« Le pape François veut tous nous réveiller » – décryptage du Père Vincent Breynaert

Le père Vincent Breynaert est responsable du service national pour l’évangélisation des jeunes et pour les vocations (SNEJV) depuis septembre 2018.

LE PÈRE VINCENT BREYNAERT

P Vincent Breynaert« Au sein de la Communauté du Chemin Neuf, j’ai été responsable de la Mission Jeunes internationale pendant dix ans. J’habite actuellement à Puteaux dans un foyer où vivent 70 étudiants et jeunes professionnels. Ce foyer héberge également l’année missionnaire du Chemin Neuf, cinq jeunes qui consacrent un an pour l’évangélisation des jeunes. Ils sont la “base arrière” de l’organisation du Festival d’été à Hautecombe, Welcome to Paradise. Ce foyer est donc tout dédié à la pastorale Jeunes.

C’est stimulant pour nous tous ! »

1. Les grandes étapes d’un synode très novateur

  • L’envoi d’un questionnaire à tous les jeunes souhaitant répondre via les sites Internet dédiés mais aussi les mouvements et les conférences épiscopales. Il y a eu un nombre conséquent de réponses. Dans chaque pays, les évêques ont compulsé ces réponses et les ont envoyées au service jeunes du Vatican. C’était une première mise à l’écoute. Le pape François a eu l’intuition géniale de convoquer un présynode. En avril 2018, il a invité 300 jeunes représentant la diversité culturelle et spirituelle de l’Église à Rome. Avec le Pape, et après de nombreux échanges entre eux, ils ont produit un très beau texte, qui a aidé à la rédaction du document de travail du synode envoyé par Rome aux évêques comme base de travail.

 

  • Le synode lui-même, en octobre 2018. Là aussi, le Pape François a introduit une innovation majeure. Pour la première fois, dans l’instance synodale, les évêques n’étaient pas seuls à travailler : des jeunes faisaient partie intégrante des groupes de travail avec eux. Ce sont bien sûr les évêques qui ont voté. Mais tous les jours du synode, ils ont été constamment interrogés, stimulés, questionnés par les jeunes, qui ont pu largement exprimer leur avis. Les évêques ont remis un document final au Pape, qui a été apprécié. François s’en est très largement inspiré pour rédiger l’exhortation apostolique Christus vivit.

 

  • Christus vivit. Si l’on retrouve dans ce texte le style du pape François, il intègre en même temps pleinement le travail de ses 300 frères évêques ayant participé au synode. Cette exhortation apostolique a été publiée en mars 2019, à Lorette, le jour de l’Annonciation. Le choix de cette date manifeste la volonté du Pape de se mettre à l’école de Marie qui écoute, qui garde toutes choses en son cœur et dit oui à Dieu avec courage.

 

  • En juin 2019, en suscitant un Forum des jeunes à Rome, François a de nouveau innové : il a invité 300 jeunes pour échanger sur la mise en œuvre du synode et la manière dont Christus vivit était reçu. Les jeunes ont affirmé que leurs amis ne liraient pas un texte. Dans le discours d’introduction du synode, le Pape lui-même avait déclaré : « Nous ne sommes pas là pour produire un texte. Dans l’Église, une exhortation apostolique est en général lue par un petit nombre et critiquée par beaucoup ». Pour lui, le synode est d’abord une expérience à vivre. De tout ce processus, Christus vivit n’est pas une conclusion ou la publication d’un plan d’action général mais plutôt une balise sur le chemin, et surtout la mise en mouvement de toute l’Église. En abordant la question des jeunes, c’est la capacité de transmission de la foi aux jeunes générations de l’Église qui a été interrogée.

2.Christus vivit à la lumière de l’Évangile des disciples d’Emmaüs

Les deux maîtres mots de Christus vivit sont : écouter et accompagner. Déjà dans plusieurs textes, François a demandé aux lecteurs cette attitude de mise à l’écoute de l’Esprit Saint.

La structure de ce texte s’inspire explicitement de l’Évangile des disciples d’Emmaüs avec ses trois temps :

  • L’écoute (chapitres 1 à 3) : on aide patiemment les jeunes à reconnaître ce qu’ils vivent, comme le Christ qui s’est approché des deux disciples quittant la communauté. On se met à l’écoute de ce qu’ils vivent, une écoute dans l’Esprit Saint, avec le cœur de Dieu. Les jeunes y sont perçus comme les protagonistes à la fois du monde et de l’Église, aujourd’hui.

