Xavier Dufour enseigne les mathématiques, la philosophie ainsi que la culture religieuse chez les Maristes à Lyon. Il préside la Communion des éducateurs chrétiens et organise des sessions pour que les enseignants puissent se retrouver et se ressourcer. Il est l’auteur de Enseignant et chrétien (Emmanuel).
Propos recueillis par : Il est Vivant !
Comment est né votre appel à enseigner ? Peut-on parler de vocation ?
À 12 ans, en observant mon professeur de français, je me suis dit : « Un jour, je serai comme lui ». J’ai toujours aimé apprendre, et surtout partager ce que j’ai appris à d’autres. J’ai commencé à enseigner au Cameroun, dans un milieu très pauvre, et cette expérience a confirmé mon appel. Cependant, je ne voulais pas séparer mon goût de la transmission en général de mon identité de baptisé, d’où le choix d’un établissement avec une forte orientation chrétienne. Alors, une vocation ? Notre vocation première, c’est la sainteté ! Mais le service de la croissance d’un enfant, d’un jeune, touche à ce qui est le plus précieux, c’est donc un lieu éminent de charité. En ce sens, on peut parler de vocation.
Enseignant et chrétien, tel est justement le titre de votre livre ! Que signifie pour vous le fait d’associer ces deux mots ?
Pour unifier sa vie chrétienne et sa mission professionnelle, le professeur doit d’abord réaliser l’immense dignité de son métier : Édith Stein parle d’une « participation à l’oeuvre de création » ! Il s’agit d’acheminer chaque élève au seuil de sa vie intérieure, ce lieu source à partir duquel il pourra se construire, discerner le sens de sa vie et peut-être rencontrer Dieu. Enseigner, éduquer, évangéliser sont les trois aspects inséparables de cette mission. Mais pour les articuler, c’est d’abord en lui-même que le professeur doit unifier vie intellectuelle, vie morale et vie spirituelle.
En enseignant, le professeur éduque. Toute discipline, par ses apprentissages et ses exigences propres, contribue à former la volonté, l’attention, la précision… Cette formation morale est d’autant plus féconde qu’elle est portée par l’exemple même du maître, dans une juste relation d’autorité, exigeante et bienveillante. C’est aussi par son enseignement que le professeur peut être un éveilleur de sens. Chaque discipline porte une interrogation sur l’homme et sa destinée. Un cours de physique n’est rien s’il ne procède pas d’un émerveillement devant une nature pétrie d’intelligence et face à l’esprit humain capable d’en déchiffrer les secrets. Ainsi, chaque matière peut creuser le désir de vérité et préparer un questionnement plus haut sur le sens de l’existence… même dans un contexte scolaire laïc.
Enfin, il y a des occasions données par la littérature ou la philosophie de montrer la grandeur de la foi chrétienne, au moins de façon indirecte. Et dans l’enseignement catholique, les cours de culture religieuse sont précieux pour faire dialoguer la foi et la raison.
Qu’est-ce qui fait la joie d’un enseignant dans un quotidien qui peut être parfois assez complexe ?
Soyons clair, ce n’est pas tous les jours fête, car ce qui se joue dans l’enseignement ne relève pas de l’immédiateté ou du spectaculaire, mais de la persévérance et de la patience. Et l’on peut être confronté à l’indifférence, l’inattention, voire l’hostilité. Mais il faut tenir bon, s’enraciner dans l’espérance ; l’éducation relève des germinations lentes, de la fécondité et non de l’efficacité. Avec un peu de recul, on découvre que ce l’on a semé n’a pas été vain. Les petites joies ordinaires relèvent souvent d’une relation nouée ou renouée avec un élève en difficulté, du constat de ses progrès, dans son comportement, son attention, son engagement, ou d’une parole de gratitude. Enfin, appartenir à une équipe enseignante solidaire, et pour une part unie dans la foi, est une source inappréciable de grâces.
Beaucoup de jeunes chrétiens craignent de ne pouvoir enseigner au sein de l’école française avec assez de liberté. Que leur répondre ?
C’est vrai que bien des contraintes semblent peser sur l’enseignant. Pourtant, la vraie liberté naît de la vie intérieure. Un adulte cohérent et enthousiaste peut être un éveilleur pour sa classe, quel que soit le contexte. Dans mon livre, trois professeurs du public témoignent de leur engagement comme chrétiens. Quant aux écoles catholiques, plutôt que de les critiquer, il faut retrousser ses manches et monter au front. Les jeunes enseignants chrétiens y sont clairement attendus !
En fait, les élèves n’attendent qu’une chose : rencontrer des adultes attentionnés qui les prennent au sérieux et leur ouvrent une espérance. La culture qui s’impose à eux est foncièrement nihiliste, hédoniste en surface, désespérée en profondeur. Il s’agit de réintroduire dans cette culture les grandes questions de l’humanité. D’où vient le monde ? Quel est le but de la vie ? Peut-on aimer ? Pourquoi le mal ? Nous chrétiens, nous savons que l’homme est appelé à vivre en plénitude. Implicitement ou explicitement, à travers tous les actes de notre métier, c’est de cette espérance que nous sommes appelés à témoigner au quotidien !