Cédric Troadec, un homme libre et audacieux

Extérieurement, il est d’un calme olympien, classique, rassurant. Intérieurement, on devine au détour de chacune de ses phrases un dynamisme et une soif gourmande de vivre.
Il suffit de jeter un coup d’œil sur son CV pour comprendre que ce breton pur souche n’a pas les deux pieds dans le même sabot. Sa carrière ? « Je me suis toujours senti très libre. » Libre de saisir les opportunités qui se présentent. Une disponibilité intérieure qu’il partage avec son épouse depuis plus de 25 ans, qui les a menés, jeunes mariés, jusqu’en Côte d’Ivoire, pour 2 ans de mission Fidesco au sein du lycée Saint Viateur de Bouaké pour enseigner les maths et les sciences physiques.
Ce fut pour Cédric, malgré les difficultés comme le 1er coup d’État et la grève des étudiants, le début d’une passion pour l’enseignement et d’un engagement auprès des jeunes jamais démentis au cours de sa carrière professionnelle ou lors des multiples week-ends et sessions de Paray passés avec la Communauté de l’Emmanuel.
Au retour d’Afrique, Cédric, ingénieur de formation, travaille dans l’industrie agro-alimentaire en tant que chef d’équipes : « J’ai fabriqué des croissants et des pains au chocolat, mon objectif était de donner du plaisir » dit-il en souriant. Rattrapé par sa fibre enseignante, il rejoint d’abord un cabinet de conseil en gestion des compétences pour faire de la formation puis un cabinet de conseil en stratégie pour accompagner des entreprises du secteur agricole et agro-alimentaire. En parallèle, il intervient régulièrement en tant que vacataire à l’Université de Rennes et à l’Institut Catholique de Rennes
En 2008, nouveau virage, nouvelle aventure. Direction les Etats-Unis, en Utah, et plus précisément à Salt Lake City, où sa femme, professeur de génétique, s’est vu proposer une mission de chercheuse. Les voilà partis, cette fois avec leur 4 enfants. Cédric crée sa propre entreprise de conseil pour continuer à accompagner ses clients français, donne des cours de français à l’Alliance Française et dans une université privée, tout en profitant d’être là-bas pour suivre un master en management du changement. En effet, le changement ne lui fait pas peur, le travail non plus.
Après 3 ans, un de ses clients lui propose de revenir en France pour prendre la direction d’une usine. Toute la famille revient et le voici à diriger une usine de délicieuses crêpes et galettes au blé noir, un vrai breton, on vous dit. A l’interface entre le monde de l’entreprise et l’enseignement supérieur, il saute ensuite le pas pour rejoindre la grande école publique d’agronomie du Grand Ouest. Il y crée la fondation de l’école, développe les partenariats et pilote l’internationalisation de l’école. Durant 7 ans, ses missions le conduisent en Russie, au Kazakhstan, en Moldavie, en Mongolie, en Corée… pour porter la bonne parole… de l’agroécologie à la française et construire des partenariats pour les étudiants. Mais c’est en Chine qu’il vit une expérience déterminante : « J’ai organisé une tournée de rugby en Chine avec deux équipes de rugby d’étudiants et nous avons organisé sur place un échange sur l’agroécologie. Loin de nos repères, j’ai vécu un moment très fort avec les étudiants. Cela m’a fait prendre conscience que ma vocation se trouvait véritablement au service des jeunes. »
Ni une ni deux, en 2018, il postule pour la direction d’un lycée agricole catholique dans le Finistère dont la particularité est d’avoir en plus des 200 jeunes accueillis pour la plupart en internat, des élevages de vaches laitières, de cochons et de moutons sur 500 hectares dont 250 hectares de forêts. « C’était un lycée avec une histoire, du potentiel mais qui n’avait plus très bonne réputation. » Seul candidat ou presque, Cédric, un brin naïf mais confiant dans le Seigneur, obtient le poste. Pendant 6 ans, il se donne sans compter, restructure l’établissement, double les effectifs et fait du lycée une référence au niveau national et international, développe l’agroécologie de manière pratique. « Nous sommes redevenus une école de choix pour les jeunes, pour les parents et les professionnels et un pont vers l’Afrique » se réjouit l’homme au parcours si atypique. Passer du supérieur au secondaire, acquérir sa légitimité auprès de ses pairs, n’était pourtant pas une mince affaire : « Le cœur c’est la rencontre du jeune, comment devenir son ami pour pouvoir, le moment donné, lui parler du Christ. Le jour de ma 1ère rentrée, j’ai osé proposer aux internes qui le souhaitaient de venir courir avec moi une fois par semaine. Cela a cassé les codes. Chaque semaine, nous avons couru ensemble, sué ensemble et créé ainsi une relation différente qui a infusé dans tout l’établissement et auprès des familles. Cela a permis à d’autres enseignants qui partageaient ce désir, de s’investir différemment auprès des élèves, d’oser et de franchir le pas.”
