Alors que l’Église entre dans un processus synodal et que la Communauté de l’Emmanuel va fêter ses 50 ans, Il est vivant ! fait le point avec son modérateur général.
Propos recueillis par LAURENCE DE LOUVENCOURT
PRÉSENTATION – Michel-Bernard de Vregille est marié à Catherine depuis bientôt 36 ans, ils ont six enfants et six petits-fils. Ils sont membres de la communauté de l’Emmanuel depuis bientôt 36 ans. « C’est en 1985, dans une assemblée de prière, que j’ai compris pour la première fois de ma vie, que le Seigneur agissait concrètement dans nos vies. »
Il est vivant ! Comment se vit la synodalité dans l’Emmanuel ?
Michel-Bernard de Vregille Quand on parle, il faut toujours le faire avec beaucoup d’humilité… La Communauté de l’Emmanuel est née de l’effusion de l’Esprit reçue par Pierre Goursat et Martine Catta à Troussures, lors d’un week-end organisé par le père Caffarel : après cette prière, ils se sont reconnus frère et sœur. Ils étaient pourtant très différents à bien des égards (âge, style de famille, etc.). Ils ont donc vécu cette reconnaissance mutuelle comme un don de Dieu. Dès le début, la dimension fraternelle est donc essentielle dans le charisme de l’Emmanuel. La Communauté s’est construite non pas autour d’une personne, qui a reçu des charismes particuliers et qui ensuite transmet des règles aux autres pour vivre en communauté, etc., mais dans un chemin et un discernement à plusieurs. C’est la raison pour laquelle, alors que nous allons fêter nos 50 ans, un site web va voir le jour, qui a été intitulé : « Pierre Goursat et ses frères. » Pierre n’a jamais avancé seul. Sans le savoir il le faisait déjà dans une forme synodale, c’est-à-dire en avançant avec les autres pour discerner la volonté de Dieu. Cette façon de faire s’est formalisée très rapidement : un conseil a été créé pour “conduire” la Communauté dans un travail de discernement à plusieurs. Notre responsabilité aujourd’hui est de rester fidèle à ce mode de discernement. Dans l’Emmanuel, le modérateur général par exemple, ne “fonctionne” jamais sans ses frères du conseil international et des trois autres instances de gouvernement que nous avons désormais. C’est une telle force d’avancer ensemble ! Après mon élection, j’ai témoigné que si j’avais répondu oui à cette mission, c’est parce que je m’appuyais sur le oui de tous les membres de la Communauté. C’est ensemble que nous avançons. Je disais que nous devions toujours rester dans une grande humilité. La Communauté elle-même a traversé des épreuves dont une crise importante au sein de son gouvernement dans les années 2000. À l’époque nous nous en sommes remis au discernement de l’Église. Je crois pouvoir dire qu’elle nous a “sauvés”. Donc, il ne s’agit pas pour nous de jouer les héros. Nous savons que c’est aussi à travers des croix que l’on grandit. On peut dire qu’aujourd’hui nous avons dans l’Emmanuel un mode de gouvernance élargi et participatif. Le gouvernement est donc composé de quatre instances : le conseil international de la Communauté, le conseil de la Fraternité de Jésus, le conseil de l’association cléricale, et le bureau international ; soit 80 à 90 membres, tous états de vie confondus. Le discernement se fait donc en permanence de façon communautaire.
IEV Au-delà de ces instances de gouvernement, comment tous les membres de la Communauté sont-ils écoutés et impliqués ?
