En juin, le pape François appelle à prier “pour l’abolition de la torture, pour que la communauté internationale s’engage concrètement dans l’abolition de la torture et assure un soutien aux victimes ainsi qu’à leurs familles.”
En découvrant l’intention de prière du pape François pour ce mois de juin, nous sommes traversés par de nombreuses questions : qu’est-ce que la torture exactement et où se pratique-t-elle ? Pouvons-nous la combattre ? Comment l’Eglise peut-elle agir pour protéger, accompagner et consoler les victimes ? Sur le site de l’ACAT, l’Association des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, la première information que nous découvrons est glaçante :
« Un pays sur deux dans le monde pratique la torture. Les régimes autoritaires ne sont pas seuls en cause, certains États démocratiques aussi. »
Comment définir la torture ? Toujours sur le site de l’ACAT, nous pouvons lire cette définition juridique officielle :
« On peut parler de torture lorsque sont réunies les conditions suivantes :
– Une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales
– Un acte volontaire, programmé, répété, qui procède d’une décision (à la différence d’une bavure ou d’un acte de colère)
– Un bourreau représentant une autorité officielle ou agissant sous ses ordres ou avec son consentement (policiers, militaires, gardiens de prison, groupes paramilitaires…). Les bourreaux peuvent aussi appartenir à des groupes révolutionnaires dont le but est la prise de pouvoir
– Une intention d’obtenir de la victime des aveux, des renseignements, ou de la punir d’un acte commis par elle ou par un autre, ou de l’intimider, de la terroriser (elle ou le groupe auquel elle appartient) ou de lui faire payer le fait d’appartenir à une minorité.
– Une volonté de porter atteinte à l’intégrité physique ou mentale d’une personne, de briser sa personnalité, d’obtenir d’elle un comportement qu’elle n’aurait pas volontairement.
L’acte tortionnaire est la résultante de tous ces éléments. Le droit international consacre le caractère absolu et indérogeable de la prohibition de la torture, qui a acquis le statut de norme à valeur coutumière. »
Nous sommes allés rencontrer Isabelle de Labarthe. Elle travaille à la Pastorale des Migrants du diocèse de Nantes, où elle est régulièrement confrontée à cette question de la torture. Sa mission consiste en particulier à accompagner les personnes étrangères tout au long de leur procédure de demande d’asile. Un travail qui nécessite compassion et écoute :
« Notre rôle c’est d’aider les personnes à constituer leur dossier de demande d’asile et de leur expliquer comment la procédure va se dérouler et la nécessité de raconter leur histoire en détails et de justifier leur demande de protection. Nous les aidons à récolter les preuves dont ils auront besoin pour démontrer le danger encouru s’ils retournaient dans leur pays et nous les préparons à l’entretien qu’ils auront avec le personnel de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides).
Pour cela, nous écoutons leur histoire. Souvent les personnes que nous rencontrons arrivent traumatisées, soit par les événements qui les ont conduits à quitter rapidement leur pays, soit par les événements subis pendant leur parcours d’exil. Elles sont pour la plupart d’entre elles très abimées sur le plan psychologique ou parfois physique. Nous les rencontrons plusieurs fois et le temps que nous leur accordons est essentiel pour bien comprendre ce qu’elles ont vécu. »
Il n’est pas rare que les actes de torture émaillent les récits des réfugiés : « D’un point de vue juridique strict, la torture doit impliquer directement ou indirectement, une autorité étatique. Mais la définition évolue car parfois les faits de torture ou de persécution sont infligés par des autorités non étatiques, des groupes armés, des mafias… qui vont pratiquer des châtiments corporels ou des actes de violence qui s’apparentent à de la torture.
Les femmes, par exemple, subissent des viols ou des sévices sexuels ou corporels sur leur parcours d’exil. En Lybie ou au Maroc, c’est quasiment systématique. Dans leurs pays d’origine, il sera question de mariages forcés, de violences conjugales ou de mutilations sexuelles féminines. Les hommes, venant de Guinée-Conakry, du Tchad, du Cameroun, du Congo Kinshasa ou du Congo Brazzaville, font état d’actes de torture pratiqués par des autorités de l’état. Il s’agit souvent d’hommes engagés dans des partis d’opposition au pouvoir en place ou parfois des jeunes ou des citoyens qui ont participé à des manifestations et qui ont été arrêtés puis torturés pour dénoncer par exemple des responsables ou livrer des informations. »
« Vous m’avez accueilli, vous m’avez cru… »
Il est souvent difficile pour les candidats à l’asile de prouver les persécutions et les tortures dont ils ont fait l’objet et celles qu’ils continuent d’encourir s’ils retournent dans leur pays. Ainsi, leurs demandes d’asile sont souvent refusées. Pour autant, il est rare que les étrangers ayant fui leur pays pour sauver leur vie abandonnent leur combat et rentrent au pays : « Toutes les personnes que j’ai rencontrées se battent jusqu’au bout. Jusque-là, elles n’ont jamais été reconnues victimes et n’ont pas pu obtenir justice. Pour elles, obtenir le droit d’asile c’est la dernière chance d’être reconnues victimes de torture. »
Et Isabelle ajoute : « Notre rôle d’Eglise est important aussi pour cela. Quand bien même, l’OFPRA leur refuserait le statut de réfugié, le fait qu’on les accueille, qu’à travers notre écoute on les prenne au sérieux, qu’on croit à leurs récits, participe de leur reconstruction. Souvent, les personnes nous disent, émues : « Vous m’avez accueilli, vous m’avez cru… » C’est pour cette raison que je ne me pose jamais la question de la véracité de leurs histoires. J’estime que chacun agit en conscience mais je leur partage l’intérêt à la fois pragmatique et moral de raconter la vérité de leur histoire qui -dans la grande majorité des situations rencontrées- justifie l’octroi d’une protection. Même si l’un ou l’autre ne racontait pas l’entière vérité de son parcours, pour tous ceux qui disent vrai, la confiance en la parole donnée vaut la peine parce qu’elle ouvre à la reconnaissance des souffrances endurées, point de départ d’une nouvelle page de vie. »
Le désir d’Isabelle de s’engager auprès des étrangers trouve sa source dans son parcours singulier : une mission Fidesco en Haïti, avec son mari, à travers laquelle ils font l’expérience difficile d’être étrangers et découvrent en même temps la consolation de la fraternité. Une fraternité universelle, au-delà des frontières et des cultures, qu’Isabelle continue à vivre, cultiver et déployer comme bénévole au sein du Secours Catholique puis au Rocher pendant 5 ans : « Toutes ces expériences font qu’aujourd’hui je me retrouve à la pastorale des migrants avec le désir d’accueillir les étrangers, avec ce qu’ils sont, leur parcours, sans jugement sur leurs motivations, de les accueillir comme des frères. L’évangile nourrit ce désir, notamment la fuite en Egypte de Marie et Joseph pour protéger Jésus et bien entendu l’évangile selon Saint Matthieu au chapitre 25. »
Un évangile qui invite à dépasser ses peurs et ses craintes pour aimer comme le Christ, librement et d’une manière inconditionnelle.
A l’initiative de l’ACAT-France, la Nuit des Veilleurs aura pour thème : Prier au coeur de l’action