Merci Nathalie !

Nathalie dormait dans la rue depuis plus de 8 ans. Elle n’avait plus de papiers, pas de carte vitale, ne touchait pas de retraite. Une anonyme, une indigente. Et pourtant, elle a marqué la vie de beaucoup de gens autour d’elle. Au lendemain de la journée mondiale des pauvres, Flore nous livre son témoignage.

Il y a 2 ans, nous nous sommes arrêtés, en famille, auprès de Nathalie. Nous lui avons apporté des gâteaux au chocolat. Lorsque nous les lui avons tendus, elle nous a répondu du tac au tac : « C’est gentil, mais je déteste le chocolat ! ». Du grand Nathalie ! Nous allions le découvrir plus tard, elle n’avait pas la langue dans sa poche.

Je reconnais que j’ai trouvé qu’elle exagérait de nous envoyer promener alors que nous avions pris le soin de lui faire un gâteau. Et puis, je me suis rendue à l’évidence, ce n’est pas parce qu’elle vivait à la rue qu’elle devait absolument aimer le chocolat ! Avec mon fils, qui avait 17 ans, nous nous sommes assis à côté d’elle et nous avons commencé à discuter. Nous avons réalisé que la bonne question à poser était « comment pouvons-nous vous aider ? ». La réponse n’a pas tardé : « En me permettant de prendre une douche chez vous. » Aïe ! Je n’avais pas prévu ça. Plus facile de lui apporter des gâteaux que de l’accueillir chez moi… Mais le contact était pris, elle nous accordait sa confiance. Car oui, ça n’était pas uniquement moi qui devais lui accorder ma confiance en l’invitant chez nous. J’ai réalisé combien elle aussi s’abandonnait en allant chez quelqu’un qu’elle ne connaissait pas. Je crois que c’est cela qui m’a touchée et qui m’a convaincue : la vulnérabilité qu’elle devait accepter pour se laisser aider.

Nathalie

Les premières fois furent simples et pudiques. Nous nous sommes apprivoisées. J’ai découvert son monde. L’horreur des centres d’accueil dans lesquels elle refusait d’aller. La réalité d’une femme qui dort dehors et qui tente de conserver sa dignité.

Elle a rencontré les enfants, mon mari, elle est entrée dans notre vie. Et puis nous nous sommes parlé. Je me souviens encore du jour où elle m’a posé des questions sur les enfants, et où je lui ai répondu comme on répond à une amie. Nous n’étions plus dans une relation d’aide, mais bien dans une relation d’amitié. Elle m’a confié son linge sale aussi. J’ai lu dans ses yeux que ça n’était pas anodin. Encore une marque de confiance.

D’elle, en revanche, je ne savais pas grand-chose. Elle cherchait à conserver son anonymat, elle était confuse parfois. Des pans entiers de sa vie nous demeurent inconnus… notamment les liens réels avec ses 4 enfants dont elle nous parlait tant et qui ne savaient pas qu’elle habitait à la rue. Qu’est-ce qui a pu la mener là ? Nous ne le saurons jamais.

Et puis elle est venue passer Noël à la maison. Nous l’avons accueillie à dormir chez nous. Nous étions un peu inquiets, partagés entre l’envie de bien faire et la peur de ses réactions. Ce fut finalement une soirée toute simple. On a joué au Scrabble et elle nous a tous battus à plate couture !

De fil en aiguille, d’autres voisins ont accueilli Nathalie chez eux. Une chaîne de solidarité s’est créée autour d’elle. Lors de l’hiver 2021, particulièrement rude, une famille l’a accueillie chez elle durant 3 mois. Quelle générosité !

Pendant 2 ans, avec trois autres familles, nous nous sommes relayés pour accueillir Nathalie pour une douche, une nuit ou un week-end. Elle ne ratait pas un anniversaire de l’un de nos enfants ! Elle trouvait un cadeau, un bouquet de fleurs, elle avait une attention. Je crois qu’elle les aimait particulièrement. Elle avait un sacré caractère aussi ! Elle disait les choses lorsqu’elle n’était pas contente. Si j’étais en retard pour venir la chercher pour une douche, elle me faisait de sacrées remontrances ! Elle “m’engueulait”, il n’y a pas d’autre mot, puis s’excusait de m’avoir mal parlé. Elle était comme ça, Nathalie. Volcanique ! Mais tellement attachante! 

