Diversité et unité : ce que nous apprennent les chrétiens d’Orient

S’intéresser aux origines de l’Église, et donc aux Églises d’Orient, dilate et approfondit notre regard sur la question de l’unité.

Par MGR PASCAL GOLLNISCH, directeur général de L’Œuvre d’Orient.

Mgr Pascal Gollnisch ©Peter Potrowl Creative Commons
©Peter Potrowl-Creative Commons

La première chose que nous apprennent les chrétiens d’Orient, c’est que le christianisme est né en Orient, je dirais même en Asie, le Moyen-Orient étant une partie de l’Asie. Dans le récit de la Pentecôte, les Actes des Apôtres nous font la liste des peuples qui étaient présents à Jérusalem. Peu de chrétiens latins sont allés voir d’où venaient tous ces gens qui sont nommés : Phrygie, Pamphilie, etc. Nous oublions que le christianisme a été hérité par la latinité de l’apostolat de ces chrétiens d’Orient dont certains sont venus en Gaule créer des diocèses : par exemple saint Jacques d’Assyrie, venu rejoindre le monastère de Lérins et qui a été envoyé fonder le diocèse de Tarentaise. C’est donc de ces chrétiens que nous avons reçu le christianisme, qui s’est ensuite inscrit dans une culture gréco-latine, païenne. Toute l’histoire de la théologie garde la trace de cette tension entre la religion sémitique venue d’Asie et la culture gréco-latine dans laquelle nous l’avons exprimée.

Nous, chrétiens latins, sommes les héritiers de l’Empire romain. Depuis la paix de Constantin, nous nous sommes réconciliés avec l’Empire. Mais quand Constantin transfère sa capitale à Byzance, l’évêque de Rome quant à lui s’inscrit dans les cadres impériaux. L’expression « souverain pontife » par exemple est issue de cet héritage : c’était en effet un titre que l’on donnait à l’empereur de Rome ! Nous avons repris en particulier le centralisme romain. L’homogénéisation est allée croissant en Occident, avec la réforme grégorienne notamment jusqu’à nos jours. Ce centralisme a parfois estompé les diversités dans l’Église latine.

Dans l’Église latine, la diversité a fini par s’exprimer sous un autre angle : celui des ordres religieux. Nous avons un nombre incroyable d’ordres et de spiritualités ! Dans le monde oriental, si la diversité institutionnelle est plus grande qu’en Occident, l’homogénéité des Églises est finalement elle aussi plus importante que dans l’Église latine, contrairement à ce que l’on pense. Sur le plan spirituel, par exemple. Ces Églises ont leurs monastères, qui ont à peu près tous les mêmes règles.

Élargir notre regard sur l’Église

Le pape Jean Paul II évoquait les deux poumons de l’Église. Par cette expression, il visait le poumon catholique latin et le poumon slave oriental de l’Église. Je serais tenté pour ma part de dire qu’il y a un troisième poumon. Le monde slave qui touchait Jean Paul II, est un monde byzantin (venu de Constantinople), qui a irrigué une bonne partie de l’Europe de l’Est. Mais il y a également le monde sémitique, qui est le berceau même du christianisme : c’est une culture très authentique, qui n’a pas été imprégnée par la culture gréco-latine.

Considérer l’Histoire et ces histoires si diverses nous pousse donc à dilater notre regard sur l’Église. Les Coptes, les Chaldéens, les Arméniens etc. sont aussi catholiques que nous, les Latins ! L’Église catholique est souvent assimilée à l’Église latine. Or les Orientaux nous rappellent qu’il existe aussi d’autres Églises dans l’Église catholique ! Cet élargissement du regard nous permet d’accueillir plus en profondeur les richesses de ces traditions. En Occident, nous connaissons bien par exemple, dans le domaine patristique, les Pères latins et grecs, mais nous ignorons qu’il y a aussi des Pères de langue arabe. De même, sur le plan de la liturgie, chez les Byzantins, l’iconostase révèle et cache en même temps. Dans notre liturgie latine, à l’inverse, nous essayons de montrer, d’expliquer, et de faire en sorte que les fidèles laïcs prennent part à la liturgie. Le fait que, chez les Byzantins, la liturgie soit plus cachée, nous rappelle notre vocation face au mystère du ciel. La divine liturgie orientale nous fait pressentir cette dimension céleste. Nous avons à apprendre de ce trésor.

