Le supérieur général des jésuites à Paray-le-Monial

Le père Arturo Sosa a renouvelé la consécration de la Compagnie de Jésus au Sacré Cœur de Jésus.

Le week-end dernier, le père Arturo, supérieur général de la Compagnie de Jésus, était à Paray-le-Monial, dans le cadre du 350ème anniversaire des Apparitions de Jésus à Marguerite-Marie. L’occasion de renouveler la consécration de la Compagnie de Jésus au Sacré Cœur, de (re)tisser des liens fraternels avec la Visitation et la Communauté de l’Emmanuel, à qui le Sanctuaire a été confié, mais aussi de penser l’avenir ensemble.

Le père Etienne Kern, recteur du Sanctuaire revient sur cet événement majeur du jubilé, aussi inattendu qu’inespéré.

Comment cette visite s’est-elle décidée ?

Père Etienne Kern : « Le père Arturo Sosa, qui est vénézuélien, avait prévu de venir en France pour la Leçon Inaugurale des nouvelles facultés Loyola de Paris, puisque le Centre Sèvres a changé de nom. Il a demandé et insisté pour qu’une visite à Paray-le-Monial soit intégrée à son programme. Son intention était de renouveler la consécration de la Compagnie de Jésus au Sacré-Cœur à l’occasion du 350ème anniversaire des Apparitions de Jésus à Marguerite-Marie.

D’une part, en raison d’un attachement et d’une dévotion personnelle au Sacré Cœur – le Sacré Cœur fait partie de sa vie familiale et spirituelle – d’autre part, car cette dévotion au Sacré Cœur est liée à l’origine du charisme des jésuites, même si, du temps de Saint Ignace ce n’était pas encore explicite. Le sommet de l’expérience spirituelle de St Ignace est notamment une prière de consécration au cœur de Jésus qui s’inscrit ensuite dans l’histoire de la Compagnie de Jésus. Consacrée au Cœur de Jésus en 1872, cette consécration fut renouvelée 100 ans plus tard par le père Pedro Arrupe, alors supérieur général, puis par le père Arturo Sosa en 2022 à Loyola. Avant qu’il ne vienne ici le week-end dernier dans le cadre du Jubilé. »

Que signifie cette consécration, renouvelée maintenant régulièrement, pour la Compagnie de Jésus ?

Père Etienne Kern : « L’histoire montre qu’il y a toujours la possibilité que des éléments importants de la spiritualité, dans l’histoire d’une congrégation ou d’une communauté, soient redécouverts ou au contraire soient éclipsés.

Le père Pedro Arrupé avait dit en 1981, lors d’une des dernières lettres qu’il a écrites en tant que supérieur général jésuite :

« Je suis persuadé que peu de preuves pouvaient être aussi claires de la rénovation spirituelle de la compagnie qu’une dévotion vigoureuse et générale au cœur de Jésus. Le renouveau spirituel et missionnaire de la Compagnie de Jésus passera par la redécouverte de la dévotion au Sacré-Cœur. »

En tant que recteur du sanctuaire aujourd’hui et membre de la Communauté de l’Emmanuel, comment avez-vous reçu cette visite jésuite ?  

Père Etienne Kern : « Pour moi, c’est un événement majeur du Jubilé et une grâce tout à fait inattendue et inespérée. Je crois qu’il y a quelque chose de prophétique dans cette venue. C’est comme une provocation pour toute l’Église. Pas uniquement pour la Compagnie de Jésus ou la communauté de l’Emmanuel. Une provocation pour inviter l’Eglise, à travers ses diocèses, ses paroisses, ses communautés, à se demander quelle est la place et l’importance de la dévotion au Sacré Cœur pour elle. Chacun, dans sa communauté ecclésiale, est renvoyé à son rapport singulier au Sacré Cœur. Maintenant, là où nous sommes, qu’allons-nous faire ?

Par ailleurs, cette visite marque aussi un appel fort de l’Esprit-Saint, pour nous, à recevoir les Jésuites comme des frères dans la grâce de fraternité qui unissait Marguerite-Marie et Claude la Colombière, pour entrer dans une forme nouvelle de collaboration et explorer des chemins nouveaux autour de notre dévotion commune au Sacré Cœur.