« Si nous voulons que la vie l’emporte sur la mort et que la dignité soit délivrée de l’injustice, le chemin c’est le sien : il consiste à suivre la pauvreté de Jésus-Christ, partageant la vie par amour, rompant le pain de son existence avec les frères et sœurs, en commençant par les derniers, ceux qui manquent du nécessaire, pour que l’égalité soit faite, pour que les pauvres soient délivrés de la misère et les riches de la vanité, toutes deux sans espérance »,

Pape François à l’occasion de la 6ème Journée Mondiale des Pauvres.

Il y a quelques mois, elle a perdu beaucoup de poids. Nous avons tenté de la convaincre d’aller à l’hôpital pour se faire soigner. Mais n’ayant pas de carte vitale, et refusant d’aller à l’accueil pour personnes sans papiers, elle a décliné notre proposition. De plus en plus inquiets, nous avons pris contact avec un ami médecin généraliste qui est venu la voir « chez elle », dans la rue. Il l’a auscultée et interrogée avec beaucoup de délicatesse. Elle a accepté d’aller faire une prise de sang et une radio (elle a insisté pour tout payer !). Puis, fin octobre, le verdict est tombé : un probable cancer des poumons bien avancé. Il fallait faire d’autres examens.

Mercredi 2 novembre, une amie et moi nous sommes relayées pour l’emmener à un rendez-vous d’anesthésiste en vue d’un examen exploratoire le 10 novembre. Elle avait peur. Elle était irritable. Dans la voiture, au retour, elle m’a dit, une boule dans la gorge « Je suis affreuse, je suis désagréable avec Christophe, avec Camille, avec le médecin, avec toi, alors que vous êtes tous si gentils avec moi… ». Je lui ai répondu qu’elle en avait le droit. Qu’elle devait digérer la nouvelle, qu’il était compréhensible qu’elle soit abattue. Elle a fondu en larmes. C’était la première fois que je la voyais dans cet état. Elle n’a pas voulu venir se doucher chez nous. Elle voulait rester seule. Je l’ai laissée devant « chez elle ». Je ne savais pas que c’était la dernière fois que je la voyais.

Mercredi 9 novembre, elle est allée dormir chez des amis. Dans la nuit, elle s’est éteinte dans son sommeil. Elle était au chaud, dans une famille où elle se sentait bien et n’a apparemment pas souffert. Je rends grâce à Dieu pour cela.

Nathalie 1

Depuis jeudi dernier, les témoignages d’affection envers Nathalie affluent de toutes parts. Des mots, des bouquets de fleurs, des dessins d’enfants sont déposés là où nous étions certains de la voir tous les jours, « chez elle ». Des passants s’arrêtent pour lire les mots, dire combien ils appréciaient son sourire et les bouts de discussion avec elle. Hier, mercredi 16 novembre 2022, plus de 150 personnes du quartier se sont réunies dans l’Église Sainte-Thérèse, où une célébration a eu lieu en sa mémoire. 150 personnes pour notre Nathalie, quelle joie immense !

Nathalie aurait pu mourir seule, méprisée et abandonnée.

Le Seigneur a permis qu’elle soit entourée d’amis et que sa vie ait de la valeur jusqu’au bout. Elle a profondément marqué nos quatre familles, et tout un quartier. Et peut-être que par ces lignes, Nathalie vous a touchés, vous aussi. C’est leur but, nous donner une occasion d’aimer. Car, nous en sommes certains, Nathalie a ouvert une brèche en nos cœurs. Une brèche pour aimer encore mieux et encore plus.

Merci Nathalie, nous ne t’oublierons jamais.

Nathalie 4
Nathalie 3
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Nathalie 5

« Voici venu le temps de la miséricorde. Chaque journée de notre route est marquée par la présence de Dieu qui guide nos pas avec la force de la grâce que l’Esprit répand dans le cœur pour le modeler et le rendre capable d’aimer.

Voici venu le temps de la miséricorde pour tous et pour chacun, pour que personne ne puisse penser être étranger à la proximité de Dieu et à la puissance de sa tendresse.

Voici venu le temps de la miséricorde pour que ceux qui sont faibles et sans défense, loin et seuls, puissent accueillir la présence de frères et sœurs qui les tireront du besoin.

Voici venu le temps de la miséricorde pour que les pauvres sentent se poser sur eux le regard respectueux mais attentif de ceux qui, ayant vaincu l’indifférence, découvrent l’essentiel de la vie.

Voici venu le temps de la miséricorde pour que tout pécheur ne se lasse jamais de demander pardon et sente la main du Père qui accueille toujours et serre contre lui. »

Pape François, Le visage de la miséricorde, numéro 21

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