Louis-Etienne de Labarthe, représentant de la Communauté de l’Emmanuel au sein de Promesses d’Eglise, a participé à l’Assemblée plénière extraordinaire des évêques de France les 14 et 15 juin derniers. Au-delà des tensions et des divergences, il invite chacun à se mettre à l’écoute de l’autre avec respect et bienveillance.
Vous n’étiez pas le seul représentant de Promesses d’Eglise ?
Nous étions 3 : il y avait également Dominique Rouyer du CCFD et Nelly Valance du MRJC.
Qu’avez-vous ressenti en arrivant ?
J’avais un énorme sentiment d’indignité et d’illégitimité. Je me demandais : « Pourquoi moi ? ». Nous avons commencé le mardi matin par un temps spirituel à la maison de Pauline Jaricot puis à Fourvière. Nous avons médité entre autres sur ce passage du livre des Rois (1 Rois 19) où Elie, après avoir marché 40 jours et 40 nuits passe la nuit dans une caverne. Le Seigneur demande alors à Elie : « Que fais-tu là, Elie ? ». C’est exactement la question qui résonnait en moi. Nous avons eu des petits partages fraternels avec notre voisin. J’ai dit simplement à un évêque : « J’ai souvent le syndrome de l’imposteur ». Il m’a répondu « Moi aussi ». Et nous avons prié ensemble pour cette rencontre. Nous avons prié pour nous laisser conduire tous ensemble par l’Esprit Saint.
Comment s’est déroulé concrètement le travail ?
En arrivant, on nous a remis deux documents. Le premier document était la collecte nationale qui était une sorte de compilation de toutes les synthèses diocésaines et particulières, réalisée par une équipe autour de l’équipe de coordination nationale du synode. Ce document avait été rendu public trois jours avant et il n’a pas été demandé d’y retoucher. Cette collecte était accompagnée d’un second document qui était une proposition de texte d’accueil et de mise en perspective qui pouvait être signée par « les évêques de France, à l’écoute de leurs invités ». Nous avons travaillé et réagi par petits groupes. Les réactions ont été pratiquement unanimes tant chez les évêques que chez les invités : le statut incertain du texte proposé, son style et son contenu ne convenaient pas. Il a donc été mis de côté et on est reparti d’une feuille blanche. Des petits groupes de travail ont contribué à identifier les points importants qui pourraient constituer un document d’accompagnement de la collecte qui serait signé des évêques. A partir de tous ces points, une petite équipe a travaillé une partie de la nuit pour rédiger ce document. Et le lendemain matin, les évêques se sont retrouvés entre eux pour terminer et voter ce texte.
Était-ce un travail paisible ou y avait-il beaucoup de tensions ?
Travailler un texte à plus de 200 n’est jamais simple, surtout en si peu de temps. Par ailleurs, les personnalités de chacun et les expériences vécues sont très différentes. C’est évidemment une richesse mais c’est aussi source de tensions. Des tensions fécondes mais des tensions tout de même. Les points de vue étaient parfois très différents, quelques échanges ont été tendus mais globalement il y a eu une grande qualité d’écoute et une grande joie de prier et travailler ensemble. Chacun apporte humblement sa petite pierre et l’Esprit Saint construit le puzzle. Chacun a pu contribuer d’une façon ou d’une autre. Puis les évêques ont fait ce travail de discernement pour retenir ce qui leur semblait juste et bon de dire à cette étape du processus synodal. Chacun était à sa place. Après ce moment déstabilisant, la plupart des participants sont repartis vraiment paisibles et dans la gratitude pour ce moment vécu en Eglise. Personnellement cela m’a bousculé vigoureusement et cela a fait naître chez moi beaucoup de nouvelles questions. Mais j’ai quitté Lyon avec une grande joie. Dans le train de retour, je repensais à cette phrase du Seigneur à Elie : « Que fais-tu là ? » et je restais bien dubitatif. Je disais au Seigneur : « C’est toi qui le sais. ». Sur le quai de la gare, avant de m’engouffrer dans le métro parisien, je croise un évêque présent qui me remercie d’avoir participé à cette assemblée et il ajoute : « Merci de votre présence. Cela fait quelques assemblées plénières que nous avons des invités laïcs. Cela nous aide beaucoup. Depuis que vous êtes là, on ne travaille plus de la même manière entre nous. » Cela était un peu comme une réponse à la question qui me trottait dans la tête. C’est Dieu qui nous fait avancer ensemble et qui est à l’œuvre.
Que retenez-vous de ce travail ?
