Rencontrer pour annoncer – Conseils missionnaires de Charles de Foucauld

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Dans le contexte particulier dans lequel il vécut, comment Charles de Foucauld envisageait-il la mission du chrétien ? Et quelles lumières apporte-t-il sur la mission au XXIe siècle ?

Par PIERRE SOURISSEAU
Pierre Sourisseau est depuis plus de trente ans archiviste de la cause de canonisation.

Dans l’esprit ou sous la plume de Charles de Foucauld, le mot mission n’est pas banal, mais signifiant. Sa formation militaire, les manœuvres auxquelles il a participé, son expérience acquise sous l’uniforme lui ont permis de comprendre et de personnaliser ce qu’est une mission à accomplir, un ordre à exécuter, une œuvre à réaliser coûte que coûte , avec la responsabilité qui en découle… Converti, contemplant Jésus tant dans sa vie de Nazareth que dans son ministère public, il découvre que Jésus remplit une mission : désigné par son nom même, il est Sauveur et meurt pour aller jusqu’au bout de cette mission, d’une œuvre, qu’il transmet à ceux et celles qui veulent être ses fidèles, ses disciples-missionnaires. Le 18 juin 1916, Charles de Foucauld explicitait ainsi sa pensée sur la mission de Jésus et la nôtre : « L’œuvre de sa vie terrestre, ce qu’il est venu faire ici-bas, c’est le salut des hommes. Si, comme c’est notre devoir, nous voulons L’imiter, la première chose à faire est de faire du salut des hommes l’œuvre de notre vie, en employant le meilleur de nos forces et de nos efforts, quelle que soit notre condition, pour sauver les âmes… Nous aimer les uns les autres comme Jésus nous a aimés, c’est faire du salut de toutes les âmes, l’œuvre de notre existence, en donnant au besoin notre sang pour lui, comme Jésus l’a fait. »

Évangéliser son prochain

Face à cette mission et à cette responsabilité, Charles de Foucauld, à partir de la formule biblique « aimer son prochain », distingue deux catégories de prochain, celui qui est proche par les liens familiaux ou le voisinage, et celui qui est plus éloigné. Et ce prochain, proche ou éloigné, est mon frère. En découle un devoir d’immense et d’universelle charité envers tous les hommes, avec une mission d’évangélisation, de « conversion des âmes éloignées de Jésus et spécialement des infidèles ».
Cette mission est présentée par Charles de Foucauld en lien avec la responsabilité des parents envers leurs enfants, avec une idée extensive des responsabilités : de la famille de base, la responsabilité vise ensuite la famille élargie, puis la patrie qui est une grande famille, puis les colonies qui sont une extension de la patrie, sans oublier ces peuples dont les pays chrétiens ne s’occupent pas et qui sont comme les enfants handicapés d’une famille auxquels parents, frères et sœurs apportent une plus grande affection et une attention toute particulière.

Cette sensibilité à ses proches vient de son enfance et de sa jeunesse, où il vit spontanément le contact, la relation avec autrui. Adolescent, il a des amis ; militaire, il est un camarade agréable avec ses collègues et un lieutenant proche de ses soldats, avant de devenir un jeune explorateur qui cherche à découvrir le monde et qui « ose la rencontre » avec l’inconnu…
Il concevra donc l’évangélisation par influence, rayonnement, contagion, imprégnation, avec comme but « d’améliorer les âmes, de les imprégner progressivement du Saint Évangile et les disposer ainsi à le recevoir tout entier ». Jésus à Nazareth rayonnait ainsi l’Évangile autour de lui par ses vertus, et « là où il passait, il faisait le bien » (Actes, 10, 38, souvent cité par Charles de Foucauld). La prédication de l’Évangile au temps des Apôtres et de saint Paul se faisait aussi de cette façon : au niveau des « maisons » et des assemblées de type familial, dans des réunions fraternelles et dans des relations courtes. Le foyer chrétien de Priscille et Aquila chez qui l’Église se réunit (Rom. 16, 5 et I Cor. 16, 19) est une des références préférées de Charles de Foucauld dans ses projets missionnaires.