 

  • Le discernement (chapitres 4 à 6) : dans les chapitres suivants, ces événements sont interprétés à la lumière de l’Évangile, la Bonne nouvelle. Le coeur théologique de l’exhortation apostolique, c’est le chapitre 4. Il commence en disant, que, quel que soit ce que tu vis, je t’annonce une grande nouvelle : « Dieu t’aime », « Le Christ te sauve » et « Il vit ! » et « l’Esprit donne la vie ». Dans le chapitre 5, sont abordées les étapes de la vie de la jeunesse : l’amitié avec le Christ et l’engagement qu’elle permet. Dans le chapitre 6, le pape insiste sur l’importance d’avoir des racines et dénonce le faux culte de la jeunesse ( jeunisme), les fausses images de l’amour et de l’engagement. Il demande aussi aux jeunes de continuer à affirmer leurs rêves et leurs visions, sans rejeter ceux des anciens. (cf. prophétie de Joël 3). « Si les jeunes et les anciens s’ouvrent à l’Esprit Saint, ils forment une association merveilleuse », écrit François (n° 192).

 

  • La décision (chapitres 7 à 9) : remplis de cette rencontre du Christ, leurs yeux se sont ouverts, et les disciples d’Emmaüs décident de reprendre le chemin. Ces chapitres de Christus vivit sont consacrés à la pastorale de la jeunesse et au chemin de la vocation. Le Pape met en garde contre toute tentation de séparer la formation doctrinale de l’annonce du kérygme. Il exhorte à profiter des temps où les jeunes sont réunis pour leur faire vivre l’Évangile, et faire de chacun de ces rassemblements un lieu de formation, de prière, de service et de témoignage. On a souvent trop tendance à compartimenter ces temps. On ne fait alors plus l’expérience de la fraternité, on ne prie pas ensemble, ou à l’inverse, on n’est que dans l’expérience fraternelle sans donner le contenu de la foi, ce qui pousse les jeunes à aller “chercher ailleurs”. Il invite à une pastorale “populaire” des jeunes. Le chapitre 8 porte sur la vocation : il redonne une vision équilibrée de la vocation au sens large. La vocation, c’est d’abord l’appel à la vie, à l’amitié avec le Christ, à la sainteté. Partant de ce prisme très large, il en souligne aussi la dimension missionnaire : « Je suis une mission sur cette terre, et pour cela je suis dans le monde » (CV 254). C’est une approche qui permet à chaque jeune d’écouter plus profondément le Seigneur et sans peur sur le sens à donner à sa propre existence : le Saint-Père leur rappelle la beauté de l’engagement dans le mariage et la dignité qui vient du travail. Ce n’est qu’à la fin de ce chapitre que le Pape aborde la question des vocations spécifiques (vie consacrée, sacerdoce) en demandant aux jeunes de s’offrir des espaces de silence intérieur où Dieu peut parler. Le dernier chapitre traite du discernement. Le Pape conseille aux jeunes : « Ne te pose pas d’abord la question : qui suis-je ? mais pour qui suis-je ? »

3. Un pape qui réveille les jeunes… et toute l’Église !

Tout le texte est parcouru par la parole d’un adulte, qui souhaite réveiller des jeunes tentés par l’engourdissement ambiant. Il leur écrit par exemple : « Ne soyez pas des voitures stationnées ; ne passez pas votre vie derrière des écrans ; ne regardez pas la vie du balcon » et aussi, « sortez de vos canapés ». Or il est intéressant de noter que les sociologues nous confirment que le lieu fétiche des adolescents aujourd’hui, c’est le lit, comme lieu de la protection, de l’intimité et parfois de l’enfermement. L’adolescent passe sa vie sur son lit avec son téléphone portable à tchater. Le Pape est donc très au fait de leurs pratiques !

Dans un autre passage, évoquant la parabole des vierges folles, il les met en garde contre « le risque de vivre superficiellement, endormi, incapable de cultiver des relations profondes et d’entrer au cœur de la vie ».

