Jean-Baptiste Siboulet, prêtre de l’Emmanuel dans le diocèse de Nantes, est membre du comité mixte catholiques-anglicans de la Conférence des évêques de France. En Angleterre, il a étudié l’œcuménisme réceptif. Explications.
Par JEAN-BAPTISTE SIBOULET
En France, nous, catholiques, côtoyons assez peu de chrétiens d’autres confessions. Nous voyons donc souvent l’œcuménisme comme secondaire, voire optionnel. Au cours de mes études, attiré par tout ce qui a trait à l’Église, j’ai pris conscience sur le plan intellectuel que ce sujet, loin d’être accessoire, était essentiel, et que tant que les chrétiens ne seraient pas unis, il demeurerait une contradiction profonde au sein de l’Église.
Un autre regard
Je me suis alors particulièrement intéressé à la pensée d’un laïc britannique, Paul Murray, professeur de théologie à l’université de Durham, au Nord de l’Angleterre. Et de façon providentielle, j’ai eu la chance de passer un semestre dans cette université auprès de ce professeur. J’arrivais de Bruxelles où j’étudiais dans une faculté catholique. En Angleterre, le département de théologie est œcuménique. Je me retrouvais donc en groupe de travail avec deux anglicans, un méthodiste, un évangélique, un luthérien et parfois même un athée, etc. C’est une autre manière de faire de la théologie, qui est assez déstabilisante et en même temps très stimulante. Ces échanges et ces rencontres m’ont obligé à creuser ma propre tradition et à approfondir celle des autres Églises. Ce fut une expérience très riche et positive et j’ai noué de belles amitiés avec des chrétiens d’autres Églises.
J’ai compris d’une part que ce qui nous unit est plus important que ce qui nous sépare, et que d’autre part, le dialogue œcuménique pose de bonnes questions auxquelles on ne répond pas si facilement. Souvent, nous nous en tenons à des clichés les uns sur les autres : nous catholiques, avons tendance à croire que les protestants n’ont aucun culte eucharistique, ne laissent aucune place à Marie et que pour les orthodoxes, le pape ne représente rien. Mais dès que nous consentons à approfondir ces questions, nous nous rendons compte que la vérité est autre : on trouve bien un culte eucharistique chez les protestants sous une autre forme, et parfois aussi une dévotion mariale ; par ailleurs, la tradition orthodoxe reconnaît aussi la primauté du pape, successeur de Pierre.
Une nouvelle méthodologie
À l’issue de ce semestre, j’ai fait un mémoire sur l’œcuménisme réceptif, notion élaborée par le théologien Paul Murray. En donnant un cours à des anglicans, des méthodistes et des catholiques, il s’est rendu compte que ces étudiants venaient tous avec leur propre tradition et que ces traditions différentes offraient des ressources qui pouvaient aider à dépasser des blocages au sein de l’Église catholique. Le théologien est également parti du constat que l’œcuménisme était alors dans une phase de stagnation ; les Églises expérimentaient un certain désenchantement œcuménique. Après le concile Vatican II, il y avait eu de grandes avancées : meilleure connaissance de nos traditions respectives, relecture commune des blessures de l’histoire, clarifications doctrinales permettant de réconcilier différents langages, expressions, doctrines, jusque-là considérés comme incompatibles.
Mais la génération de théologiens œcuménistes n’avait pas été remplacée. Il existait déjà un courant qui engageait à apprendre les uns des autres sur un plan spirituel. Mais Paul Murray a voulu aller plus loin pour permettre la mise en pratique de cette volonté d’apprendre les uns des autres dans tous les pans de la vie de l’Église : théologie, liturgie, pastorale, organisation, finances, structures, etc. Il a alors convoqué un grand colloque international en 2006 et c’est à cette occasion qu’il a proposé cette expression d « œcuménisme réceptif ». Si elle existait déjà, Paul Murray l’a formalisée comme une méthodologie pour avancer sur le chemin de l’unité. En quoi consiste cette méthodologie ? Paul Murray l’explique ainsi : au lieu de se demander ce que les autres doivent changer pour que nous puissions être d’accord, regardons d’abord ce que nous pouvons, nous, apprendre des autres traditions pour enrichir la nôtre. L’enjeu, pour un catholique par exemple, n’est pas de devenir moins mais plus catholique en apprenant des orthodoxes, des protestants, etc.
