Anne Schweitzer est permanente de l’association Agapé France et membre de l’Église baptiste. Avec son mari Louis, ils animent des sessions de formation à la spiritualité chrétienne et à l’accompagnement spirituel dans le cadre de l’association Compagnons de Route.
Par ANNE SCHWEITZER
À la fin des années 1990, Jean-Luc Delarue recevait sur le plateau de son émission populaire, Ça se discute, des couples de différentes religions pour évoquer leur manière de vivre leur relation avant le mariage. Parmi eux, il y avait un couple catholique et un autre évangélique. Leur témoignage contrastait clairement par rapport aux habitudes actuelles donnant largement de quoi les railler. À la fin, sur la demande spontanée de l’animateur, les deux couples chrétiens qui ne se connaissaient pas ont chanté ensemble avec enthousiasme un chant chrétien rythmé qu’ils avaient en commun. À la fin de l’émission, Jean-Luc Delarue ne revenait pas sur les chastes fiançailles mais déclarait son étonnement, ravi de voir des chrétiens d’Églises différentes chanter à l’unisson.
L’unité de l’Église n’est pas seulement l’occasion d’une réunion de famille de temps en temps avec des cousins que l’on voit peu et dont on pourrait se passer « parce qu’ils sont tellement différents de nous ». Elle n’est pas non plus une lubie moderne de quelques chrétiens de différentes confessions. L’unité de l’Église n’est pas juste un accessoire pour les Églises mais un essentiel pour la mission dans le monde.
Le profond désir d’unité de Jésus
Elle s’enracine dans l’Évangile et notamment chez Jean à la fin du long discours de Jésus lors de son dernier repas avec les disciples avant sa Passion. Il sait ce qui va advenir de lui, sa mort, sa résurrection et son retour au Père. Il donne à ses proches des consignes vitales pour la suite. Il parle de l’envoi de l’Esprit Saint, l’autre Consolateur, qui leur rappellera tout ce qu’il leur a dit. Sans cet Esprit, celui de Jésus, nous ne pouvons rien faire (Jean 15, 5). C’est aussi là qu’il appelle ses disciples amis et non plus seulement serviteurs (Jean 15, 15-16) ! Dans la prière sacerdotale de Jean 17, Jésus prie le Père pour eux, pour leur protection, leur unité comme « lui et le Père sont un », les envoyant dans le monde comme le Père l’a envoyé.
Mais même pour les disciples, cette demande de rester un ne devait pas être évidente. Bien sûr, ils avaient cheminé ensemble à la suite de Jésus pendant près de trois ans. Mais il ne faut pas oublier les grandes différences qui pouvaient exister entre ceux que Jésus avait choisis et appelés. Pour reprendre un langage moderne, on pourrait dire qu’il y avait un collabo, avec Matthieu, qui était à la solde des Romains et aussi un résistant, avec Simon le Zélote. Il y avait également deux paires de frères, avec Jacques et Jean, et Pierre et André, qui devaient se connaître par cœur, capables de terminer la phrase commencée par l’autre. Avec toutes ces différences, il a dû y en avoir des jalousies et des concurrences comme en témoignent les Évangiles avec, par exemple, la querelle pour savoir qui était le plus grand (Luc 22, 24).
Jésus sait tout cela comme il sait que, dans les heures suivantes, ils vont tous être dispersés, et le laisser tomber. Alors il prie avec amour le Père pour eux, devant eux, pour leur unité.
Mais sa prière ne se limite pas aux disciples présents avec lui : « Je ne prie pas pour eux seulement, mais encore pour ceux qui croiront en moi à travers leur parole, afin que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et comme je suis en toi, afin qu’eux aussi soient un en nous pour que le monde croie que tu m’as envoyé. Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée afin qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaitement un et qu’ainsi le monde reconnaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. » (Jean 17, 20-23).
« C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres… »
L’intercession du Christ pour l’unité concernait aussi ceux qui croiraient après le temps des apôtres grâce à leur parole. Et c’est vrai pour la suite des générations. Oui, Jésus a prié pour nous, pour toi et pour moi, pour notre unité ! Et cette unité a son fondement dans l’amour du Père pour nous tous, amour aussi fort que son amour pour Jésus : « Tu les as aimés comme tu m’as aimé. » Comme les disciples, nous sommes appelés, ensemble, de différentes confessions, avec des caractères différents, des histoires différentes. Il y a ceux qui doutent, il y a les fortes personnalités, il y a les “tradis” et les progressistes, les actifs et les contemplatifs, les catholiques et les évangéliques et toutes les étiquettes possibles.
Et si nous regardions la parabole des ouvriers de la onzième heure (Matthieu 20, 1-16) comme une illustration de l’histoire de l’Église depuis le début ?