S’adapter à chacun

Lui-même à Tamanrasset a vécu ce genre de relations avec ses voisins et ses amis. Quant à son abondante correspondance, son moyen favori pour « améliorer les âmes », elle montre son génie spirituel qui sait s’adapter à chaque correspondant pour l’élever humainement et spirituellement. Cette approche missionnaire est tout à fait d’actualité et devrait inspirer celles et ceux qui veulent être en relation avec leurs voisins et leurs amis au quotidien. La charité n’ayant rien d’étroit, « elle embrasse tous ceux qu’embrasse le Cœur de Jésus » et s’étend donc jusqu’au prochain qui vit « dans des lieux éloignés ». Concrètement, pour Charles de Foucauld inséré dans le sud algérien de 1901 à 1916, ce prochain, ce sont les infidèles des régions où la France arrive, sans oublier qu’existent ailleurs d’autres infidèles très délaissés spirituellement.

Là où l’Évangile n’a pas été annoncé

Par rapport à ces « éloignés », la première activité missionnaire, selon lui, et la première annonce évangélique, est de les rejoindre physiquement et de s’implanter là où l’Évangile n’a pas encore été annoncé, d’être présent dans ces lieux non touchés par la Bonne Nouvelle, d’y célébrer la Messe et d’y installer un Tabernacle, ceci parce qu’il a conscience d’être l’Église qui vient là où, depuis la Pentecôte, elle n’était encore pas arrivée… Devant l’hypothèse de ne pas pouvoir célébrer parce qu’il est seul, Charles de Foucauld réagit en homme représentant l’Église et se compare à ces apôtres et à ces saints qui ont privilégié les avancées en terre païenne pour y être l’Église, quitte à ne pas pouvoir tout de suite y célébrer l’Eucharistie.

Par ailleurs, célébrer l’Eucharistie dans un lieu, surtout quand c’est la première fois, y installer un Tabernacle, c’est y incarner Jésus (« Ceci est mon Corps ») ; c’est permettre à Jésus d’habiter là, aussi réellement qu’il a habité Nazareth où « Le Verbe fait chair a habité » ; c’est Lui permettre « de prendre possession de son domaine » ; c’est l’évènement de Noël pour cette région ; c’est aussi le Calvaire et tout le Mystère pascal : Passion- Pâques-Pentecôte, célébré sacramentellement et rendu présent hic et nunc ; c’est faire que Jésus, le Frère universel, devienne un autochtone de Béni-Abbès, un Touareg de Tamanrasset, un indigène, dans le sens premier de ce mot, et Lui permette d’être concrètement Frère en humanité des gens du pays. Pour ces “lointains” non encore évangélisés, Charles de Foucauld rêve d’une “œuvre” où les chrétiens seraient actifs, mais pas pour faire n’importe quoi. Avec des termes forts : en tout humain, en toute âme, en tout homme, il prône le discernement, et une évangélisation adaptée à chaque situation, nécessitant de connaître le terrain, d’y aller progressivement avec la personne qu’on a devant soi… et d’être patient, car la personne à évangéliser aura du chemin à parcourir. D’où les allusions fréquentes au défrichage qui prendra du temps, mais dans une confiance absolue, puisque Dieu veut le salut de tous.

Prêtre libre

Pour l’évangélisation de ces peuples, des ouvriers apostoliques ont été désignés et missionnés par l’Église. Au Sahara, ce sont les Pères Blancs et les Sœurs Blanches de la Préfecture apostolique de Ghardaïa. Pour Charles de Foucauld, ce sont eux et elles, les missionnaires. Les Frères et les Sœurs qu’il rêve de réunir apporteront leur concours à titre d’auxiliaires. C’est d’ailleurs dans cette position d’aide à la mission officielle qu’il se situe lui-même en se disant prêtre libre. S’il va dans l’extrême sud de la Préfecture apostolique chez les Touaregs, c’est parce qu’il est le seul capable de s’y rendre ; et de là-bas, il envoie aux Pères Blancs, premiers responsables de la mission du Sahara, des renseignements qui pourront leur servir un jour. Pour aider les futurs missionnaires, il fait œuvre d’ethnologue et prépare des instruments linguistiques. Il est au service de la mission de l’Église avec un statut et un régime personnel, avec une manière propre d’y exercer son activité et ses intuitions missionnaires, selon son appel particulier, sa vocation d’imitation de Jésus à Nazareth et son charisme personnel.

