Parcours Sup est ouvert : Découvrez un exemple de “formation intégrale” à l’IRCOM d’Angers

Alors que Parcours Sup a ouvert ses portes virtuelles ce 18 janvier, comment choisir une formation d’enseignement supérieur ? Certaines se différencient des autres, car, en plus d’offrir aux étudiants la capacité d’acquérir des compétences professionnelles, elles se fondent sur une vision chrétienne de l’homme. 
Concrètement, qu’est-ce que cela change ? Nous avons rencontré Johan Glaisner, directeur des formations à l’IRCOM d’Angers, qui s’appuie sur l’exemple du master en management de la solidarité internationale et de l’action sociale.
JOhan Glaisner PHOTO ok

Johan Glaisner, les masters spécialisés en solidarité et dans l’humanitaire sont nombreux. Quelle est l’originalité de la formation que vous dispensez à l’IRCOM d’Angers ?

La particularité que nous avons, c’est d’associer à la fois, toutes les problématiques françaises, regroupées sous l’appellation « secteur médico-social », avec les problématiques de solidarité internationale. Les étudiants sont formés sur ces deux aspects.

L’autre point qui nous différencie des autres formations, c’est que nous nous appuyons sur une anthropologie chrétienne, avec le souci de permettre aux étudiants d’avoir une réflexion cohérente sur la solidarité, qui tienne compte d’une vision intégrale de la personne.

Une réflexion cohérente c’est-à-dire ?

La solidarité est d’abord une question d’anthropologie : qu’est-ce que la personne humaine ? Comment la définit-on ? Comment cherche-t-on son bien, à la fois dans sa communauté, et pour elle-même ? Quel rapport entretient-on avec la vulnérabilité ?

Aujourd’hui, je pense qu’il y a beaucoup d’anthropologies concurrentes, qui sont incohérentes, tronquées ou incomplètes.

Par exemple, l’approche libérale, extrêmement dominante dans les questions de développement international, a une vision de la personne humaine mue uniquement par des aspects matérialistes et des intérêts économiques. Or, la personne humaine est bien plus que cela : elle est capable de se donner, de vivre en communauté. Elle n’est pas qu’un individu lié aux autres par des contrats. Au travers de ces exemples, on voit bien que le regard posé sur la personne humaine va avoir un impact majeur sur la manière dont on va concevoir des projets de développement.

Et je crois que le grand apport de l’anthropologie chrétienne, c’est d’avoir une approche beaucoup plus intégrale de la personne : qui ne nie pas les besoins physiologiques et matériels de l’homme, son désir de vivre mieux qu’hier, en termes de confort par exemple, mais, qui, en même temps nous invite à considérer avec importance la question du don de soi et de la réception de l’autre.

Je crois vraiment que cette anthropologie, plus intégrale, plus complète, rend plus justice à ce qu’est profondément l’homme par essence.

Qui sont les étudiants qui s’inscrivent dans ce master ? Que viennent-ils chercher à l’IRCOM ?

 Il y a 2 populations dans ce master : d’abord des jeunes attirés par cet ancrage chrétien, catholique, dont ils voient la face émergée : l’aumônerie, la possibilité d’avoir une vie spirituelle en parallèle de leurs études…

Ensuite des étudiants qui ont repéré notre formation par le professionnalisme qu’on leur propose d’acquérir tout au long du master et à travers les anciens qui sont aujourd’hui à des postes attractifs et intéressants. Ils n’ont pas forcément repéré la dimension chrétienne de l’école ou alors ils l’assimilent à un établissement privé sous contrat du secondaire.