Au-delà de l’expérience vécue, je retiens surtout les deux documents qui ont été publiés. La collecte nationale partage ce que pensent et ressentent ceux qui se sont exprimés à l’occasion de cette première phase du synode. Il faut la lire et l’entendre avec un cœur attentif. Elle met en évidence ce qui traverse les cœurs d’une grande partie du peuple de Dieu. Evidemment, cela ne reflète pas l’avis de ceux qui n’y ont pas participé mais c’est quand même important à entendre car l’Esprit Saint nous éclaire sur des questions importantes pour la vie et la mission de l’Eglise. Certains ont dit que c’était un document qui manquait d’ossature théologique. C’est normal car ce n’est pas un catéchisme ou un document magistériel. C’est le reflet d’un chemin synodal qui a été très court et qui a été guidé par les deux questions principales posées dans le synode : « En annonçant l’Evangile, comment marchons-nous ensemble ? Quel pas supplémentaire pouvons-nous faire ? ». Ces questions ont orienté la nature des échanges synodaux. D’autres ont dit que tous n’avaient pas participé pour diminuer la valeur de ce document car il ne serait pas représentatif du Peuple de Dieu. C’est vrai qu’il manque des voix. Les évêques l’ont souligné dans leur document. La question est de savoir comment les embarquer dans l’aventure à l’avenir. L’idée n’est pas simplement de faire un synode mais de devenir une église plus synodale. Tout l’enjeu est donc que ceux qui n’ont pas pu ou pas voulu participer puissent prendre plus de place à la construction commune à l’avenir. Pour autant, cela n’invalide pas la parole de ceux qui se sont exprimés et il est bon de la recevoir. On reproche souvent aux politiques de ne pas écouter, ne faisons pas la même chose dans l’Eglise. J’ai d’ailleurs vu de nombreux évêques attentifs à recevoir ce texte et à discerner ce que l’Esprit voulait leur indiquer, autant qu’ils étaient attentifs à ceux dont la voix n’a pas été entendue.
Ensuite, il y a un second texte : le texte d’accompagnement des évêques. Il faut lire ce document avec le même cœur attentif. Dans ce texte, les évêques accueillent la collecte et nous partagent leur regard de pasteur sur certains défis à affronter ensemble. Ils ne corrigent pas la collecte comme certains ont pu le dire. Ils l’accueillent et la complètent de leur regard pour la transmettre pour l’étape suivante du synode qui est la phase continentale.
Un synode est un chemin de conversion. Sur ce chemin, il reste tout un discernement à opérer. Le peuple de Dieu a été consulté. Il a prié et s’est exprimé. Ce travail de discernement continue au niveau continental puis au niveau de l’Eglise universelle.
Certains interrogent le synode et craignent que cela ne dérape…
Personnellement je n’ai aucune crainte. Je crois fermement dans ces deux paroles de Jésus : « N’ayez pas peur » et : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. ». De quoi aurais-je peur ?
Je mesure que nous avons en fait très peu l’habitude au sein de l’Eglise de nous parler tout en ayant des opinions différentes. Je trouve que nous fuyons souvent les conflits (sauf sur les réseaux où quelques-uns s’invectivent à distance). Il est difficile de sortir de sa chapelle pour nous rencontrer vraiment, mieux nous connaître et nous écouter en vérité. Nous manquons de lieu et de méthodes pour cela. L’enjeu de ce synode est justement de trouver de nouvelles manières d’avancer ensemble pour annoncer l’Evangile. Et c’est en marchant qu’on apprend à marcher. Ce synode est davantage un apprentissage que le bout du chemin.
Je suis touché par la capacité de l’Eglise à réunir des personnes extrêmement différentes : des personnes de cultures très différentes, des jeunes et des vieux, des laïcs, des prêtres et des évêques, des gens de droite et des gens de gauche, ceux qui préfèrent l’annonce et ceux qui privilégient le témoignage… J’en ai fait l’expérience dans beaucoup d’endroits et aussi pendant ce synode et cette assemblée plénière à Lyon. L’Eglise est vraiment le « sacrement de l’unité du genre humain »[1]. C’est magnifique mais on peut encore faire mieux. Ce que dit la démarche synodale, c’est que la participation du plus grand nombre est nécessaire pour un meilleur discernement suivant le principe cité par le pape François en 2015 : « Ce qui concerne tout le monde doit être discuté par tous »[2]. Le discernement final pour retenir ce qui est bon revient aux pasteurs de l’Eglise : curé pour une paroisse, évêque pour un diocèse, les évêques collégialement et le pape pour l’Eglise universelle. Ainsi chacun contribue, chacun à sa place et le Saint Esprit conduit l’Eglise.
Il suffit donc d’attendre patiemment la fin du synode…
Oui mais pas seulement. Cela va encore durer entre 18 mois à 2 ans. Nous pouvons évidemment accompagner ce synode de notre prière pour qu’il nous apprenne à marcher ensemble et non à nous diviser ! Mais je pense qu’il est aussi possible dès maintenant de prendre des initiatives. La joie de ceux qui ont participé au synode, malgré toutes les imperfections de la méthode, a été de se rencontrer et de se parler en ayant des sensibilités variées. Qu’on y ait participé ou non, cela peut se poursuivre sans attendre la fin du synode. Pourquoi ne pas continuer des petits groupes de prière et de réflexion sur les défis relevés par les évêques de France dans leur texte d’accompagnement ? Les défis missionnaires qui se présentent à l’Eglise sont immenses et mériteraient d’être travaillés ensemble pour partager nos regards, nos pratiques, nos idées et apprendre les uns des autres. Dans des diocèses, certains ont déjà exprimé le souhait de poursuivre des rencontres. Nous verrons bien ce qui naîtra. Mais cela peut se mettre en œuvre assez facilement au niveau d’une paroisse. La question pour la suite me semble être : voulons-nous entendre Jésus nous parler en nous écoutant les uns par les autres ? Voulons-nous apprendre de Jésus en apprenant de nos frères chrétiens ? Quant à Promesses d’Eglise, la suite du chemin est en cours de discernement et sera clarifiée avant la fin de l’année 2022.
[1] Vatican II, Lumen Gentium 1
[2] Discours du pape François le 17 octobre 2015 pour le 50e anniversaire du synode des évêques