Pierre Goursat : son regard sur les prêtres

Que peut-on dire de la façon dont Pierre Goursat, fondateur de l’Emmanuel, voyait le sacerdoce ? En quoi son regard peut être source d’inspiration aujourd’hui ?

Par DAVID RABOURDIN

Cet article est paru dans la revue Il est vivant! n°363

Dieu passe parfois par des attitudes qui sont comme des signes irrécusables, des signes qui deviennent source de sagesse, lumière sur un chemin qui se dessine alors progressivement, étape par étape. Est-ce par de tels signes, par de telles attitudes, que Pierre Goursat nous a transmis sa vision du sacerdoce ?

Les témoins sont unanimes, et les archives le confirment : le fondateur de la communauté de l’Emmanuel et de la Fraternité de Jésus n’a pas laissé de grands discours ni de grandes théories sur ce que devait être un « prêtre de l’Emmanuel », ni même un « prêtre tout court ». Mais il n’est pas resté muet pour autant, loin de là. Ce qu’il voyait, ce qu’il voulait transmettre, est passé par un autre langage que le langage des grands discours.

Il faut, pour recueillir un tel langage, écouter les anciens. Gabriel Priou témoigne : « En septembre 1981, sur la péniche, je raconte à Pierre cet appel au sacerdoce reçu pendant l’été à Lourdes, et je voyais bien que Pierre jubilait. » Dominique de Lafforest, lui aussi, raconte : il a pris « sur la péniche » la décision du sacerdoce dans l’Emmanuel, et, lorsqu’il la partage pour la première fois à Pierre, celui-ci, après l’avoir accueilli et écouté, se met aussitôt à réciter un Je vous salue Marie, et Dominique de se souvenir : « A ce moment-là, en un instant, ce fut mon Fiat mihi, mon “Me voici” ! ». Jean-Rodolphe Kars, quant à lui, garde en mémoire la parole que Pierre lui adresse lorsque, ensemble, ils évoquent le chemin de formation sur lequel l’ancien pianiste s’engagera bientôt, à l’IET (Institut d’études théologiques), à Bruxelles : « Il m’a dit : “Ta vocation au sacerdoce est source d’une très grande joie”, et il rayonnait de joie dans toute son attitude, alors même qu’il était, comme toujours, assez affaibli. »

Jubiler, prier, rayonner de joie, laisser paraître les marques d’une gratitude
contagieuse à l’éclosion d’une vocation qui n’est pas la sienne mais celle d’un frère,
c’est là un témoignage irrécusable d’une vie intérieure qui considère sans cesse le
mystère de l’appel, et qui en sait le prix – le prix personnel, et la valeur pour l’Église.

L’humilité au fondement d’une formation fraternelle

En 1980, Yves le Saux, Édouard Marot et Dominique de Chantérac commencent leur formation au sacerdoce auprès des Jésuites de Bruxelles, à l’IET. Ils seront rejoints l’année suivante par Jean-Rodolphe Kars, et bien d’autres suivront bientôt. « Pierre voulait que les têtes soient bien faites », dit Gabriel Priou. La petite équipe vit une vie simple et fraternelle, soutenue et éclairée par quelques couples de la Communauté : les Michaut, les Moens, les Lambert entre autres.

Lorsque les séminaristes reviennent à Paris, à la péniche, pour des rencontres communautaires, Pierre Goursat les accueille, les écoute et les encourage. Il prie avec et pour eux, et les renvoie à l’adoration, personnelle et communautaire, comme à un fondement irremplaçable. Il leur transmet une bonne part de ce dont ils auront besoin pour écrire les premières pages de ce que sera le sacerdoce dans l’Emmanuel. Jean-Rodolphe Kars l’évoque : « Parfois, souvent, il venait nous visiter à Bruxelles. On n’avait pas du tout l’impression qu’il venait pour “inspecter”, pour voir si on était bien “sages”, ce n’était pas ça du tout. C’était un frère qui aimait partager, entendre de nous, et parfois même être instruit par nous, par ce que l’on vivait, par nos expériences. C’étaient des vrais échanges fraternels, auxquels il tenait beaucoup. » Lors de ces rencontres parisiennes ou bruxelloises, dit encore Jean-Rodolphe Kars, « je n’ai pas souvenir de choses particulières que j’aurais entendu de lui par rapport au sacerdoce, ce sont plutôt des attitudes, des expressions, des partages, dont je me souviens ».
Parmi ces attitudes à travers lesquelles il semble que tant a passé, il y a, au premier chef, l’humilité notable de celui qui, tout en étant fondateur et premier modérateur de la Communauté, écoute, prend au sérieux ses frères les plus petits, et se laisse instruire par ceux qui ont à peine commencé leur formation au sacerdoce.