Tout le texte est construit par une alternance de paragraphes qui s’adressent aux jeunes et d’autres qui s’adressent à tout le peuple de Dieu. C’est une autre façon d’intégrer fortement les jeunes au cœur de l’Église. L’Église tout entière est invitée à se laisser renouveler par les jeunes avec leurs charismes propres (capacité d’inventer, de questionner, d’imaginer, etc.).

Un projet visant à rejoindre les jeunes ne marche de fait que si les jeunes en ont été les acteurs dès le début. C’est à cette condition qu’ils ont envie d’inviter leurs amis parfois loin de la foi. C’est donc la seule façon de toucher le troisième ou quatrième cercle.

Ce synode des jeunes est en réalité un synode sur l’Église. Il invite à une nouvelle façon de travailler en Église. On est parti dans ce synode avec la question : que devons-nous faire ? (pour la pastorale des jeunes, etc.) et on en ressort avec la question : que sommes-nous appelés à être ? En d’autres termes : quel est le style de relations dans la paroisse, dans la communauté, qui va permettre d’entendre le charisme que le Seigneur donne à chacun et une authentique qualité de cheminement ensemble ? C’est un vrai déplacement ! Se mettre ensemble comme Église pour prier ; invoquer l’Esprit Saint, qui est le premier protagoniste de la mission. Il nous donnera les projets qui correspondront aux charismes qui sont les nôtres. L’Emmanuel ne va pas faire ce que les jésuites inventent et les jeunes d’un diocèse rural ont des richesses que n’ont pas les étudiants de Chrétiens en Grandes Écoles.

Plutôt que de nous donner un plan d’action, le pape François nous dit donc : « Laisse-toi renouveler par le Christ. » Tout découle de l’amitié avec le Christ. C’est le troisième grand mot de ce texte : amitié.

Repartir de l’expérience fondatrice et de la relation que le Christ établit avec chacun : « Dieu t’aime, toi, personnellement. » C’est l’expérience dans le Renouveau, depuis quelques décennies, de ceux qui vivent le baptême dans l’Esprit et sont mis en route à la suite du Christ (cf. n° 129).

4.Christus vivit Deux clés pour passer aux travaux pratiques !

Le chapitre 7 de Christus Vivit est une vigoureuse interpellation du pape. Il reconnaît que certains lieux de la pastorale Jeunes s’essoufflent et que, dans le même temps, il y a une émergence d’initiatives nouvelles qui requièrent un authentique discernement de notre part.

  • Clé 1 : le disciple missionnaire :

Au service national Jeunes, nous travaillons beaucoup Christus vivit à la lumière de la notion de « disciple missionnaire », si chère au pape François (cf. Document d’Aparecida et Evangelii Gaudium). On peut même dire que c’est un mot qui caractérise tout son pontificat.

Qu’est-ce qu’un disciple missionnaire ? C’est une personne à laquelle on annonce la bonne nouvelle de l’amour de Dieu, qui accueille cet amour et devient de plus en plus disciple du Christ, en franchissant des étapes de mûrissement de sa foi jusqu’à devenir missionnaire à son tour. On n’est pas d’abord disciple puis missionnaire mais missionnaire parce que disciple, mais disciple, ce qui nous permet d’être missionnaire. Il faut tenir les deux ensemble. Le disciple, c’est celui qui s’est laissé saisir par l’amour du Christ, qui a donné sa vie au Christ et qui a compris que cela vaut la peine de lui faire confiance jusqu’au bout.

  • Clé 2 : la démarche synodale

Là où on nous sollicite, nous travaillons les processus de formation des disciples missionnaires et dans une démarche synodale. On se met d’abord ensemble à l’écoute de l’Esprit Saint : « Que veux-tu pour cette paroisse, ce diocèse, cette aumônerie ? » On ne cherche donc pas à reproduire le même plan partout mais à partir de l’histoire spécifique de chaque lieu pour y discerner les charismes qui sont les siens. Ma mission consiste donc essentiellement à encourager et permettre à chacun de croire à l’œuvre de l’Esprit Saint, là où il vit et où il est appelé à suivre le Christ.

