Attiré depuis sa jeunesse par le monde orthodoxe, Michel vit une vraie proximité avec ses frères orthodoxes, a proximité desquels il a beaucoup vécu.
Propos recueillis par LAURENCE DE LOUVENCOURT
Diplomate à la retraite, Michel Aubry va être ordonné diacre pour le diocèse de Nanterre.
Enfant, lors de vacances en Autriche, j’ai vu concrètement, à la frontière de ce pays avec la Hongrie, ce qu’était le rideau de fer et cela m’a beaucoup marqué. Par ailleurs, mes parents recevant le bulletin de l’Aide à l’Église en détresse (AED), et j’ai découvert en le lisant l’Église persécutée et qu’une grande partie des chrétiens qui vivaient de l’autre côté du rideau de fer étaient orthodoxes. En 1969, au lycée, j’ai commencé à organiser des voyages en Europe de l’Est avec un prêtre : Pologne, Yougoslavie, Bulgarie, Roumanie… En parallèle je me suis rendu à Chevetogne (Belgique), un monastère bénédictin dédié à la prière pour l’unité des chrétiens. Une partie des moines y célèbrent en rite byzantin et l’autre partie en rite latin. C’est aussi un lieu de rencontres. Ainsi, avant chaque départ, les moines nous indiquaient des contacts intéressants. L’objectif de ces voyages était de rencontrer les chrétiens de ces pays, orthodoxes pour certains. Or, dans la persécution, les chrétiens avaient un fort sentiment d’appartenance commune. C’est ce qu’on a appelé l’œcuménisme du goulag. Et nous, catholiques, étions très bien reçus par nos hôtes de quelque confession qu’ils soient, laïcs, prêtres ou évêques. Au retour, nous intervenions dans des paroisses pour évoquer la situation de l’Église du silence.
Un peu plus tard, j’ai fait des études aux Langues Orientales, où j’ai appris le russe et l’albanais, puis j’ai passé le concours des Affaires étrangères. Avec Odile, mon épouse, nous souhaitions en effet vivre dans ces pays. Nommés en Bulgarie en 1982, nous avons rejoint la petite communauté catholique de rite byzantin, mais il a été difficile d’établir des contacts avec des chrétiens orthodoxes compte tenu de la situation politique. En revanche, lorsque nous sommes arrivés à Moscou en 1995 après la chute du Mur, et même si c’était le chaos, d’un point de vue économique et politique, nous avons assisté à la renaissance de l’Église orthodoxe russe, et vécu de très belles rencontres.
À notre arrivée à Saint-Pétersbourg, en 2006, la situation avait beaucoup changé. À Chevetogne, on m’avait conseillé d’aller à la paroisse du père Alexandre Sorokine, une petite communauté orthodoxe très ouverte. Le curé m’a tout de suite accepté dans le chœur, où j’ai chanté pendant quatre ans. Un climat de confiance s’est créé. En 2008, j’ai invité Jean-Rodolphe Kars1, qui a donné un concert-témoignage très marquant dans une grande salle de concert de la ville, ainsi que deux conférences : l’une dans la paroisse catholique et l’autre dans la paroisse orthodoxe. L’été suivant, quatre jeunes russes orthodoxes ont décidé de venir à une session d’été à Paray-le-Monial. Quelques mois après, je recevais un message d’Henry Huyghues Despointes et c’est alors que des échanges entre Russes orthodoxes et Français catholiques ont commencé (lire pages 54-55).
Un bain de prière par le chant
Pour moi, il est naturel de passer de l’un à l’autre rite. Bien que catholique, je me sens d’une certaine façon orthodoxe. J’aime aller à la rencontre de ces frères chrétiens et je considère que notre séparation n’a guère de motif théologique. Nous sommes très proches. Quand je participe à la liturgie dans une église orthodoxe, je ne communie pas, comme il nous l’est demandé. Je vis alors une communion spirituelle. Cette situation me permet de mieux mesurer le caractère absurde et scandaleux de la séparation de nos Églises. Ce que j’apprécie beaucoup, dans les offices orthodoxes, c’est le fait que tout soit chanté. C’est comme si le chant nous plongeait dans un bain de prière.
Depuis que je suis de retour en France, dès que je le peux, je participe aux Vigiles de la Résurrection le samedi soir, dans l’église orthodoxe à côté de chez nous. C’est en quelque sorte ma paroisse du samedi. En Russie, nous avons adopté un bébé porteur de trisomie, Christo. Grâce à lui, nous avons fait la connaissance de familles ayant des enfants atteints par ce handicap. Avec ces personnes, nous avons commencé un petit groupe d’échanges dans la paroisse orthodoxe. Revenus en France, nous avons lancé des sessions pour ces familles en Russie, orthodoxes pour la plupart. La partie spirituelle était assurée par un prêtre ou un évêque catholique. Nous avons vécu entre catholiques et orthodoxes des échanges très profonds. Pourtant, certains n’avaient jamais vu de catholiques de leur vie ! Beaucoup ont participé sans difficulté à la messe tandis que des catholiques assistaient aux offices orthodoxes le matin. Le handicap s’est révélé être un terrain favorable pour des rencontres qui vont à l’essentiel entre chrétiens de différentes traditions. ¨
1. Pianiste disciple d’Olivier Messiaen, juif d’origine et converti au catholicisme, Jean-Rodolphe Kars est prêtre dans la Communauté de l’Emmanuel.