Séparations et rapprochements

C’est au Ve siècle que ces Églises se sont séparées de l’Église indivise, sur la manière de définir, dans le Christ, deux natures en une personne : – « Une personne », à Éphèse, en 431 : ce concile voit partir les Chaldéens, les chrétiens de l’Empire perse. – « Deux natures », à Chalcédoine, en 451 : lors de ce concile, les Coptes, les Syriaques, les Arméniens, les Éthiopiens se séparent de l’Église indivise, c’est-à-dire, à l’époque, de Rome et de Constantinople. (La rupture entre Rome et Constantinople, en 1054, est d’un tout autre ordre.)

Plus tard, une partie de ces Orientaux ont retrouvé la communion avec Rome. C’est entre le XVIe et le XIXe siècle que les querelles christologiques du Ve siècle sont surmontées. Parfois, ce n’est pas un petit rameau de telle Église orientale qui a rejoint la communion avec Rome, mais une partie importante. C’est ainsi que des Orientaux se retrouvent membres de l’Église catholique de Rome. Aux yeux des Orientaux que nous désignons sous le vocable d’orthodoxes, ces chrétiens d’Orient ralliés à Rome sont des traîtres, et donc un obstacle à l’unité des chrétiens.

À L’Œuvre d’Orient, nous pensons que non seulement ils ne sont pas un obstacle mais une chance, si l’on veut réellement travailler à l’unité des chrétiens. Car ces catholiques orientaux ont gardé toutes leurs traditions : leur liturgie, leur histoire, leur vision de l’Église, etc. Ils peuvent donc être comme un pont entre Orient et Occident. Vatican II évoque les Églises catholiques orientales, mais personne n’a lu ce passage (cf. Décret sur l’œcuménisme, Unitatis Redintegratio, III, 14-18). Ce texte dit notamment que les rites sont égaux en dignité. C’est donc la fin de l’idée que le rite latin aurait prééminence sur les autres. Beaucoup de missionnaires latins, à partir du XVIe siècle, ont en effet appréhendé l’Orient ainsi, en cherchant à amener peu à peu ces chrétiens à une latinisation. Cet impérialisme latin a suscité une résistance légitime de la part des chrétiens orientaux.

Des incompréhensions à la recherche de l’unité

La question du primat du pape est encore l’obstacle principal aujourd’hui à l’unité des chrétiens entre Orient et Occident. Cela nous incite, nous Latins, comme le demandait déjà Jean Paul II, à réfléchir à une façon différente de gouverner l’Église. Chez les Orientaux, l’autorité, c’est le patriarche et le synode (le patriarche sans son synode a en réalité peu de pouvoir).

Quand nous voyons une telle diversité d’Églises, nous pensons tout de suite, nous Latins, que « c’est la guerre entre elles ». Exactement comme si les chrétiens d’Orient pensaient que c’est la guerre permanente entre jésuites, dominicains, franciscains, lazaristes, de l’Église latine. Non ! Ce sont des histoires, des cultures différentes. Le monde latin a pensé qu’il avait vocation à l’universalité, ce qui est un autre héritage de l’Empire romain. L’exemple des pays du Golfe est le plus patent : deux évêques latins se partagent ces pays de la Péninsule arabique, alors même qu’il y a, sur ce territoire, beaucoup de chrétiens d’Orient.

Les Orientaux ont par ailleurs la conscience d’un territoire historique, lié au siège patriarcal : il y a le patriarcat d’Alexandrie, de Jérusalem, d’Antioche, de Babylone, etc. Et en dehors de ces territoires historiques, existe une diaspora dans les grands pays d’immigration. L’autorité du patriarche et du synode n’est pas la même sur le territoire historique que dans la diaspora. Cette problématique, liée à un territoire, échappe complètement aux Latins.

Pour avancer sur le chemin de l’unité, il ne faut pas vouloir aller trop vite. Et accepter d’écouter humblement les observations que nous font les chrétiens orientaux.

Propos recueillis par LAURENCE DE LOUVENCOURT

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