Rencontre avec Nicolas Merveilleux,
PDG de la bronzerie d’art Rémy Garnier
Passé par Normale Sup, Nicolas Merveilleux du Vignaux fait ensuite une thèse en géologie, bifurque vers le conseil en stratégie, avant d’arriver chez Hermès où il découvre le savoir-faire artisanal : une révélation ! Depuis 2019, le presque quinquagénaire dirige l’entreprise Rémy Garnier, une bronzerie d’art dont il est actionnaire minoritaire.
Interview d’un passionné qui cherche à défendre et valoriser les métiers de la main.
Vous qui avez accompli un sans-faute académique, comment avez-vous découvert les métiers manuels ?
« C’est chez Hermès que j’ai découvert les métiers artisanaux. Cela m’a passionné. Pas spécialement pour les pratiquer moi-même mais pour ce que ça représentait en termes de savoir-faire, de transmission, de valeur et de patrimoine pour notre pays. Je me suis rendu compte qu’il y avait plein de très belles entreprises artisanales françaises qui progressivement disparaissaient et que c’était bien dommage.
M’est venue alors l’idée un peu folle de reprendre une entreprise française avec un patrimoine local, plutôt dans le domaine de l’excellence, pour pouvoir la redresser ou en tout cas empêcher qu’elle disparaisse. Quand j’ai fait la connaissance de l’entreprise Rémy Garnier, elle était à la limite du dépôt de bilan. Un groupe cherchait à la racheter à ce moment là aussi, et on l’a fait ensemble. C’est l’actionnaire majoritaire et moi j’ai des parts minoritaires dans l’entreprise. »
L’excellence semble être un fil rouge de votre parcours…
« Oui, on peut dire cela. Je suis un peu le prototype du bon élève scolaire pour qui ça a bien marché jusqu’en classe prépa où j’ai pu intégrer Normal Sup. Mais au fond de moi, il y avait cette recherche du travail bien fait et bien fini. Cela m’a amené à des métiers dans lesquels on fait très attention au détail et où on prend le temps pour faire les choses bien. Ces métiers sont ceux du luxe et de l’excellence, au moins dans la production. »
Selon vous, l’excellence et la passion sont-elles forcément liées ?
« Pour ce qui concerne la production et la création, la passion et l’excellence fonctionnent évidemment ensemble. Sur la partie marketing, par exemple, la passion n’est forcément pas nécessaire.
Oui, ce sont des métiers de passion car ils demandent un investissement total mais aussi d’excellence car l’apprentissage est quasi infini. Les artisans le disent eux-mêmes : ils n’en finissent jamais d’apprendre et d’améliorer leurs gestes et leur savoir-faire. En cela, les artisans sont sans cesse en quête d’excellence. »
Il existe une tradition française de l’excellence, dans les arts de la table – cristal, porcelaine, orfèvrerie – la gastronomie, la haute-couture… Pourtant, quand on pense « excellence » on l’associe spontanément à l’intelligence intellectuelle et quand on pense « métiers manuels » on les associe plutôt à des choix par défaut, voire des voies de garage. Pourquoi ?
« C’est vrai et c’est le drame de notre société depuis les années 60 qui a fait de l’obtention du baccalauréat un objectif pour toute une classe d’âge… Les métiers manuels sont dévalorisés depuis plusieurs décennies. Enfant, si j’avais dit que je voulais faire un CAP, tout le monde aurait considéré que j’étais en échec scolaire.
Il faut se battre absolument pour redorer le blason de ces métiers manuels.
Pas seulement dans l’artisanat d’art à proprement parler mais aussi dans l’artisanat en général.
Je considère que ce sont les métiers de demain pour une raison simple : nous ferons de plus en plus de réemploi, de recyclage, de restauration car les machines ne savent pas réparer, et l’intelligence artificielle non plus. Et nous aurons très rapidement besoin de la main humaine et de beaucoup plus d’artisans de tout type.
L’intelligence artificielle est en train de faire muter complètement le marché du travail. Les métiers impactés, ceux qui vont disparaître à cause de l’IA, ce ne sont pas les métiers manuels mais ceux du tertiaire. De nombreux métiers sont en train d’être automatisés. En revanche, dans les métiers manuels, la valeur ajoutée humaine va rester.
Le corps des artisans est déjà aujourd’hui le plus gros employeur de France. Ce sera encore plus vrai demain.
Dans mon entreprise, nous ressentons déjà ce besoin de mains compétentes. Il faut dire et redire à nos jeunes d’aujourd’hui que ces filières-là, ces métiers-là sont importants pour la société.
Dites-nous un mot justement de l’association « de l’or dans les mains » que vous présidez ?
Il y a 4 ans, Gabrielle Légeret a fondé « De l’or dans les mains » et je me suis associé à elle, convaincu que cette association serait une tribune pour défendre la revalorisation de nos métiers manuels mais aussi un moyen de pouvoir s’investir dans l’éducation, levier principal pour promouvoir ces filières et donner envie aux jeunes de se tourner vers elles.
Quelles sont les différentes activités de l’association ? Comment intervient-elle dans les établissements scolaires ?