Quand on se met à l’écoute de l’Esprit Saint, on se rend compte que partout, il suscite des initiatives missionnaires : il faudrait être aveugle pour ne pas les voir ! Par exemple, les Wemps : c’est un petit mouvement d’évangélisation des paroisses en milieu rural. Wemps comme « Week-End-Mission- Paroisse-Service ». Des jeunes s’engagent à consacrer régulièrement un week-end en lien avec des paroissiens pour vivre ensemble l’Évangile. Quand un jeune, qui peut-être se sent petit, s’associe avec une vieille dame du village, elle-même qui n’est pas très à l’aise avec l’évangélisation, ils ont ensemble l’audace de faire du porte-à-porte et d’inviter leurs voisins à un repas partagé, une eucharistie, un concert, etc.

Autres exemples : la redécouverte par la plupart des aumôneries étudiantes de l ’ impératif missionnaire ; la multiplication des pèlerinages VTT, des comédies musicales, des festivals ou forums l’hiver ou l’été ; l’émergence de parcours vocationnels, des années missionnaires ; de parcours Laudato Si’ aux formes variées, le regain de certaines années pour Dieu, des colocs à visées sociales, etc. Vraiment l’Esprit Saint est à la mesure des enjeux de notre temps.

5. Que faire maintenant ?

D’abord lire ce texte. Le document de la conférence épiscopale peut être un bon outil de travail car il comporte des introductions, des commentaires des annotations et 50 témoignages.

Je conseille que chaque mouvement ou communauté se mette à l’écoute de l’Esprit Saint dans cette triple dynamique de l’écoute, du discernement et de la décision. Cela concerne tous les lieux de l’Église : paroisse, diocèse, mouvements et communautés mais aussi conférences épiscopales et dicastère. Le Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie (en charge de la Pastorale Jeunes au Vatican) donne d’ailleurs l’exemple : il a créé un conseil consultatif international, qui est un fruit du synode. Il est composé de 20 jeunes (dont Lucas, un Français), qui représentent la diversité géographique et spirituelle de l’Église, et qui vont se retrouver en avril 2020 pour la première fois à Rome à l’occasion de la première rencontre en vue des JMJ de Lisbonne.

6. Comment rejoindre les jeunes loin de l’Église ?

  • Le pape invite à développer une mission populaire, en acceptant que des jeunes ayant grandi dans des milieux non chrétiens n’aient pas toutes les clés. Il écrit : « Ils ont besoin d’autres styles, d’autres temps, d’autres rythmes, d’autres méthodes ; au lieu de les écraser avec un ensemble de règles qui donnent une image réductrice et moralisatrice du christianisme, [j’] invite à créer des espaces inclusifs, où tous auront leur place et à s’appuyer sur les jeunes leaders. » Ce souci d’une pastorale populaire est une autre marque de fabrique du pape François : il nous invite sans cesse à ne pas réserver le christianisme à une élite. En France, on constate qu’il y a des champs entiers de la population qui sont « hors de nos radars ». On essaie d’y être attentifs. Un exemple : nous travaillons avec des directeurs d’établissement scolaire pour voir comment rejoindre les jeunes qui préparent un BTS. Beaucoup d’entre eux ne connaissent rien de l’Évangile.

 

  • Le pape préconise aussi de donner aux jeunes à voir une communauté car c’est la communauté qui évangélise. Il y est très attentif. Il s’agit de recréer des lieux de vie pour les jeunes, des oasis, où ils puissent se retrouver chaque semaine pour échanger, prier ensemble, etc.

 

  • Le premier missionnaire, c’est le jeune. Les jeunes, aujourd’hui, comprennent l’importance de proclamer explicitement le nom de Jésus. Mais le pape a dit à un jeune : « D’abord agis et, fort des actes que tu poseras, ton ami t’interrogera et tu pourras témoigner. » L’annonce explicite se nourrit toujours d’une vie de charité pour que vérité et charité grandissent toujours ensemble ; sinon comme le disait François dans Amoris Laetitia, « les lois morales peuvent être comme des pierres qui sont lancées à la vie des personnes » et on les blesse plutôt qu’on ne les console.

 

  • L’investissement du lieu de la musique. « L’importance de la musique est tout à fait particulière. Elle représente un véritable environnement où les jeunes sont constamment plongés, comme une culture et un langage capables de susciter des émotions et de modeler une identité ; le langage musical représente une ressource pastorale qui interpelle en particulier la liturgie et son renouveau » (CV, 226). En conclusion, je dirais que l’Église n’a pas besoin de bureaucrates mais de missionnaires dévorés par l’enthousiasme de transmettre la vraie vie. ¨

synodejeunes.fr

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