Marcher sur le chemin de la vraie joie

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François nous enseigne que la joie est une arme puissante contre les embûches du Malin. En se tournant vers Dieu, lui-même a accueilli, émerveillé, les trésors de la foi. Et du même coup, il a accueilli la joie.

Par Hervé Guillez, curé de Saint-François d’Assise (Paris XIXe).

La joie est l’enjeu d’un vrai combat spirituel. François « tenait fermement que l’allégresse spirituelle est le remède le plus sûr contre les mille embûches ou fourberies de l’Ennemi. Il disait en effet : “Ce qui fait que le diable exulte de préférence, c’est quand il peut dérober au serviteur de Dieu la joie de l’Esprit. […] Mais quand l’allégresse spirituelle remplit les cœurs, c’est en vain que le serpent répand son venin mortel. Les démons ne peuvent blesser le serviteur du Christ quand ils l’ont vu rempli d’une sainte bonne humeur.”[…] Aussi s’efforçait-il de se tenir toujours dans la jubilation du cœur, de conserver l’onction de l’Esprit et l’huile d’allégresse. Il évitait avec le plus grand soin la si mauvaise maladie qu’est l’acédie, au point que, quand il la sentait s’insérer si peu que ce soit dans son esprit, il courait prier au plus vite. Il disait d’ailleurs : “Un serviteur de Dieu, bouleversé pour quelque raison, comme cela est fréquent, doit aussitôt se lever pour prier et se maintenir dans la présence du Père suprême jusqu’à ce qu’il lui rende l’allégresse de son salut.” » (2 Cel 125, Thomas de Celano).

La joie de François est le fruit de l’expérience heureuse de la gratuité de Dieu. L’homme qui s’ouvre à Dieu dans la foi, s’ouvre à la joie, celle d’une présence capable de combler ses désirs les plus profonds. François a accueilli, émerveillé, les trésors de l’Évangile et de l’Esprit du Christ. Et, du même coup, il a accueilli la joie. « N’ayons donc d’autre désir, d’autre volonté, d’autre plaisir et d’autre joie que notre Créateur, Rédempteur et Sauveur, le seul vrai Dieu, qui est le bien plénier, entier, total, vrai et souverain ; qui seul est bon, miséricordieux et aimable, suave et doux ; qui seul est saint, juste, vrai et droit ; qui seul est bienveillant, innocent et pur ; de qui, par qui et en qui est tout pardon, toute grâce et toute gloire pour tous les pénitents et les justes sur la terre et pour tous les bienheureux qui se réjouissent avec lui dans le ciel » (1 Reg. 23, 9).

La désappropriation (ne rien avoir en propre) est certainement une clé pour demeurer dans la joie : le fait de ne pas s’attacher préserve de la peur de perdre. « Ainsi se réjouissaient-ils donc continuellement puisqu’ils n’avaient rien qui puisse les troubler. Car plus ils étaient séparés du monde, plus i ls étaient unis à Dieu. » (Anonyme de Pérouse, 30) S’approprier les dons de Dieu engendre souvent une inquiétude mauvaise, sur sa propre réputation, sur ce que les autres disent ou pensent de nous et finit par ternir la joie intérieure.

François sait s’émerveiller des qualités de ses frères et y trouver grande joie. Enraciné dans la gratuité de Dieu, il est libéré de la jalousie qui empoisonne si souvent nos relations. Il se réjouit de la diversité de ses frères, de leurs qualités, de leurs originalités même, de leur progrès humain et spirituel. Sa grande joie est d’aider son frère à s’ouvrir à l’Esprit du Seigneur, à aller jusqu’au bout des appels évangéliques qu’il porte en lui. Il se réjouit de l’action du Seigneur en chacun, et lorsque ses premiers frères reviennent joyeux après avoir quêté humblement leur nourriture, « le bienheureux François se réjouit en les voyant aussi gais et joyeux. » (CA 51)

La joie évangélique est d’ailleurs au cœur de la mission : « Que sont en effet des serviteurs de Dieu sinon, en quelque sorte, ses jongleurs qui doivent émouvoir le cœur des hommes et les élever à l’allégresse spirituelle » (CA 83). La joie trouve ainsi sa place dans la Règle : « Qu’ils aient bien soin de ne pas affecter un air sombre, une tristesse hypocrite ; mais qu’ils se montrent joyeux dans le Seigneur, gais, aimables, et gracieux comme il convient. » (1Reg. 7,16).

Nous passons tous par des moments d’épreuve, François lui-même n’en a pas été indemne et a vécu une nuit profonde où la présence apaisante de Claire n’a pas été un moindre secours. La joie est don de Dieu à travers justement l’épreuve qui nous désapproprie de nous-même pour nous replacer dans la juste relation où nous recevons en tout du Père pour faire reposer notre volonté en lui.

Dans le texte qu’il consacre à la Vraie joie, François commence par démasquer les nombreuses occasions de vaine gloire (succès apostolique, réputation de sainteté, pouvoir de guérison, savoir religieux…). Mais contrairement à la vision doloriste que rapportent les Fioretti, François n’enseigne pas d’accepter sans réplique ou même “volontiers” un mauvais traitement. La chute est plus fine, plus exigeante et bien plus sage : heureux qui, connaissant des conditions physiques et psychiques difficiles, ne perd pas la paix intérieure, ne se laisse pas influencer par le comportement des autres, ne se laisse pas exaspérer et devenir agressif mais est capable d’agir.

La joie de François est de revivre dans son cœur et dans sa chair ce que son Seigneur a vécu. Son amour a un impérieux besoin de s’identifier à l’être aimé, de se conformer à lui. « Dans l’accomplissement de ta sainte volonté je ruisselle de joie ! » (LM 14, 2).

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