Au cours d’un échange entre les responsables de l’Emmanuel, du Sanctuaire, des Jésuites, nous avons pu nous réjouir de cette communion nouvelle et du désir de travailler ensemble, que ce soit au niveau de la promotion du réseau mondial de prière du pape, de la retraite de chemin du cœur que proposent les jésuites ou encore de l’animation éventuelle de sessions ensemble.
Avec cette question qui est désormais devant nous : comment avancer maintenant ?

Enfin, j’ajoute que nous avons prolongé nos échanges autour d’un repas fraternel, très simple et très profond pour que notre fraternité soit un signe dans le Christ. En fait, ce que nous vivons localement, à Paray, depuis quelques années, s’est déployé tout au long du week-end. Lorsqu’il s’apprêtait à partir, j’ai dit au père Arturo Sosa que je le recevais comme un frère. Cette fraternité qui nous est donnée est je crois une des grâces du Jubilé. C’est réjouissant de voir que de la communion fraternelle naissent la joie et la mission, au-delà de nos sensibilités ecclésiales ou spirituelles respectives. »

Quel est le moment que vous avez envie de retenir ?

Père Etienne Kern : « L’image que je garde est celle du père Arturo Sosa à genoux, dans la chapelle des Apparitions, en train de consacrer la Compagnie de Jésus au Cœur de Jésus.

C’est pour moi un acte prophétique tant pour la Compagnie de Jésus que pour l’Église. C’est d’autant plus émouvant et intérieurement bouleversant que nous attendons la publication imminente par le pape François, jésuite lui-même, d’un document consacré au Sacré Cœur de Jésus. Chose qui n’est pas arrivée depuis plus de 70 ans.

Je pense à Pierre Goursat, le fondateur de la communauté de l’Emmanuel, qui percevait cela à son arrivée à Paray. Le 30 décembre 1982, lors d’une retraite de fraternité, alors que la dévotion au Cœur de Jésus était tombée dans les oubliettes, il a eu cette parole à propos de Paray-le-Monial :

« A Paray, c’est un centre mondial. Il faut comprendre la force et la puissance que le Seigneur met dans cette action si bien que ça va rayonner sur le monde. On aura des foules qui viendront pour se réchauffer au cœur de Jésus, alors prions, adorons et remercions et demandons surtout pour nous tous l’humilité du cœur. »

Le Sacré Cœur est-il finalement la source de l’unité de l’Eglise et de la communion entre les croyants ?

Père Etienne Kern : « Je me réjouis que diverses réalités d’Eglise (re)découvrent le Cœur de Jésus. Nous vivons un renouveau qui n’est pas simplement la répétition de la dévotion telle qu’elle était vécue au XIXème siècle. Il ne s’agit pas non plus de faire mémoire de Paray comme d’un jalon historique dans l’histoire de la spiritualité catholique. Non, Paray est un lieu de grâces inspirant pour aujourd’hui.

Le Seigneur redonne le cœur de Jésus à l’Eglise, non pas pour que nous nous approprions l’eau vive mais pour que nous entrions dans la joie de la partager avec tous ceux qui ont soif. Dans la perspective d’un renouveau spirituel missionnaire ! »

Il y a urgence ?

Père Etienne Kern : « Je vois que le monde est en feu et que nous n’avons plus le temps de nous arrêter sur ce qui n’est pas essentiel. Il y a urgence et aujourd’hui, le cœur de Jésus est redonné à l’Eglise avec des grâces de pacification, de communion et d’unité pour que nous servions ensemble.

Le fait que de nombreuses congrégations et communautés soient affaiblies par le scandale des abus, qui nous concerne tous, y compris notre Communauté, nous rend dépendant les uns des autres. Nous découvrons la joie d’avoir besoin les uns des autres, peut-être aussi l’humilité et la douceur du cœur de Jésus. Nous entrons dans une forme d’appauvrissement qui nous rend plus libre et plus disponible à l’Évangile. »

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demarche jubilaire pere Sosa
Jesuites fin de messe

Homélie du Père général Arturo SOSA lors de sa venue à Paray le Monial – 22 septembre 2024

Aujourd’hui, l’apôtre Jacques nous interroge : « D’où viennent les guerres et les conflits entre vous ? » Du cœur des êtres humains, nous donne-t-il à comprendre. Le Livre de la Sagesse, quant à lui, nous révèle la logique de la haine, et la jalousie qui peut vivre dans les cœurs. C’est dans le cœur humain que tout cela se produit. Malheureusement, des conflits ont accompagné toute l’histoire de l’humanité, mais nous savons qu’aujourd’hui notre monde traverse de graves et profonds problèmes sans précédent, qui menacent les conditions même de la vie sur notre planète Terre. Alors, d’où peut venir la réponse à ces situations tragiques, sinon du cœur humain ? Mais à quel cœur pouvons-nous faire confiance lorsque nous découvrons et reconnaissons vraiment que nos cœurs sont malades, certains gravement malades ?