MBV Nous nous sommes dotés de comités consultatifs. Les membres de ces comités sont pour 3/4 élus par leurs pairs, et pour 1/4 nommés. Au niveau des zones (Europe, Asie, Afrique…), et ensuite au niveau international, ils peuvent remonter des intuitions ou des questions du terrain. De plus, il ne s’agit pas d’abord de faire “remonter” des éléments de la “base” : nous sommes tous des “frères de base” ! Ainsi, quand je suis dans ma maisonnée, je ne suis pas le modérateur, je suis Michel-Bernard parmi mes frères, j’ai mon responsable de maisonnée et c’est très bien ainsi ! L’essentiel, c’est qu’à chaque niveau, en vraie subsidiarité, les personnes elles-mêmes discernent ce qui est bon pour elles et pour leurs frères. Par exemple, un “chef” de maisonnée qui est là avec ses frères pour partager sur la Parole, ce que le Seigneur fait dans sa vie et sur l’évangélisation et la compassion, ne va pas appeler sans cesse le responsable local pour savoir si ce qu’il fait est bien ou pas. De même, ce dernier ne va pas consulter tout le temps le responsable de province. Et ainsi de suite. C’est au responsable, là où il est, de discerner avec ses frères ce qui est bon pour cette maisonnée, ce secteur ou lieu de vie, cette province, cette mission etc. « Avec ses frères » : c’est vraiment l’une des marques de fabrique de l’Emmanuel. Lorsque nous avons été nommés en 2014 avec Catherine responsables de la France, j’ai mis sur la porte de mon bureau une photo de Pierre Goursat, et d’une sœur consacrée maintenant au ciel, avec l’inscription en plusieurs langues dessous : « Rien sans ses frères ! » ce doit être la devise de tous les responsables à tous les niveaux. Un frère seul ne peut pas avancer et chaque responsable se dote d’un bureau de plusieurs membres, avec tous les états de vie. Quand les gens m’interrogent sur ma mission, ils ont tendance parfois à penser que je suis le patron de l’Emmanuel, comme je le serais d’une multinationale. Mais c’est tout sauf ça ! Je suis constamment à l’écoute de mes frères pour avancer avec eux, et ainsi “conduire le troupeau” au sein de l’Église. Toute autorité dans une mission d’Église est d’abord une autorité de service.
IEV Les membres des instances de gouvernement de l’Emmanuel ont vécu cet été une expérience inédite, que l’on pourrait qualifier de synodale. Qu’en retenir ?
MBV Un thème avait été décidé pour le séminaire de travail annuel de nos quatre instances : nous voulions travailler sur l’enjeu des nouvelles générations, qui est un défi pour toutes les communautés et mouvements. Mais un mois avant le début du séminaire, l’équipe de préparation m’a dit qu’il était impossible de traiter ce sujet cette année. Nous nous sommes alors retrouvés sans filet ! Que voulait le Seigneur ? Eh bien, c’est cette question que nous avons finalement retenue comme orientation de la retraite. Nous étions invités à nous mettre à l’écoute de l’Esprit Saint, alors que la Communauté vit ses 50 ans d’existence comme une étape importante. Nous avons compris que le Seigneur nous voulait à son écoute, à l’écoute de l’Esprit Saint, à travers tout ce que nous allions vivre : louange, messe, adoration, partages fraternels, etc., en lui demandant : « Seigneur que veux-tu pour l’Emmanuel pour les 20 à 30 années à venir ? »
IEV Comment ce séminaire était-il structuré ?
MBV Trois éléments nous ont inspirés, comme trois sillons à creuser :
– Un temps pour changer, c’est-à-dire pour se laisser toucher par l’Esprit Saint, un temps pour cheminer, pour s’ouvrir, notamment à la lumière du prophétisme du pontificat actuel de François. Un temps pour changer est d’ailleurs le titre d’un livre interview du Pape écrit par le journaliste Austen Ivereigh, livre que je conseille à tous.
– Une invitation à rester libre dans l’Esprit Saint : une communauté qui a grandi, mûri et qui se structure risque d’étouffer l’Esprit et doit donc être très vigilante à faire en sorte que l’Esprit Saint circule à tous les niveaux ! En évitant à tout prix le « on a toujours fait comme ça »…
– Être en mission : ce pour quoi le Seigneur a voulu la Communauté de l’Emmanuel, c’est pour que ses membres soient des missionnaires au cœur du monde. La mission est la vocation fondamentale de la Communauté.