En fait, on va beaucoup plus loin que cela puisqu’on invite les étudiants à réfléchir profondément à l’apport de la Doctrine Sociale de l’Eglise, notamment sur la question du développement. Par exemple, à propos des politiques de développement international, nous montrons les difficultés, les impasses de certaines pensées, les failles d’un système, aujourd’hui plus déstructurant que réellement promoteur de la personne humaine. Une fois cela démontré, il devient possible de mettre les étudiants à l’écoute d’autres propositions, même s’ils ne sont pas tous prêts à accueillir une pensée qui serait d’inspiration chrétienne. Il nous faut beaucoup de patience et d’humilité, plus que de conviction, pour faire entrer les étudiants, parfois déstabilisés, dans cette dynamique. En fait, on essaie simplement de leur montrer quel est l’intérêt de réfléchir à partir d’une nouvelle anthropologie.

En effet, que répondre à un étudiant qui vous demanderait en quoi l’anthropologie chrétienne est meilleure qu’une autre ?

On ne dit pas qu’elle est meilleure que les autres. On explique que l’anthropologie chrétienne a des fondements intellectuels forts qui sont à chercher aussi hors de la pensée chrétienne. L’idée n’est pas de citer que des auteurs chrétiens mais plutôt d’essayer de rechercher la vérité sur la personne et sur ses besoins. On peut parfois être éclairés par des pensées et des auteurs très éloignés du monde chrétien mais qui pourtant viennent en résonnance avec ce que porte l’évangile : on peut citer Marx qui dit des choses très justes sur la place du travail dans la société, Marcel Mauss lorsqu’il parle du don, souvent oublié par les approches matérialistes et libérales, ou encore Aristote sur la place de l’homme… Notre objectif est d’arriver à montrer aux étudiants la cohérence d’une vision de l’homme dont la pensée dominante s’est largement écartée.

D’ailleurs, de nombreuses ONG, d’inspiration chrétienne comme non chrétienne, interviennent dans la formation, comme Médecins du monde, Handicap International, MSF, la Croix-Rouge Française… Et on reconnait chez elles leur capacité professionnelle, leur opérationnalité, leur dynamisme ou encore leur engagement au service des causes et leur aptitude à se remettre toujours en question.

En quoi cela change-t-il concrètement votre approche du développement de vous appuyer sur l’anthropologie chrétienne ?

Si je prends l’exemple de l’agriculture : ces dernières décennies, l’agriculture mondiale s’est développée de manière hyperspécialisée : le riz en Asie du Sud-Est, le cacao et les matières premières en Afrique, l’huile de palme dans les iles du Sud-Est asiatique… C’est un modèle économique purement libéral qui a beaucoup d’avantages car il permet un développement économique rapide et puissant mais au détriment d’une économie locale basée sur des traditions et qui pose des difficultés notamment écologiques (agriculture intensive, échanges internationaux…). Ce n’est pas tout, ce modèle conduit à nier la capacité d’un certain nombre de pays à se gérer à partir de référents culturels différents des nôtres.

Une bonne manière de faire, me semble-t-il, serait de commencer par se mettre à l’écoute des communautés elles-mêmes. Comment avez-vous envie de vous gérer ? Oui, on peut vous amener une amélioration technique utile mais la question est de savoir comment l’intégrer profondément dans vos propres représentations du monde. Par exemple, notre vision du monde qui projette l’avenir forcément comme un monde meilleur n’est pas du tout une donnée universelle. Pour beaucoup, le mieux c’étaient les ancêtres. C’est le cas à Madagascar. Donc, si on produit plus et mieux que nos ancêtres c’est perçu comme de l’irrespect et de la défiance à leur égard. Alors, comment faire pour articuler les deux ? Il faut beaucoup de créativité mais il faut surtout comprendre que l’on a à apprendre de l’autre, quand bien même cette personne est pauvre et misérable. Elle peut apporter quelque chose au bien commun et m’apporter quelque chose à moi-même. J’aime bien ce proverbe africain qui dit : « La main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit. » Il s’agit de ne pas se situer dans une relation descendante, du Nord vers le Sud, mais d’opérer un rééquilibrage pour rendre à ces personnes leur dignité en leur permettant d’apprendre à donner et de pouvoir donner quelque chose.  

