Étienne Villemain témoigne du rôle que le saint d’Assise a joué dans l’aventure innovante du Village de François.
Propos recueillis par PAR CLAIRE PEROL
Il est vivant ! Ce 4 octobre 2020, le premier Village de François a vu le jour à l’abbaye Sainte-Marie-du-Désert à côté de Toulouse. Pourquoi avoir choisi de vous mettre sous le patronage de saint François d’Assise ?
Étienne Villemain Quand saint François embrasse le lépreux sur le bord du chemin et qu’il comprend que c’est le Christ, il est bouleversé. Cette rencontre adoucit, transforme, convertit son cœur. Aujourd’hui, il y a tellement de « lépreux » qui sont au bord du chemin, et qui n’ont aucune place… Tous les lépreux dont nous parle l’Évangile, les boiteux, les clochards, les prostituées, nous leur proposons ici un lieu pour vivre ensemble.
Plus que l’accueil de l’autre, vous vivez davantage la rencontre avec l’autre…
Oui, une rencontre bienveillante, qui n’est pas une volonté de transformer l’autre, mais seulement d’être ensemble. Ce n’est pas la volonté des autres qui nous change, c’est l’amour ! C’est vraiment ce qu’a vécu saint François. Vivre ensemble et essayer de s’aimer, avec toutes les difficultés que l’on connaît, voilà ce qui permet à des personnes blessées (et à nous tous !) de s’ouvrir et de redémarrer.
Ce baiser au lépreux, vous l’avez vécu personnellement il y a 14 ans avec des personnes issues de la rue. Un événement fondateur pour vous aussi ?
Quand j’ai commencé à vivre avec des personnes de la rue, je pensais faire cela pour quelques mois. Je ne pouvais pas imaginer à quel point cette rencontre transformerait ma vie… Je ne pouvais pas les quitter comme ça. Les gars, eux, ne comprenaient pas pourquoi deux jeunes fraîchement lancés dans la vie professionnelle voulaient vivre avec eux sans autre raison que celle d’« être ensemble ». Très vite, je me suis rendu compte que la “richesse” n’était pas celle que l’on l’imagine. Elle s’était inversée. Ce sont mes colocs qui m’ont changé. J’ai une immense reconnaissance envers ces premiers compagnons qui m’ont fait assez confiance pour habiter avec eux.
Mais pour saint François, à travers le pauvre, c’est « le Christ qui n’est pas aimé »…
Toutes ces personnes qui sont dévisagées, ces laissés pour compte, ces lépreux que notre société regarde de travers sont les trésors de notre société. Il faut apprendre à vivre avec eux, et découvrir combien ils sont importants. Vivre ensemble au quotidien, c’est parfois difficile mais c’est aussi source de joie. Se prendre dans les bras, c’est reconnaître que l’autre est important pour moi. Cette expérience est profondément consolante parce que quand on n’a plus rien à donner, il ne nous reste plus que l’amour. C’est ce que Jésus vit sur la Croix. Il étend ses bras, il ne lui reste plus que l’amour.
Derrière cette expérience humaine se cache un chemin spirituel. Lequel ?
Ce qu’il y a de génial avec saint François, c’est qu’il rassemble les hyperactifs et les spirituels. Certains peuvent passer leur journée en prière sans être dans les réalités du monde, d’autres au contraire sont tellement dans l’action qu’ils ont oublié que tout dépendait de Dieu. Chez saint François, ces deux mondes se rencontrent. À la fois il vit avec les pauvres en partageant très concrètement leur condition, et à la fois il reçoit les stigmates. C’est un mystique très terre à terre !
Au Village de François sont engagés des pauvres et des chefs d’entreprise : cette rencontre des deux “ bords” que vous évoquez. Concrètement cela ressemble à quoi ?
En vivant ensemble, en puisant dans la prière et dans les sacrements, dans un lieu équilibrant et beau, chacun au Village doit pouvoir trouver sa place et apporter sa pierre. Quand saint François va à la rencontre du sultan Malik al- Kamil, il s’expose a priori au danger, aux coups, voire plus. Mais face à l’élan missionnaire, au sourire et à la douceur de François, le sultan l’écoute, et l’invite à demeurer chez lui quelque temps. Cet épisode me parle parce qu’au Village de François, certains n’ont aucun attrait pour la foi catholique, d’autres veulent au contraire vivre au plus proche du Christ. Qu’est-ce que cela va donner ? Comment ces cohabitations vont-elles se passer ? Je l’ignore car nous en sommes aux prémices. Mais comme c’est l’affaire du Bon Dieu, je suis persuadé qu’il y aura des merveilles.
Quel autre trait de la personnalité de saint François vous touche ?
C’est bien sûr son humilité. Il fonde son œuvre, et il se fait rejeter comme un pauvre rien. Pourtant il accueille. Il accepte que tout cela ne lui ait jamais appartenu. Comment ne pas être édifié par cet exemple ! Et puis il y a son amour éperdu du Bon Dieu, sa radicalité auprès des pauvres, son amour de la nature.
Le contact renouvelé avec la nature revêt justement une place très forte dans vos Villages. Encore un clin d’œil au saint d’Assise ?
En recevant ce nom de « Village de François », on accueille toute une façon d’aimer la nature : c’est un appel à vivre dans la louange, dans la bénédiction, l’émerveillement face à la nature. Mais cet émerveillement, chez saint François, n’est pas désordonné. Il n’en fait une idole à adorer. En la contemplant, il voit partout l’œuvre de Dieu. Sa vision de l’écologie vient éclairer de manière providentielle notre monde blessé.
Vous parlez dans votre projet d’écologie intégrale. Qu’entendez-vous exactement par là ?
Prendre soin de notre terre parle aujourd’hui à une large part de la population. Mais l’écologie intégrale, c’est aussi prendre soin de la vie de son commencement à son terme naturel, c’est accueillir des futures mamans en galère et des personnes âgées qui sont de plus en plus marginalisées. Protéger l’homme et la terre, grandir les uns par les autres dans un lieu beau et porteur, voilà ce que nous souhaitons vivre dans nos Villages de François.
POUR ALLER PLUS LOIN…
Le Village de François est un lieu de vie partagé qui rassemble des personnes fragiles d’horizons très différents et des accompagnateurs.
Trois axes constituent la colonne vertébrale de ce projet innovant : le vivre-ensemble, l’activité économique et l’écologie intégrale.
Chaque lieu accueillera des associations (personnes âgées en béguinage, personnes handicapées, personnes issues de la rue, de la prostitution, migrants) et des familles qui travailleront au Village ou en dehors.
En octobre 2020, le premier Village de François est né à Sainte-Marie-du-Désert (Haute-Garonne). Cinq familles y ont déjà posé leurs valises, prenant la suite des moines cisterciens fondateurs de ce haut-lieu de prière. Les premières associations arrivent début 2021.
L’ouverture de Villages de François est à l’étude dans d’autres lieux, comme à Solignac (87) et à Lourdes.
Plus d’infos : www.levillagedefrancois.com
Pour soutenir le projet : www.levillagedefrancois.com/faire-un-don