Lève-toi ! Tiens-toi droit sur tes pieds !
Il y a deux millénaires, les habitants de Lystre, à la vue du miracle opéré par saint Paul, ont cru que Paul et Barnabé étaient des dieux descendus chez eux : un homme impotent, boiteux de naissance, avait été guéri. La prise en compte du corps est une constante de la foi chrétienne, en écho aux œuvres de miséricorde corporelle opérées par le Christ. Aussi bien, la juste place du corps dans l’éducation pourrait être une caractéristique des écoles chrétiennes.
« Lève-toi ! Tiens-toi droit sur tes pieds ! » avait dit saint Paul au boiteux – et ceci, « d’une voix bien forte », précise le texte des Actes des Apôtres (14, 8 -10). Combien cette parole aurait besoin d’être dite aujourd’hui !
Les communautés éducatives peuvent se trouver profondément renouvelées par une démarche commune de réflexion concrète sur la place donnée au corps dans l’éducation.
Dans un premier temps, il convient de faire sa juste place à l’éducation physique et sportive qui donne sa marque à certains établissements mais qui, dans l’esprit français, est trop souvent déconsidérée. La qualité des résultats sportifs au niveau international et l’investissement des politiques pour les rencontres olympiques ne sont pas des critères suffisants pour qualifier le niveau de prise en compte du corps dans l’éducation. Car une véritable éducation de la personne ne vise pas la recherche des performances mais celle de l’unité de l’âme et du corps, de l’unité du savoir-faire, du savoir-vivre et du savoir-être. Or, notre culture porte le lourd héritage, hérité de la philosophie cartésienne, de la disjonction entre le corps et l’âme.
Concrètement, chaque établissement ne doit pas craindre de s’interroger sur la place accordée à l’EPS non seulement dans l’élaboration du projet pédagogique, mais aussi dans la réflexion pédagogique quotidienne.
Les rencontres sportives sont un moyen de forger un esprit de corps, une fierté d’appartenance, le goût de la compétition, éventuellement aussi la patience et l’humilité dans les confrontations difficiles. Les trophées alignées en bonne place ne sont pas à mépriser, mais l’éducation du corps doit-elle s’arrêter là ? Ne peut-elle se joindre à celle de la conscience et n’y a-t-il pas une voie à chercher pour cultiver l’unité de l’âme et du corps ? Nos jeunes ont un immense besoin d’apprendre à s’unifier. En cause : l’acceptation de soi, la maîtrise des pulsions, l’harmonisation du corps et de l’esprit, l’apaisement des états de stress, la détente qui dispose à la paix intérieure. La période de l’adolescence est naturellement concernée, et dans une société en proie aux addictions, il va de soi que la pratique du sport et d’une vie saine doivent figurer dans les priorités éducatives.
Un esprit sain dans un corps sain
L’adage « un esprit sain dans un corps sain » (Mens sano in corpore sano, extrait de la Xème satire de Juvénal) est un précepte souvent retenu comme l’un de ceux qui peuvent à juste titre guider l’éducation. Nous nous proposons d’en parcourir le vaste champ d’application, qui va bien au-delà de l’EPS.
Il n’y a pas que le sport, il y a aussi la vie quotidienne, celle des lieux incontournables de la vie en collectivité. Le premier d’entre eux est la cantine. Certains établissements ont compris qu’elle mérite un projet éducatif au service de l’apprentissage de la convivialité, du respect du personnel et de la nourriture, et de l’art de bien se nourrir, en intégrant les dispositions architecturales et le personnel éducatif nécessaires. L’ensemble représente un effort conséquent de la part de tous, mais l’ambiance générale de l’établissement s’en ressent largement.
L’autre lieu incontournable est les toilettes. Là encore, certains établissements ont d’ores et déjà entrepris une véritable réflexion pour en faire des lieux où règnent propreté, hygiène et savoir-vivre. En effet, c’est tout l’un ou tout l’autre : si l’on ne s’en soucie pas, ces lieux peuvent devenir les exutoires des stress de la vie collective, avec toutes les conséquences pénibles que l’on connaît.
Au-delà de ces deux lieux, qui sont plutôt gérés par les éducateurs, tout enseignant et tout éducateur peut apprendre aux élèves la prise en compte de son corps au quotidien : être assis pendant de longues heures est difficile, mais certaines positions sont meilleures que d’autres. Evidement, il y a un certain nombre de choses qui, normalement, s’apprennent en famille, mais parfois il est bon de les reprendre à l’école, spécialement pour les plus jeunes : la propreté sur soi, celle de la figure et des mains, par exemple.
D’autre part, il y a un langage du corps, si bien que dans la communication avec autrui, par exemple, gestuelle et posture auraient besoin d’être réapprises, tant les repères sociaux sont oubliés. La communication se fait aussi autour de certains objets tels que les copies, soit que l’élève la tende à l’enseignant, soit qu’il la reçoive de lui. Dans un cas comme dans l’autre, l’éducateur peut soigner son propre geste et apprendre aux élèves l’attitude correcte, les regards et les paroles qui peuvent accompagner cet échange simple, mais quotidien. Le regard, l’écoute, l’échange d’objets, toutes ces implications du corps peuvent aussi être l’occasion de manifester l’âme d’une relation.
Une idée très étonnante qu’on voit se répandre aujourd’hui, est cette idée selon laquelle il serait possible de séparer la conscience et le corps. Comme si seule comptait la conscience, le corps pouvant être rejeté par celle-ci et même remodelé par la chirurgie selon le souhait de l’individu. Cela n’a rien de vraiment nouveau : au IIème siècle, n’y avait-il pas une gnose qui considérait le corps comme un mal dont il fallait se libérer ? Aujourd’hui, en rompant avec la détermination sexuelle, le transgenre serait l’annonciateur d’une nouvelle ère de l’humanité, qui se croirait pleinement autonome, ayant l’illusion d’une liberté absolue parce que déterminée par la seule conscience individuelle – dans la mesure où la conscience parviendrait à oublier toutes les conséquences terriblement concrètes de ce qu’on a fait subir à ce pauvre corps. Certains établissements ont le souci d’accompagner ce rapport complexe de l’adolescent à son corps de fille ou de garçon.
Ne faut-il pas faire une mention toute spéciale pour la place du corps dans la prière ? Toutes les religions ont des préceptes relatifs à la nourriture, au jeûne, au vêtement et à la tenue dans les lieux de prière, une belle pratique du chant et de l’accompagnement musical. L’art de la lecture de la Parole de Dieu dans les assemblées mériterait une initiation renouvelée. Enfin et surtout, ce qui aurait vraiment du sens serait de se réapproprier le rite de la communion eucharistique par une réflexion sur le mouvement de l’assemblée et la beauté du geste de réception du Corps du Christ. Et l’on ne dira jamais assez la fécondité insoupçonnée de l’initiation à l’adoration silencieuse et communautaire.
Bernard de Castéra