Dans ce que vous dites, je retiens le terme de « relation » : l’enjeu c’est d’entrer en relation ?

C’est cela l’essentiel. Il ne peut y avoir de développement qu’à travers le développement d’une relation authentique et vraie.

Comment enseignez-vous cela aux étudiants ?  

 L’entrée en relation n’est ni aisée ni évidente. Elle peut être parfois très complexe puisqu’elle est liée à notre histoire et aux relations antérieures que nos civilisations ont entretenues. Il y a toujours des a priori, des présupposés sur les uns et sur les autres. Notre travail c’est de faire entrer les étudiants dans une vérité sur ce qu’ils sont, ce qu’ils portent, sur l’image qu’ils véhiculent à travers leur couleur de peau et la culture dont ils sont issus, par exemple. On a le souci de leur faire comprendre que cette mise en relation, fondamentale, va leur demander peut-être autant d’énergie que par exemple de gérer la logistique humanitaire d’un convoi de biens de première nécessité.

Voilà pour la théorie… mais être en relation avec quelqu’un c’est d’abord de l’ordre de l’expérience…  

 La première façon très concrète d’expérimenter cela, c’est d’accueillir, dans nos promos, des étudiants extrêmement différents :

Par leur origine académique ou professionnelle puisque nous avons des jeunes qui viennent du droit, des lettres, de la philosophie, mais aussi d’écoles d’infirmières, d’éducateurs spécialisés etc…Cela est source de grande richesse et nécessite d’apprendre à se coordonner et à s’écouter.

Par la diversité de leurs convictions profondes : des catholiques, oui, mais aussi des jeunes qui ne croient pas, ou de religions différentes.

Faire travailler ces jeunes ensemble passe aussi par des méthodes pédagogiques adaptées : on favorise les travaux de groupe de façon à obliger les étudiants, y compris sur des questions fondamentales d’anthropologie ou de sociologie, à se dévoiler et à entrer en relation réelle les uns avec les autres. Cela ne marche pas à chaque fois, ce qui nous invite à l’humilité, la patience et la persévérance.

Le deuxième terrain « d’exercices » ce sont deux stages obligatoires. Le stage de première année est pour nous très important pour développer cette dimension. On les pousse très fortement à partir à l’étranger, ce qui est le cas pour 80% d’entre eux.  Et on leur demande que ce stage se fasse dans un lieu de proximité avec les personnes vulnérables pour qu’ils se confrontent à cette réalité, dans ce qu’elle a de beau mais aussi de révoltant ou de déstabilisant pour soi-même et pour les autres.

C’est un genre de « stage ouvrier », version solidarité humanitaire ?

En quelque sorte. Cela nous demande un gros travail d’accompagnement des étudiants et de relecture de ce qu’ils ont personnellement vécu. Ils en reviennent souvent déstabilisés : soit parce qu’ils se demandent si c’est vraiment leur voie, soit parce qu’ils n’ont rien mis en place de concret et ont l’impression que leur stage n’a servi à rien… Notre travail c’est de leur faire comprendre qu’avoir monté un projet par exemple n’était pas forcément l’enjeu principal du stage.

Le master existe depuis plusieurs années : vous semez, souvent sans voir les fruits à long terme de votre travail. Personnellement, quel est le moteur de votre engagement ?

Mon moteur c’est une recherche de cohérence et d’unité de vie et d’aider les autres à pouvoir vivre cela.  Je suis toujours émerveillé de voir ces jeunes qui ont envie de grandir, de se donner pour le monde. Un petit témoignage : en septembre dernier, j’ai participé au Congrès Mission à Paris et j’ai vu que dans presque tous les stands, il y avait des anciens de l’IRCOM. Voir cette dynamique d’engagement pour le monde et pour le Christ ça me stimule et ça me réjouit.

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