Décryptage – « La pandémie a puissamment amplifié le cri des pauvres et de la terre »

En un temps de crise profonde, l’année Laudato Si’ lancée à l’initiative du pape François est un moment favorable pour se décider à une véritable conversion écologique. Explications. 

Propos recueillis par LAURENCE DE LOUVENCOURT pour Il est vivant n°349

PRÉSENTATION

Joshtrom Isaac Kureethadam

Joshtrom Isaac Kureethadam, prêtre, est le coordinateur de l’équipe “Écologie et Création” au sein du Dicastère pour le service du développement humain intégral. Il est aussi le directeur de l’Institut pour les sciences sociales et politiques de l’Université Pontificale Salésienne à Rome.

Tebaldo Vinciguerra

Tebaldo Vinciguerra, marié et père de famille, diplômé en sciences politiques, ancien coopérant Fidesco, travaille depuis 2011 sur plusieurs enjeux écologiques au service du Saint-Siège.

Est-ce le rôle de l’Église de parler d’écologie ? Si oui, de quelle écologie s’agit-il ?

Tebaldo Vinciguerra Le mot Église « désigne l’assemblée de ceux que la Parole de Dieu convoque pour former le Peuple de Dieu ». L’Église « est à la fois chemin et but du dessein de Dieu : préfigurée dans la création, (…) fondée par les paroles et les actions de Jésus Christ, réalisée par sa Croix rédemptrice et sa Résurrection, elle est manifestée comme mystère de salut par l’effusion de l’Esprit Saint. Elle sera consommée dans la gloire du ciel comme assemblée de tous les rachetés de la terre » (Catéchisme § 751 à 778). Tout en gardant cette perspective eschatologique, c’est ici-bas, en cette vie, que nous sommes appelés à vivre les enseignements évangéliques de charité, compassion, solidarité, humilité, justice. Gaudium et spes (concile Vatican II) réaffirme que rien ne saurait laisser les disciples du Christ indifférents : ceux-ci portent « un message de salut qu’il faut proposer à tous », et « il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. (…) La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire ».

Les évêchés, les Caritas, nombre de congrégations, d’associations ou de syndicats d’inspiration catholique savent que les défis liés à l’écologie rendent problématique la vie de millions de personnes : violences autour de gisements de ressources naturelles, désertification, spéculation irresponsable sur certaines denrées vitales, maladies liées à la pollution, accès à l’eau en quantité ou en qualité inadéquates, difficultés diverses rencontrées par les fermiers ou les pêcheurs, situations de pauvreté ou de migration involontaires dues à des conditions trop dures, injustes, insoutenables.

Parmi les signes des temps, il y a ces défis liés à l’écologie. Des défis “communs” car la racine oikos d’écologie nous renvoie à la “maison commune” de l’humanité.

Dans l’exhortation Reconciliatio et paenitentia, Jean Paul II résume la mission de l’Église comme « la tâche, pour elle centrale, de la réconciliation de l’homme avec Dieu, avec lui-même, avec ses frères, avec toute la création ». De cette tâche découlent des prises de position à divers niveaux sur l’écologie. L’Église intervient aussi concrètement à travers une myriade d’organismes, autant que possible à la lumière du principe de subsidiarité, en respectant les spécificités de chaque milieu et en agissant de concert avec d’autres organismes.

Paul VI abordait déjà les sujets écologiques de façon interconnectée : pollution, démographie, questions morales, rôle des juristes et des instances internationales dans la sauvegarde de la nature. C’est là une approche intégrale dans la suite de l’encyclique Populorum progressio, où il offrait une réflexion sur le développement intégral de toute la personne, de chaque personne, de toutes les personnes. Ses enseignements ont été repris et approfondis par Jean Paul II et Benoît XVI, puis par François dont l’encyclique Laudato si’ propose l’“écologie intégrale” comme paradigme pour l’analyse et pour l’action.

En voici les composantes : écologie sociale, économique, culturelle, humaine, de la vie quotidienne et bonne santé des institutions. Bien entendu il ne s’agit pas que d’une série de “cases à cocher”, ce n’est pas une fin en soi ni une simple reformulation “catho” du discours onusien sur le développement durable ! Il s’agit plutôt d’une démarche structurée vers une finalité plus haute, à savoir une vie bonne et riche en sens, le bien commun de toute la famille humaine, la vocation au développement intégral de chacun, cheminement vers la sainteté. En parlant d’écologie, on ne peut donc détacher de cette vision d’ensemble tel document, telle initiative de plaidoyer ou de formation, tel projet concret de l’Église. Je souligne enfin que l’Église parle de “création”, cela suppose un Créateur ! S’intéresser à l’écologie revient donc à croire que dans son œuvre créatrice – que nous pouvons contempler et dans laquelle nous habitons et évoluons – se trouvent une grammaire, des enseignements, qui nous parlent de son amour, de son dessein pour l’humanité.

Pourquoi une année Laudato si’, 5 ans après la publication de l’encyclique du Pape François du même nom ? Y a-t-il une nouvelle urgence ?

