Lettre du Rocher : regard sur les émeutes dans les banlieues

Au terme d’une semaine douloureuse marquée par le décès de Nahel et un embrasement des cités, Le Rocher a souhaité s’adresser à nous. Une prise de parole rare pour témoigner d’une espérance encore possible. 

Chers amis du Rocher, 

Au terme d’une semaine douloureuse marquée par le décès de Nahel, 17 ans, un enfant de Nanterre tué mardi matin dernier lors d’un contrôle de police, nous avons jugé utile de vous parler à vous, chers donateurs, soutiens et amis.

Depuis mardi, les tensions et scènes d’émeutes passent en boucle dans les médias. Les épisodes de 2005 sont dans toutes les mémoires, où pendant 3 semaines de nombreuses banlieues s’étaient embrasées.

Il est rare que le Rocher prenne la parole et nous ne le faisons jamais pour commenter une actualité douloureuse, de près ou de loin à propos des banlieues dans lesquelles nous vivons.

Ce n’est pas notre rôle.

Notre rôle est d’aller vers celles et ceux qui nous attendent et de vivre ensemble dans les lieux où la pauvreté, les pauvretés de toute sorte s’accumulent. Parfois invisibles au premier regard, ces pauvretés sont bien là, oppressantes mais cachées par la dignité des habitants, des enfants, des familles, des jeunes, des personnes âgées… qui veulent s’en sortir mais demeurent prisonniers de lourdes spirales d’échec, d’isolement et de souffrance. 

Ce n’est pas notre appel.

Notre appel est d’être le frère, la sœur, la voix de ceux qui n’ont pas de voix : les habitants des cités, isolés dans ces lieux que nombre de français ne comprennent pas avant de s’y rendre pour la première fois. Là, c’est vrai, le quotidien est âpre ; violent parfois, humiliant et dur souvent, mais aussi tellement rempli de joies simples, de fraternité concrète en actes, avec un esprit de famille, de solidarité, dont notre société a tant besoin.

Mais depuis jeudi, nous sommes sollicités par les médias, nous qui vivons et connaissons bien les cités depuis plus de deux décennies. Nous avons accepté de témoigner, à condition de parler des banlieues et non de commenter des affaires judiciaires en cours d’instruction.

Alors, il est naturel de vous partager 3 choses. 

🔵 D’abord, à l’heure où nous vous parlons, les antennes vont bien.

Toutes les banlieues en France sont en état d’alerte. Nos centres-villes aussi.  
Certaines banlieues sont agitées, d’autres plus calmes. La situation est sous contrôle dans nos antennes et nous vivons l’esprit de toujours : la paix, dans la confiance des liens d’amitié, d’amour… tissés avec les habitants. Nous sommes vigilants, mobilisés, attentifs pour protéger les salariés, les bénévoles du Rocher et agir… comme durant le reste de l’année en faisant de chaque antenne un lieu de paix.

Nous vous tiendrons informés évidemment sur ce point crucial.

Par ailleurs, comme chaque année, nous entamons le mois de juillet avec la joie de pouvoir offrir des de vrais temps de vacances à travers séjours ou camps pour certains et des temps d’animation de rue et d’activités au sein du quartier pour d’autres.

🔵 Ensuite au Rocher nous essayons d’avoir dans nos échanges, et face à l’émotion légitime, un juste recul parfois difficile.

Là où certains voient dans les cités un problème, nous continuons d’y voir la possibilité d’y vivre des rencontres qui transforment la vie. La nôtre d’abord, celle des habitants ensuite. Et oui, il y a ici une “bataille du regard” :

– Là où certains politisent l’affaire pour leur propre compte.

– Là où d’autres cherchent à attiser la colère et les antagonismes culturels, religieux, sociaux.

– Là où d’autres cherchent à comprendre…

Nous le redisons ici avec force : nous sommes témoins chaque jour de tant et tant d’histoires de femmes et d’hommes plongés dans l’univers des cités, admirables dans leurs efforts pour aimer leur vie telle qu’elle est, pour aimer leur voisin tel qu’il est (quelle que soit sa couleur ou sa religion), pour aimer notre pays tel qu’il est !

Nous nous souvenons d’Ali des Mureaux, qui nous témoignait que, malgré les contrôles de police fréquents, il continue d’aller travailler, avec dignité et détermination car français, il l’est. Nous nous souvenons aussi de Bilal, ancien décrocheur scolaire aujourd’hui infirmier, qui nous disait récemment travailler avec amour et conviction au service du bien commun. Ou encore de Sonia, qui se sent reconnaissante d’avoir pu transformer son regard sur la France grâce au Rocher.

Ne cédons pas à la tentation de tirer des conclusions hâtives, de généraliser, d’opter pour des raccourcis sous le coup de la colère, de la tristesse ou de la méconnaissance de la réalité des cités, alors que la réponse à apporter est forcément complexe.

🔵 Enfin, les temps de crise sont des temps qui nous pressent de faire mieux ! 

Ce drame est l’épisode terrible d’une série qui reflète une tension sourde qui depuis des années s’accumule à tous les niveaux de la société. Cette fracture – nommée comme telle voilà bientôt 30 ans – est profonde. Elle nous interroge chacune et chacun :

« Moi, que puis-je faire pour bâtir la paix avec celle ou celui qui partage mon quartier, ma ville, mon pays ? »

Voilà la vraie question qui devrait réellement nous occuper, dès à présent, là où nous vivons ! 

D’aucuns croient que le repli est une solution. D’autres – dont nous faisons partie avec les acteurs engagés dans les quartiers prioritaires de la ville – font le choix de croire :

– Croire que dans le lien qui nous unit, tout est possible,

– Croire que nous pouvons dépasser nos différences et vivre ensemble au sein d’une même famille humaine,

– Croire que – même dans les situations de danger – le bien prévaut à la mesure de l’amour dont nous faisons preuve.

C’est notre espérance

Recommandez cet article à un ami

sur Facebook
par Whatsapp
par mail