Poser un diagnostic et chercher des remèdes
Quand j’ai entrepris ce travail, et alors qu’il y avait eu déjà plusieurs grandes rencontres internationales autour de cette notion accompagnées d’une littérature de plus en plus abondante, il n’existait pourtant rien dans le monde francophone sur le sujet. La situation a un peu évolué depuis. Paul Murray insuffle un souffle nouveau, par une approche pragmatique. Il invite à faire un diagnostic sur les difficultés, les points de blocage, les faiblesses au sein de notre propre Église et de rechercher dans les autres traditions, toujours avec discernement, des ressources qui peuvent nous aider à dépasser ces difficultés. Le livre de Henrik Lindell et Pierre Jova Comment devenir plus catholiques en s’inspirant des évangéliques (Éditions Emmanuel) s’inscrit exactement dans cette dynamique. Les auteurs listent les points d’amélioration possibles dans l’Église catholique : l’accueil, la musique, la sono, la réception de la Parole de Dieu… Et regardent comment dans ces domaines précis, ce que vivent les évangéliques est un chemin possible de conversion pour notre propre Église.
Il ne s’agit bien sûr jamais de “plaquer” artificiellement des méthodes inadaptées à tel contexte mais de retenir le meilleur chez l’autre. Par exemple, en me plongeant dans la tradition méthodiste, j’ai découvert les ecclésioles apparues dès le XVIIIe siècle : ces petits groupes de prière qui se déroulent à domicile ont pour objectif de permettre aux chrétiens de partager sur la Parole de Dieu, de prier, et de veiller les uns sur les autres. C’est ce que nous vivons dans la Communauté de l’Emma nuel au sein des maisonnées, chaque semaine. De même, chez les anglicans, la liturgie des heures est très déployée, et les laïcs y sont largement associés. Ces deux réalités pourraient être assez facilement développées dans nos paroisses et ces initiatives pourraient apporter de réels bienfaits spirituels.
Sur un plan plus structurel, je note que chez les anglicans, il y a une grande culture du débat, de la concertation. Les instances synodales ont plus de poids que chez nous, et les laïcs sont mieux associés au pouvoir décisionnel, notamment dans le processus de nomination des prêtres et des évêques.
Enrichir sa propre identité par l’autre
L’ARCIC, comité international de dialogue entre catholiques et anglicans, a adopté récemment l’œcuménisme réceptif comme méthode de travail. Ses membres ont montré que les anglicans pouvaient plus s’inspirer des instances de communion et d’unité existant dans l’Église catholique (catéchisme commun, même calendrier sanctoral, unique code de droit canonique, etc.) et que l’Église catholique, de son côté, pouvait s’inspirer de la culture de débat et de concertation des anglicans, ainsi que de leur façon d’impliquer les laïcs dans les cercles de gouvernance. L’un des intérêts de cette approche est qu’elle permet d’adopter des façons de faire qui ont été expérimentées ailleurs, et dont on voit déjà les fruits.
Paul Murray insiste sur le fait que l’enjeu n’est pas d’amoindrir sa propre identité mais de l’enrichir. Il s’agit surtout de se disposer intérieurement à avancer sur un chemin de conversion pour être de plus en plus fidèle à l’appel du Christ sur son Église, en combattant le péché, les dysfonctionnements, les contre-témoignages que l’on constate dans nos vies et dans nos Églises.
Dans un monde globalisé où les repères et les frontières se perdent, les identités ont tendance à se durcir. Ce mouvement semble s’opposer au mouvement œcuménique qui, à l’inverse, cherche l’unité. L’œcuménisme réceptif peut permettre de réconcilier ces deux mouvements antagonistes : il donne d’approfondir sa propre identité en s’inspirant des autres, d’honorer sa propre tradition en cherchant à la purifier, à la rendre plus conforme au projet de Dieu sur son Église.
LA RÉCEPTION : UNE RÉALITÉ ANCIENNE
Le processus d’échange et réception entre Églises n’est pas quelque chose de nouveau dans l’histoire de l’Église. Avant le XIIIe siècle, la canonisation des saints était par exemple une initiative liturgique qui relevait des Églises locales et s’étendait ensuite d’église en église. De la même façon se sont répandues dans l’Église latine plusieurs fêtes liturgiques, notamment mariales, célébrées en Orient (Purification, Nativité, Présentation, etc.). Ce processus de réception est au fond la reconnaissance d’une foi commune, animée par un même Esprit, dans des communautés et même des traditions différentes.
Propos recueillis par LAURENCE DE LOUVENCOURT