Joshtrom Isaac Kureethadam Pourquoi à peine cinq ans après ? On peut trouver un indice dans les mots mêmes du pape François lorsque, le 24 mai dernier, il annonça cette année : « C’est aujourd’hui le cinquième anniversaire de l’encyclique Laudato si’, avec laquelle on a cherché à attirer l’attention sur le cri de la terre et des pauvres. » Ces cris sont devenus plus aigus et déchirants pendant les quelques années qui se sont écoulées. Le cri de la terre résonne fort, encore et encore, dans les nombreuses manifestations de la crise écologique contemporaine : sécheresses, inondations, cyclones, destruction d’écosystèmes qui soutiennent la vie et perte sans précédents de biodiversité, pollution du sol, de l’atmosphère et des cours d’eau, pénurie d’eau, déforestation. La souffrance et l’agonie de la mère terre se manifestent encore de mille façons. Les pauvres gémissent eux aussi. Les communautés vulnérables de par le monde souvent souffrent disproportionnellement et les premières de la détérioration écologique. Comme l’indique le pape François dans Laudato si’, il existe une « intime relation entre les pauvres et la fragilité de la planète » (§ 16). La communauté scientifique nous a avertis, nos enfants et les jeunes nous l’ont rappelé pendant les derniers mois : nous sommes à court de temps. Comme le pape François l’a dit aux dirigeants de compagnies pétrolières et énergétiques rassemblés au Vatican l’an dernier, « nos enfants, nos petits-enfants, ne doivent pas payer, ce n’est pas juste qu’ils paient le coût de notre irresponsabilité ». Le Saint-Père répond à cette situation d’urgence planétaire en annonçant cette année spéciale d’anniversaire afin que nous puissions intensifier nos efforts vers une réponse plus efficace aux cris de la terre, des pauvres, de nos enfants.

Cette année Laudato si’ se déroule dans le contexte d’une pandémie mondiale et des crises sanitaires, économiques et sociales qu’elle génère au niveau planétaire. En quoi l’encyclique Laudato si’ peut-elle “éclairer” cette crise et ouvrir des voies nouvelles ?

JK Cette pandémie a puissamment amplifié le cri des pauvres et le cri de la terre. L’origine du coronavirus actuel a affaire avec l’interférence humaine dans l’équilibre complexe des écosystèmes naturels à travers le commerce d’animaux sauvages, la déforestation liée aux minières, l’élevage, etc. L’émergence du Covid-19 a révélé une vérité fondamentale que nous avons trop longtemps ignorée : nous ne pouvons pas vivre en bonne santé si nos relations avec la planète et ses écosystèmes ne sont pas saines. L’explosion de ce coronavirus est en fait un “rappel” de la nature. Par ailleurs, comme dans toutes les crises, il est clair que les pauvres sont frappés plus durement. Nous observons les souffrances de communautés pauvres, notamment des indigènes et des minorités, causées par le confinement et ses conséquences socio-économiques. En fin de compte, les pauvres ne sont considérés que comme une force de travail au sein d’un système économique qui saccage la planète et les corps des personnes, ces victimes malencontreuses de la culture du déchet que le pape François dénonce encore et toujours avec véhémence.

À l’occasion de cette année Laudato si’, le Vatican a publié en juin 2020 un document sur l’écologie intégrale (Sur le chemin du soin de la maison commune). Qu’apporte-t-il de nouveau par rapport à l’encyclique ?

TV Plusieurs dicastères de la Curie romaine ont participé à la rédaction de cet ouvrage, apportant chacun sa compétence, ainsi que quelques autres organismes ecclésiaux. Il recense des projets inspirés par ladite encyclique et propose des pistes d’action. Certes, Laudato si’ est déjà particulièrement riche en exemples, mais ce nouveau document est orienté essentiellement vers l’engagement et l’action. Les cas présentés viennent de tous les continents et montrent une diversité merveilleuse, c’est très encourageant. De brefs chapitres thématiques (eau, énergie, santé…), en font un ouvrage facile à consulter. C’est aussi une façon de rendre hommage et de donner davantage de visibilité à ces initiatives.

Le Pape nous invite à une conversion écologique. Certains considèrent pourtant que nos actes n’ont qu’un impact minime sur notre environnement…

TV Nous vivons tous en relation, et nos choix et nos actes ont bien sûr un impact. Notre inaction aussi. Chacun a sa conscience et sa part de responsabilité. Ceux qui sont les mieux informés et les plus influents ont une responsabilité d’autant plus grande pour le bien commun !

JK L’année spéciale d’anniversaire contient une promesse : un temps de grâce, kairos, dans un moment de crise profonde (écologique, sociale, économique, liée aux enjeux migratoires, sanitaires, et de la sécurité alimentaire). L’Esprit de Dieu invite toutes les personnes de bonne volonté à expérimenter une véritable “conversion écologique” personnelle et communautaire à ce sujet. Une telle conversion devra se traduire par des actions concrètes pour protéger la terre ainsi que par des changements radicaux dans nos styles de vie consuméristes qui contribuent largement à l’effondrement de notre maison commune.

Le programme de l’année spéciale d’anniversaire Laudato si’, piloté par le dicastère pour le Service du développement humain intégral, consiste en un ensemble ouvert d’initiatives, auquel les Églises et les communautés locales sont chaleureusement invitées à ajouter leurs propres programmes. Cette année débouchera sur un plan d’action de plusieurs années, afin de vivre l’écologie intégrale au sein de nos familles, paroisses et diocèses, ordres religieux, mouvements, écoles et universités, institutions de santé, entreprises, dans le secteur agricole et partout ailleurs. ¨

Cet article fait partie du dossier thématique :Laudato si, un nouvel art de vivre ? →

Le magazine Il est vivant a publié le numéro spécial :

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