Le premier jour de la retraite, nous avons vécu un temps d’action de grâce pour notre propre cheminement dans l’Emmanuel et aussi le chemin parcouru par la Communauté depuis 50 ans. Les deuxième et troisième jours, pour rentrer plus profondément dans l’écoute de l’Esprit Saint, nous avions eu l’inspiration de demander à des personnes extérieures, du monde entier, de tous états de vie, connaissant et travaillant avec l’Emmanuel, de nous dire en 5 minutes : « Quel est pour vous un signe des temps à saisir aujourd’hui ? Partagez-nous une expérience positive que vous avez vécue avec l’Emmanuel ? Quels seraient selon vous les points d’amélioration ou de conversion que nous devons travailler ? Qu’attendez-vous d’une communauté comme la nôtre pour les 20 ou 30 ans à venir ? » Ce qui m’a touché, c’est que presque toutes les personnes sollicitées ont accepté et ont joué le jeu. Nous avons même eu la joie de pouvoir écouter des personnes non croyantes grâce à l’académie de Vienne (Autriche). Nous visionnions 2 à 3 vidéos, prenions ensuite un temps de silence avant de nous mettre en petits groupes pour échanger. Cela a été d’une richesse extraordinaire. Dieu nous a parlé. Pour ces deux jours, nous avions déposé nos téléphones portables dans un panier : cela nous a obligés à une profonde écoute à travers tout ce que nous vivions en n’étant connecté au Seigneur que par les frères, les moments de prière, le chapelet, l’eucharistie… Nous allons maintenant nous nourrir de tout ce que nous avons reçu.
IEV L’Emmanuel s’apprête à vivre une année jubilaire qui s’ouvrira en février 2022 ; en quoi va-t-elle consister ?
MBV Nous avons souhaité que toute la Communauté puisse faire une expérience similaire à celle que nous avons vécue cet été : un temps d’écoute profonde de l’Esprit Saint, à tous les niveaux de la vie communautaire, une année de jachère. Il ne s’agit pas bien sûr de suspendre toutes les activités. Mais plutôt que de se dire « on continue comme avant », ou, « on se lance dans telles nouvelles missions », l’idée est de se mettre à l’écoute de l’Esprit Saint pour savoir, là où je suis, avec les moyens qui sont les miens et les appels de l’Église locale, si nous sommes bien là où le Seigneur veut que nous soyons. Comme j’aime à le dire : « Une année de jachère, ce n’est pas pour ne rien faire, mais pour se laisser faire. »
IEV Comment l’Emmanuel participe-t-elle au processus synodal en cours ?
MBV Chaque membre est encouragé à participer au Synode, là où il est, dans la mission qui lui est confiée, dans son diocèse. Chacun d’entre nous doit se sentir concernés, ce n’est pas une affaire de “spécialistes”. Le pape François porte cette question depuis le début de son pontificat et ce Synode sera probablement une étape déterminante pour l’Église. Le 17 octobre 2015, lors de la commémoration du 50e anniversaire du Synode des évêques, il déclarait : « Le chemin de la synodalité est celui que Dieu attend de l’Église au troisième millénaire ! » Alors que nous venons de recevoir les résultats de la commission d’enquête commandée par l’Église de France, nous sommes sidérés, profondément attristés et blessés quand nous pensons à toutes les victimes. Je suis convaincu que l’un des remèdes à ces déviances réside dans une gouvernance plus synodale de l’Église à tous les niveaux, et intégrant tous les états de vie. Le pape François est prophétique et veut éviter à l’Église la sclérose qui la guette ! Mais je suis dans une totale confiance, une totale espérance. Ce n’est pas de “notre” Église qu’il s’agit, mais bien de l’Église de Dieu, nous ne sommes donc pas seuls, heureusement ! Jésus nous l’a promis : il nous a envoyé son Esprit Saint il est avec nous jusqu’à la fin des temps ! ¨