Vie intérieure, vie fraternelle, humilité, compagnonnage spirituel et humain avec d’autres vocations que la leur : les premiers séminaristes s’engagent sur un chemin de formation résolument marqué par leur appartenance à la jeune communauté de l’Emmanuel. C’est ainsi qu’en ces temps de fondations, sans grand discours, sans grandes théories, et sans méconnaître les incertitudes de l’époque (quelle forme prendra le lien au diocèse ? et à quel diocèse, d’ailleurs ?), Pierre Goursat a déjà mis en place ce qu’il estime être l’essentiel pour contribuer à réformer le sacerdoce en ce XXe siècle finissant.

Comme de simples serviteurs

“Réforme” du sacerdoce, l’expression est-elle trop forte ? Peut-on dire de Pierre Goursat qu’il aurait consciemment et résolument travaillé à une telle réforme ? Il appartiendra aux historiens d’apprécier la réponse à donner à une telle question, mais nous pouvons, dès maintenant, nous souvenir de la charge critique que contiennent certaines paroles de Pierre à l’endroit d’un certain style sacerdotal. Il n’y a pas de réforme sans désir de changer, d’améliorer, de corriger, c’est-à-dire sans critique. Un jour de 1979, il a repris et cité de larges extraits de l’homélie prononcée par Mgr Etchegaray à l’occasion de l’ordination du premier diacre permanent du diocèse de Marseille : « Quelle révolution spirituelle ce serait dans la société si tous les disciples du Christ se libéraient des mirages du pouvoir que l’on recherche, du prestige que l’on détient, de la richesse que l’on accumule. Quel renouveau spirituel ce serait dans l’Église si les évêques et les prêtres n’exerçaient leur ministère au sein des communautés chrétiennes que comme simples serviteurs de la croissance et du bien commun des fidèles », disait l’archevêque de Marseille – et Pierre Goursat de renchérir avec son style direct et familier : « Alors voyez, ce n’est pas mal, hein ? […] il est évident que si c’était plus appliqué, ça marcherait peut-être un peu mieux. Alors nous, il faut qu’on s’y mette et que ça marche un peu mieux aussi ». Il faut que « ça marche », et, pour cela, il faut que la Communauté « s’y mette », et que le sacerdoce, en elle, « s’y mette », qu’il sache se mettre résolument au service, pour le « renouveau spirituel » de toute l’Église.

Se laisser rajeunir par l’Esprit

Critique de l’orgueil et de la mondanité spirituelle ; critique, aussi, de l’immobilisme, du centralisme, de tout ce qui peut figer les choses et risque alors d’éteindre l’Esprit. C’est ainsi que Pierre évoque son départ de la Légion de Marie, ce groupe apostolique qu’il avait rejoint dans les années 1940, et dans lequel il avait tant appris : « Les cadres ont vieilli, et le mouvement, en France, s’est étiolé. » Il gardera toujours une défiance pour tout ce qui ne sait pas se laisser rajeunir par l’Esprit et ses appels – et c’est cela qu’il transmettra, à la Communauté et, en elle, aux prêtres.

Brûlés d’amour missionnaires

Il sait aussi que l’une des sources du rajeunissement de l’Église réside dans le sacerdoce même, et dans le regard que le sacerdoce peut porter sur la société à évangéliser, sur l’époque en laquelle proclamer l’ Évangile.
Il connaît d’expérience cette source de rajeunissement, car il l’a découverte auprès de l’archevêque de Paris, le cardinal Suhard, à son contact, au cours de leurs longs entretiens sur l’Église et la mission : « Le cardinal Suhard était un missionnaire. il avait une grande âme. Il me confiait ses soucis et il me faisait des confidences. »

C’est sans doute là, dans l’humilité de ces confidences, dans la profondeur de ce partage entre un évêque et un jeune homme, que Pierre apprend ce que peut être le sacerdoce,  c’est là qu’il perçoit certainement ce que le sacerdoce ne saurait être – distance hautaine, satisfaction de soi, immobilisme –, là encore qu’il aperçoit le trésor qui y est contenu, le trésor d’un regard qui, lorsqu’il est ajusté, et partagé, sait discerner l’ampleur et les chemins de la mission à venir, et qui sait s’y engager personnellement pour y entraîner, autant que faire se peut, un grand nombre à sa suite. « Il était brûlé d’amour missionnaire », disait Pierre du cardinal Suhard. Qu’ils le soient eux aussi, continue de dire Pierre aux prêtres de l’Emmanuel, présents et à venir. Il le leur dit sans trop de grands discours, sans trop de grandes théories, mais par des signes et des attitudes qui témoignent d’un amour du sacerdoce – un amour qui en attend le meilleur.

Cet article fait partie du dossier thématique :Prêtres et frères, au service de tous →

Le magazine Il est vivant a publié le numéro spécial :

IEV n°363 - Prêtres et frères

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