Pour surmonter la crise de l’éducation, de Henri Hude

A partir de l’étymologie latine du terme “éducation”, ex-ducere, conduire hors de, l’éducation est souvent perçue comme une libération. Mais pourquoi sortir d’Egypte si c’est pour adorer un veau d’or ? Pourquoi se libérer si c’est pour idolâtrer la liberté ? Le terme de “liberté” peut en effet recouvrir des définitions très variées voire contradictoires. Or si nous voulons “éduquer” à la suite du Christ, vers quelle terre promise marchons-nous ?
Descartes dans son Discours de la méthode propose de libérer l’individu par la méthode du doute radical. Doutant de tout jusqu’à l’extrême, il ne reste au sujet défini par son autonomie que la certitude d’être. “Je pense donc je suis”. De là, le sujet tente de reconstruire ses certitudes mais l’objet extérieur se trouve désormais défini par la domination et par la construction propres au sujet pensant. Cette articulation entre le doute, le sujet autonome et tout objet extérieur défini comme une construction forme ce que Henri Hude appelle le “triangle de la pensée moderne” (p. 26). C’est de là que naissent 2 grandes familles de pédagogies.

D’une part, la pédagogie moderne prétend libérer l’enfant de sa sauvagerie, de ses déterminismes, de ses passions par la voie de l’ “autonomie”. Par la raison, certes, il s’élève, mais il y faut une rude lutte et une discipline sociale, intellectuelle, morale. Ainsi, l’enfant dominé doit-il être conscientisé pour se libérer.
D’autre part, la pédagogie postmoderne rejette toute discipline, toute lutte, et ne vise qu’à affranchir littéralement l’enfant de toute contrainte. Cette pédagogie se fie à la spontanéité considérée comme naturellement bonne sans lui imposer de norme ni de finalité. La méchanceté serait alors due à de mauvaises institutions et une mauvaise éducation serait due à l’inégalité et à la compétition. Transmettre serait imposer des normes et c’est cette contrainte qui est considérée comme véritablement inacceptable.

L’enfant dominé (pour son bien) ou l’enfant livré à son pouvoir (pour son bien), sont deux pédagogies dont le fondement de la liberté est d’emblée aporétique et elles sont par conséquent toutes deux vouées à l’échec. Car comme le rappelle Henri Hude, “certes, l’enfant gâté veut prendre le pouvoir, mais le vrai problème moral de l’enfant n’est pas le pouvoir, c’est l’amour (p. 150). Ces 2 exigences sont intimement liées comme nous le rappelle le psaume 84 : “Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent”.
A partir de là, une troisième voie s’ouvre à nous dans laquelle peuvent émerger des solutions pédagogiques novatrices très concrètes. Ni moderne, ni postmoderne, mais chrétienne. Dans l’amour, il est possible de défendre une pédagogie de l’émulation qui ne sombre pas dans la compétition qui découragerait les plus faibles, les moins favorisés, les moins soutenus. Dans l’amour, l’émulation peut s’accorder avec l’entraide et la coopération. Dans l’amour, on peut dépasser l’opposition des intérêts individuels de chaque enfant (fort ou faible) pour dresser des objectifs communs. Selon les talents qu’il a reçus et qu’il doit faire fructifier, chacun est appelé à servir un bien commun dans la classe. L’école prépare la société de demain ; elle est même déjà la société.

Enfin, l’amour unifie. L’école n’a pas vocation à libérer des déterminismes familiaux, mais au contraire elle prend appui sur l’éducation reçue dans la famille où l’enfant apprend à aimer. La pédagogie, toujours sérieuse, même quand elle a recours au jeu, doit inscrire le travail de l’enfant dans celui de l’humanité. L’humanité a besoin de se construire, d’élever son âme vers un amour plus grand qu’elle, d’acquérir des vertus et de servir Dieu. C’est ainsi qu’elle se sert elle-même. Les savoirs, la science fractionnée en disciplines spécialisées, doivent être articulés avec une sagesse qui lui donne sens et la transcende. C’est cette sagesse, la véritable finalité de l’éducation.

 

Sébastien Descourvières

Henri Hude, Pour surmonter la crise de l’éducation

Editions MAME, 2020

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