acte d’espérance pour aujourd’hui.
Elle accepta que la pierre soit enlevée.

Pouvons-nous imaginer ce qui s’est passé dans le cœur de Marthe et de Marie, et dans le cœur des Juifs qui étaient nombreux avec elles, quand Jésus a crié d’une voix forte : « Lazare, sors du tombeau ! » (Jn 11, 43) Quel frémissement ! Quelle émotion ! Quelle crainte mêlée d’espérance !

Et puis Lazare est apparu, les pieds et les mains liés de bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire, de sorte que ce n’est absolument pas par ses propres forces qu’il avait pu se déplacer. Et comme personne n’osait s’approcher pour vérifier par le toucher ce qui apparaissait à leurs regards, Jésus dut leur dire : « Déliez-le » (Jn 11,44). Et c’est alors, en enlevant le suaire du visage d’une main tremblante, que naît une espérance concrète et forte, vraiment pour l’instant présent, pour cette minute où le visage va apparaître et où Marthe sait avec une certitude qui emplit tout son être, que ce visage ne sera pas le masque de la mort, mais le sourire d’un vivant ! Et comme ils sont là tous et qu’ils ne veulent plus le lâcher maintenant qu’il vit, il faut encore que Jésus leur dise : « Laissez-le aller ! » (Jn 11, 44). Vont-ils le perdre à nouveau ? Mais non, dans un nouvel acte d’espérance, ils le laissent aller en effet et ils le regardent marcher, libre, sur la terre des vivants.

 Si l’espérance n’était pas une vertu qui porte en elle une force de contradiction à l’égard du monde, l’histoire s’arrêterait là : Lazare vivant, la vie pourrait s’écouler comme un long fleuve tranquille. Mais la résurrection de Lazare était une étape pédagogique pour préparer les apôtres et disciples à traverser dans la foi et l’espérance la grande épreuve de la mort de Jésus.

Quelle leçon pouvons-nous en tirer, nous qui avons à préparer les jeunes aux épreuves de la vie ? 
La première chose que nous remarquons, c’est que Jésus ne protège pas ses amis de l’épreuve tragique, et qu’en revanche, il ne les y laisse pas seuls, mais les accompagne au fond de leur deuil qui est aussi le sien puisqu’il va jusqu’à pleurer lui aussi son ami mort (Jn 11, 35). Ceci interroge le réflexe de protection que nous avons : comment la capacité de résilience de nos jeunes peut-elle éclore et se développer s’ils sont tenus à l’écart des dures réalités de la vie ? La douceur du Christ n’est pas mièvrerie, c’est une douceur qui accompagne l’humanité jusqu’aux plus profondes ténèbres. Quand Jésus mourra, les disciples ne comprendront pas, mais ils se souviendront de sa douceur, ils se souviendront qu’il ne les avait pas abandonnés au moment de la mort de Lazare.

La seconde remarque, c’est que nous ne sommes pas appelés à l’espérance seulement pour la fin des temps (ce qui faisait dire à Karl Marx que la religion est l’opium du peuple), mais à une espérance concrète et active pour aujourd’hui. C’est cette espérance incarnée que nous devons donner en nourriture quotidienne à nos élèves et nos collègues, près l’avoir demandée à Dieu.

En réalité, aucun de nous ne sait de quoi demain sera fait. Nous savons bien que la vie ici-bas est et restera toujours douloureuse et tragique. Aujourd’hui, en cette Pâques 2024, ne voyons-nous pas de sombres nuages monter à l’horizon ? Nous ne pouvons pas éduquer nos jeunes comme si l’avenir était à une croissance économique radieuse dans un ciel politique serein.  Ce serait irresponsable. Nous ne pouvons pas éduquer les jeunes chrétiens comme s’ils étaient majoritaires, dans une église regorgeant de vocations, dans des familles unies, dans une culture nationale réellement chrétienne et porteuse de valeurs sûres. Pour affronter le monde d’aujourd’hui et de demain, ils ont besoin de ces deux choses complémentaires : le réalisme lucide et la douceur infinie du Rédempteur.
Ne faut-il pas que nous préparions nos jeunes pour qu’ils soient debout dans la foi et marchent dans l’espérance ?

Bernard de Castéra

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