Il y a ceux qui sont arrivés tôt dans l’histoire (les chrétiens d’origine juive, les syriaques, les arméniens etc.), puis plus tard, ceux qui se sont scindés au moment du grand schisme (orthodoxes et catholiques), puis encore plus tard, ceux de la Réforme ; et encore après, des réveils évangéliques et un nombre incalculable de dénominations. Les premiers, qui ont une longue histoire, peuvent avoir du mal avec les petits derniers, qui manquent parfois de profondeur, du sens de l’action de Dieu dans toute l’histoire justement. Or ils ont le même salaire. Mais les petits derniers ne devraient pas penser que les premiers sont poussiéreux et que leur fraîcheur à eux compte davantage. Les premiers n’ont pas disparu. Il y a de la place dans le Corps vaste de l’Église pour rejoindre des personnes différentes au-delà de ses portes. Unité ne signifie pas uniformité… si nous étions tous identiques, nous n’aurions pas même besoin de prier pour l’unité. L’unité se fait par la diversité sur le socle du même Sauveur et Seigneur qui nous aime et s’est donné pour nous. Et nous sommes tous appelés à en témoigner pour la Missio Dei, la mission de Dieu !
L’unité ne consiste donc pas à être un “gentil petit club de chrétiens” lors de la Semaine de prière pour l’unité, une fois par an. Jésus lui-même a prié pour cette unité et affirmé la nécessité de l’amour entre nous1, explicitant que cela aurait une incidence directe sur la crédibilité de notre témoignage au monde. L’unité ne va pas sans l’amour. Et comme le disait le père Paul Couturier : pour s’aimer, il faut se connaître. Cela peut être déstabilisant car nous nous confrontons à des différences qui nous font sortir de notre zone de confort. Mais quel enrichissement aussi que notre diversité même si nous ne sommes pas d’accord sur tout !
Jésus est celui qui a appelé tout au début des disciples à qui il a confié la mission de partager son message d’amour et de pardon depuis Jérusalem jusqu’aux extrémités de la terre (Actes 1, 8). L’appel est le même pour nous aujourd’hui. C’est lui que nous annonçons avant nos Églises. Et le faire dans la reconnaissance et l’amour des frères des autres Églises, ou même, si c’est possible avec les autres frères, a un impact plus grand. Quand elles engendrent le mépris ou la division, les différentes confessions sont un scandale aux yeux du monde, mais quand elles manifestent amour et unité malgré leurs différences, cela dit quelque chose de l’amour et de l’unité en Dieu même.
Se pencher sur le cœur de Jésus
Deux ans après la chute du mur, en 1992, je participais à une action d’évangélisation dans une ville d’une ancienne république de l’URSS. Notre équipe était composée de catholiques et d’évangéliques. Certains orthodoxes de la ville nous ont dit : « Ah, vous voulez nous convertir à votre Église ! » Mais non, puisque nous n’étions même pas de la même, ce qui était très rassurant pour la plupart des personnes rencontrées.
Dans l’épisode de la pêche miraculeuse (Luc 5), Jésus s’invite dans l’une des deux barques, mais quand le poisson arrive en « trop grande » abondance, ils appellent les compagnons de l’autre barque à la rescousse : il n’y a pas ici concurrence mais collaboration, et les deux barques sont pleines !
On dit parfois « les amis de mes amis sont mes amis ». Se pourrait-il que ce ne soit qu’en étant liés intimement avec notre ami Jésus, penchés sur son cœur comme le disciple bien-aimé, que nous puissions reconnaître ceux qui sont là aussi ? Peut-être alors pourrons-nous accueillir les dons divers, les spécificités que l’Esprit confie à chacun pour communiquer ensemble son amour au monde ? ¨
- « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres qu’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples » (Jean 15,13).
Méditer la prière de Jésus
• Je reviens au passage de Jean 17, 20-23, et prends le temps de le prier, en demandant l’inspiration de l’Esprit.
• Je le lis lentement au moins deux fois :
– Je prends d’abord acte de ce que le texte dit. J’essaie d’imaginer la scène : Jésus avec ses disciples durant ce dernier repas. Je peux aussi m’imaginer avec eux autour de la table.
– À la deuxième lecture, je suis attentif à ce que le texte me dit à moi. Qu’est-ce qui me touche, m’interpelle dans ce passage ? Est-ce que je peux voir le regard d’amour de Jésus sur chacun des siens ? Est-ce que je peux voir aussi son regard d’amour sur moi et oser voir son regard d’amour sur mon frère, ma sœur d’une autre Église ? Est-ce que je peux entendre que Jésus prie pour moi ici et maintenant (« Pas pour eux seulement… mais pour ceux qui croiront ») ? Comment est-ce que j’accueille sa prière ?
• Je demande au Saint-Esprit quel pas je pourrais faire pour manifester davantage cette unité, pour être artisan d’unité : visiter une autre Église, prier pour d’autres Églises dans ma ville ou ma région ; prier pour l’unité ; initier des projets communs ou des rencontres de prière avec d’autres chrétiens, etc.