Rencontrer pour évangéliser

Que ce soit pour le prochain du voisinage ou pour le prochain des lieux éloignés, les « moyens généraux et particuliers pour la conversion des âmes éloignées de Jésus et spécialement des infidèles » sont les mêmes, écrit Charles de Foucauld dans le Directoire et les Statuts de 1916 de l’Union des frères et sœurs du Sacré-Cœur de Jésus. Certes l’organisation actuelle de la Mission de l’Église n’est plus structurellement celle des années 1900-1916, mais ces moyens et ces pratiques peuvent encore motiver tout chrétien qui veut servir dans une Église toujours en état de mission. Après le culte envers Jésus dans l’Eucharistie et la sanctification personnelle commentés ci-dessus, un passage des notes de Charles de Foucauld écrites le 17 mai 1904, lors de son premier voyage chez les Touaregs, décrit bien sa vision pour que « Jésus prenne possession de son domaine » : « Comment ? Silencieusement, secrètement, comme JESUS à Nazareth, obscurément, comme lui “passer inconnu sur la terre, comme un voyageur dans la nuit”, pauvrement, laborieusement, humblement, doucement, avec bienfaisance comme lui, “qui passait en faisant le bien”, désarmé et muet devant l’injustice comme lui, me laissant comme l’Agneau divin, tondre et immoler sans résister, ni parler, imitant en tout JESUS à Nazareth et JESUS sur la Croix… Comment ? Surtout amoureusement… en faisant écouler, rayonner ce grand amour de DIEU et de JESUS sur tous les hommes “pour qui le Christ est mort”, “rachetés à grand prix”, en “les aimant comme Il les a aimés”, et en faisant tout mon possible, tout ce qu’il faisait à Nazareth pour sauver leurs âmes, les sanctifier, consoler, soulager, en Lui, par Lui, comme Lui… » (Carnet de Béni-Abbès). Dès lors, Charles de Foucauld insiste sur la prière, la pénitence, le bon exemple, la bonté, l’amitié.

– La prière. La prière de demande au Père pour que Son règne arrive, doit être confiante et continuelle : « Que notre vie soit une vie de prière continuelle ». Il propose plus précisément pour la Mission des prières spéciales : l’invocation « Cor Jesu sacratissimum, adveniat Regnum Tuum », l’Angélus, mémorial de l’Incarnation, de la toute première annonce de la Bonne Nouvelle, de l’évangélisation en son germe, et le Veni Creator, célébration d’une Pentecôte toujours actuelle, où « on prie pour tous les humains demandant à l’Esprit Saint d’établir son règne en eux ».

– La pénitence, qui renvoie à la Croix de Jésus, et aux croix qu’il faut accepter dans l’obéissance à la volonté du Père. Il en parle dans une perspective missionnaire puisque c’est ainsi que Jésus a sauvé les hommes. Par pénitence ou sacrifice, il entend aussi bien les croix extérieures (événements pénibles, ordres reçus de l’autorité, maladies…), que des actes de mortification volontaire. Ces deux genres de souffrance sont la Croix, mot qui résume l’attitude de Jésus, pénitent depuis sa naissance, vivant dans l’abjection jusqu’à la mort sur une croix dans l’abandon entre les mains de son Père.

– Le bon exemple. En écrivant : « ils doivent être un Évangile vivant », Charles de Foucauld vise bien sûr la conduite exemplaire des chrétiens qui sont au milieu des populations sahariennes à majorité musulmane, mais il insiste souvent pour qu’en France aussi, on donne le bon exemple autour de soi, car, selon lui, la mentalité y évolue et la foi s’y affaiblit. C’était alors « la Belle Époque », marquée par le bien-être des classes aisées, un certain goût du luxe, la frivolité, l’argent facile, au détriment des vertus traditionnelles : respect de l’autorité, esprit de famille, amour de la terre, goût de l’épargne, au détriment surtout des vertus fondamentales de l’Évangile. Charles de Foucauld a constaté cette situation lors de ses trois voyages en France, et il l’a déplorée. Le comportement chrétien le plus courant et le plus visible devrait, selon lui, être marqué par les vertus évangéliques d’humilité, de pauvreté et de pénitence.