Quant aux professeurs, il a su être à leur écoute, en prenant le relais, comme lorsque cette prof d’anglais qui ne supportait plus sa classe de 4ème est venue lui dire en novembre : « Soit vous me la prenez, soit je démissionne. » Sa passion pour enseigner a pris le dessus et il a fini l’année en prof d’anglais pour cette classe.
« Ecouter les jeunes sur ce qu’ils vivent dans les établissements, échanger avec les enseignants sur leurs pratiques éducatives, me laisser émerveiller par les dynamiques pastorales engagées dans des établissements tout en étant en soutien de ceux qui souffrent et qui s’interrogent sur leur mission dans le monde éducatif ».
Le sourire aux lèvres, l’œil pétillant, Cédric témoigne : « Chef d’établissement, c’est une mission passionnante pour le travail auprès des jeunes mais j’ai découvert année après année que c’était avant tout une véritable mission de compassion auprès des jeunes, auprès des familles »
« Chaque jour, tout est mis en place pour que le métier de chef d’établissement soit avant tout administratif mais le cœur de la mission c’est bien la relation. C’est merveilleux de pouvoir saluer chaque jeune par son prénom le matin ; trouver à leur dire un mot particulier chaque jour pour leur montrer que chacun compte et aussi accompagner les familles dans leurs difficultés, leur souffrance et leur relation souvent difficile à l’école. Vraiment, le Seigneur m’attendait là. »
Pourtant, loin de s’en contenter, le désormais presque quinqua est entré au Conseil de Tutelle d’Emmanuel Education il y a 3 ans, il a été élu l’année dernière président des chefs d’établissement de l’enseignement agricole privé au niveau national et a repris un établissement voisin dont la directrice est partie sans prévenir. Autant dire qu’il ne s’ennuyait pas quand son téléphone a sonné et qu’on lui a proposé de prendre la suite d’Olivier Lamoril à la direction d’Emmanuel Education. « C’était à la fois un arrachement car je suis ancré dans mon territoire, dans mon établissement et ce qui me dynamise, ce sont les jeunes et qu’il me fallait transmettre ce que j’avais construit. Mais, d’un autre côté, je crois dans le discernement des frères qui m’ont appelé ! ».
Pour autant, il se connaît bien et sait qu’il pourra s’appuyer à la fois sur la prière, la sienne et celle des autres, pour relever ce nouveau challenge et sur son désir de partage et d’échanges. – « Ecouter les jeunes sur ce qu’ils vivent dans les établissements, échanger avec les enseignants sur leurs pratiques éducatives, me laisser émerveiller par les dynamiques pastorales engagées dans des établissements tout en étant en soutien de ceux qui souffrent et qui s’interrogent sur leur mission dans le monde éducatif ». explique-t-il. Il voit ainsi cette mission comme une nouvelle continuité de son parcours professionnel.
Désormais, les chantiers à mener sont devant lui : « Nous souhaitons continuer à répondre à l’appel de l’Eglise : en travaillant avec nos frères évêques pour qu’ils sachent qu’Emmanuel Education – nous ne sommes pas les seuls – peut les accompagner sur cette question difficile mais si importante de l’éducation, en nous confiant soit des écoles, soit des formations soit des projets. Aussi bien en France qu’à l’étranger. Mais aussi en développant le réseau Emmanuel Education pour accompagner et former de plus en plus d’enseignants, d’éducateurs, de personnels de vie scolaire, d’adjoints en pastorale qui souhaitent vivre leur mission éducative en tant que chrétiens, qu’ils soient dans le privé, le public ou le hors-contrat. »
« Au regard des transformations de la société, l’un des principaux enjeux à venir est celui du lien entre l’éducation et les familles, il nous faudra aussi innover dans ce domaine ».
Bref, le nouveau directeur d’Emmanuel Education voit grand, lui qui dit simplement vouloir « suivre le Christ et se laisser conduire par l’Esprit-Saint » et « propager dans la joie l’espérance déjà vécue dans les 7 établissements confiés à la Communauté de l’Emmanuel. » Tout un programme !
Séverine LAURENT