L’ambition de l’association c’est de réintégrer le travail manuel dans les collèges. On constate qu’à la maternelle, nos enfants jouent avec de la matière et utilisent leurs mains, qu’au primaire, cela se réduit à la portion congrue et qu’au collège, c’est complètement fini alors que c’est le moment où l’enfant pourrait décider de bifurquer vers des filières manuelles.
Donc, l’association organise avec les collèges, pour les élèves de 5ème, un parcours pédagogique très défini, à raison de trois journées pleines par an, d’abord sous le signe de la matière, puis du geste et enfin du métier. Pendant la dizaine d’ateliers organisée, les artisans présentent leur métier en lien avec le programme scolaire.
De plus en plus de collèges postulent et de plus en plus d’artisans désirent participer. On est donc en train de créer des plateformes pour qu’à terme, cela puisse se faire sans l’aide de l’association.
Qui sont les artisans qui participent à ces ateliers ?
Il y a évidemment des artisans d’art, des plumassiers ou des brodeurs de la mode, des bronziers d’art comme nous parce qu’évidemment je fais participer mes artisans, des menuisiers, des ébénistes, des peintres qu’ils soient peintres décoratifs ou des peintres en bâtiment…Et puis il y a des maçons, des charpentiers, d’art ou pas, des électriciens… Donc toutes sortes d’artisans.
L’association n’est vraiment active que depuis 2 ans et demi. C’est encore un peu tôt pour avoir une mesure d’impact mais nous voyons, avec une grande joie, de nombreux élèves qui se découvrent eux-mêmes grâce à ces ateliers, qu’ils soient en réussite scolaire ou pas d’ailleurs.
Existe-t-il aujourd’hui suffisamment de formations vers lesquelles orienter les élèves intéressés ?
Evidemment, ces filières se sont progressivement contractées face à une demande en baisse. Il existe quelques écoles pour les métiers d’art, des CAP, du compagnonnage… Il y a donc un certain nombre de filières qui peuvent être dès aujourd’hui exploitées autour de ces métiers-là.
Et en termes de débouchés professionnels, je ne connais pas un plombier ou un électricien, par exemple, sans travail ! Alors, c’est vrai, ce sont des métiers physiques, avec des déplacements, des chantiers ou des horaires qui peuvent être pénibles, je pense à la restauration notamment, mais ce sont des secteurs qui embauchent !
Justement, qu’auriez-vous envie de dire à des jeunes intéressés par ces métiers mais que l’aspect physique et pénible peut freiner ?
J’aurais envie de leur dire de redécouvrir et de s’approprier leur corps, de faire du sport.
Oui, ce sont des métiers difficiles, dans lesquels on peut se blesser, mais ce sont de très beaux métiers ! C’est vrai que mes « vieux » artisans, à la fin de leur carrière, sont usés physiquement comme le sont des athlètes de haut-niveau. Il y a encore des améliorations à travailler sur les postures, les gestes, l’ergonomie des postes de travail… Mais souvenons-nous que l’homme s’est développé en inventant et en construisant avec ses mains. A quoi sert notre corps si nous ne l’utilisons pas par peur de l’abîmer ?
J’ai envie de dire aux jeunes que l’effort physique fait partie de la vie !
Selon vous, qu’est-ce qui est susceptible d’allumer une étincelle dans le regard et dans le cœur d’un jeune ?
Les meilleurs ambassadeurs des métiers de la main sont les artisans eux-mêmes qui, en partageant la passion qui les anime, peuvent créer l’étincelle !
Je fais régulièrement visiter un des deux sites de l’entreprise, situé à Château Renault en Touraine, aux collégiens de l’établissement d’en face. Et, avant la visite, après leur avoir présenté notre activité, je leur demande à quel poste ils se verraient travailler dans l’entreprise. Souvent, ils me disent qu’ils s’imaginent commercial car ce sont des produits prestigieux, comptables, ou faire des modèles 3D… jamais comme artisan. Je repose la même question à la fin de la visite et en général, il y en a deux qui se projettent artisans. Car ils ont vu le geste, le métal en fusion, les outils que les artisans se sont fabriqués eux-mêmes, ils ont parlé avec eux… et leur regard a changé sur ces métiers !
Créer l’étincelle passe aussi par le récit que l’on tisse autour de ces métiers pour les rendre désirables auprès des jeunes comme auprès des parents.
De ce point de vue, le drame de Notre-Dame de Paris aura eu ce bon côté de mettre en lumière en France et au-delà tous ces métiers de la main, ces filières d’excellence, ces artisans, ces savoir-faire transmis depuis des générations.
Est-ce que vous avez encore des rêves qui vous font pétiller les yeux pour la suite de votre carrière ?
Je suis un grand rêveur et j’ai toujours plein d’envies. Ce qui est certain c’est que je resterai dans cet univers et que je continuerai d’une manière ou d’une autre à défendre et valoriser les métiers artisanaux tournés vers la restauration et la réparation de pièces anciennes. Dans l’énorme chantier à mener, j’ai enfin trouvé ma petite place : transmettre cette conviction que les métiers de la main sont les métiers de demain !