– La bonté, résumée par ces paroles provenant de l’abbé Huvelin, vu en 1909 : « Mon apostolat doit être l’apostolat de la bonté. En me voyant on doit se dire : « Puisque cet homme est si bon, sa religion doit être bonne. » Si l’on demande pourquoi je suis doux et bon, je dois dire : « Parce que je suis le serviteur d’un bien plus bon que moi. Si vous saviez combien est bon mon Maître JÉSUS. » Cette bonté, telle que Charles de Foucauld l’envisage, est la CARITAS biblique, l’Amour-Charité, représentée dans son emblème JESUS CARITAS. D’où son insistance sur les deux commandements de l’Amour de Dieu et de l’Amour du prochain, qui, pour lui, sont surtout deux vertus du Modèle Unique à imiter. Cette vision de foi l’amène alors à dire que tout frère de Jésus doit être lui aussi plein de Charité, comme l’est Jésus. Pour transmettre quelque chose de cette Charité, de la Bonté de Dieu, de la Bonté de Jésus, il faut plus que des paroles mais un témoignage de vie. Pour être charitable, doux et humble, il faut surtout « bannir l’esprit militant », c’est-à-dire tout prosélytisme qui serait violence faite à Jésus, voir « en tout humain Jésus », et « être un frère tendre pour tous, pour amener petit à petit les âmes à Jésus en pratiquant la douceur de Jésus ».

– L’amitié, manifestation de la bonté, commence par l’apprivoisement amical des gens rencontrés. Pour cela, « se mêler à eux, vivre avec eux dans un contact familier et étroit ». Dans son vocabulaire, ce mot contact revient très fréquemment avec des qualificatifs soulignant les exigences de vérité et d’intensité : familier, étroit, bienfaisant, intime, assidu, affectueux, etc. L’amitié, le contact, le « vivre avec » suppose qu’on apprenne le langage de l’autre et l’attention à ses besoins. Et là, Charles de Foucauld est parfaitement exemplaire à Béni-Abbès et au Hoggar, avec ce qu’il essaie de réaliser tant dans le domaine matériel : distributions de nourriture, d’habits, de remèdes… que dans des suggestions publiques : constructions de maisons en dur, incitation au travail artisanal et agricole, à la formation professionnelle, organisation des moyens de communication, mise en place d’un Droit et d’un Ordre public, etc. Bref, il veut n’avoir, à l’exemple de Jésus, d’autre attitude que celle d’une Charité fraternelle et universelle « partageant jusqu’à la dernière bouchée de pain avec tout pauvre, tout hôte, tout inconnu se présentant, et recevant tout humain comme un frère bien-aimé » comme il le disait à H. de Castries le 23 juin 1901.

Le résumé de ces convictions de Charles de Foucauld sur l’évangélisation, pourrait se trouver dans le Mystère de la Visitation avec cette phrase du chapitre III du Règlement des Petits Frères de Jésus : « N’ayant pas reçu de Dieu la vocation de la parole, nous sanctifions et prêchons les peuples en silence comme la très Sainte Vierge sanctifia et prêcha en silence la maison de saint Jean en y portant notre Seigneur et en y pratiquant ses vertus. » La Visitation restera essentielle pour lui. Car il s’agit bien d’une Rencontre. ¨

POUR ALLER PLUS LOIN
DU MÊME AUTEUR

La vie de Charles de Foucauld – Charles de Foucauld, 1858-1916, Biographie avec Annexes : Sources, Index des personnes, lieux, sujets traités, Cartes, Éditions Salvator, 2016, 722 pages, 29,90 €.

La spiritualité et les conseils missionnaires de Charles de Foucauld – Les Lumières d’un phare Charles de Foucauld Éditions Salvator, 2021, 232 pages, 18,80 €.

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Le magazine Il est vivant a publié le numéro spécial :

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