Regardons le Cœur de Jésus. C’est son Cœur qui nous ouvre la voie. Cœur, centre et synthèse de tout l’Amour divin déposé dans l’Humanité du Fils. Cœur qui s’est manifesté en ce lieu, dans cette chapelle, à Sainte Marguerite-Marie Alacoque ; don de grâce qui reste toujours actuel et accessible à tous, en commençant par les plus petits, les plus vulnérables. Lorsque le cœur humain est si malade, il ne suffit pas d’essayer de mettre un stimulateur cardiaque ou d’effectuer un pontage, il faut le changer complètement. Nous avons besoin d’une intervention radicale : la greffe d’un nouveau cœur. Recevoir le Cœur que notre Sauveur nous offre, est la solution authentique, une alternative à ce que le monde peut offrir.

Margarita Marie et Claude ont vécu personnellement cette profonde transformation. Marguerite-Marie à travers ses apparitions extraordinaires, Claude dans la partie ordinaire de sa vie de jésuite, notamment avec ses méditations sur l’Évangile et en accompagnant les Exercices Spirituels de Saint Ignace de Loyola[1]. On leur a confié la tâche de transmettre et de communiquer[2], selon leur propre vocation, cette clé du mystère qui ouvre la voie de la vie au monde.

Tout a commencé très modestement, presque imperceptible aux yeux du monde. Le geste de consécration, qu’ils ont probablement fait ensemble ici, en ce lieu, fin juin 1675, moment clé du Seigneur Jésus, lors de sa dernière apparition, résumait son message, son appel à « rendre l’amour pour l’amour ». Appel à s’offrir, gratuitement, gratuitement, mais totalement. Une attitude qui résume toute la vie, l’identité profonde du Seigneur lui-même, et qui est appelée à devenir notre identité. Dans cette apparition, sainte Marguerite-Marie est explicitement envoyée vers saint Claude pour le mettre en pratique : « tournez-vous vers mon serviteur ». Saint Claude répondra immédiatement avec cette offre :

« je vous offre mon cœur, avec tous les mouvements dont il est capable, je me donne tout entier à vous ; et, dès cette heure,[…] je désire m’oublier moi-même et tout ce qui peut avoir du rapport avec moi, pour lever l’obstacle qui pourrait m’empêcher l’entrée de [votre] divin Cœur […] Cœur sacré de Jésus, apprenez-moi le parfait oubli de moi-même, puisque c’est la seule voie, par où l’on peut entrer en vous.». Et cela dans la simplicité et la confiance d’un enfant : « quiconque accueille un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille » comme nous le rappelle précisément Jésus dans l’Évangile de ce jour.

Dès lors, un chemin, ne manquant pas de difficultés et d’obstacles[3], s’ouvre à travers le monde. La solennité du Sacré-Cœur, instituée par l’Église en 1856, constituera une étape importante sur un chemin qui s’étend à travers toute l’histoire de l’humanité.

Cette offrande d’eux-mêmes en réponse à l’appel du Cœur du Seigneur est précisément au cœur de ce qui anime et constitue la Compagnie de Jésus. Depuis ses origines, la Compagnie de Jésus a cherché à répondre aux défis de l’Église et du monde. L’offrande au Cœur de Jésus renforce l’engagement de la Compagnie à servir sous le drapeau de la Croix, en collaborant de toutes ses forces à la mission du Seigneur confiée à l’Église.

La consécration de la Compagnie de Jésus au Cœur de Jésus en 1872 s’est déroulée dans un contexte de grande préoccupation mondiale. C’est ce que le Père Pedro Arrupe a souligné en renouvelant la consécration de la Compagnie en 1972 :

« Si nous examinons la situation du monde, nous pressentons de nouveaux malheurs et avons toute raison d’en craindre d’autres. » Il ajouta alors  : « Demandons [au Sacré-Cœur] le bien-être, le salut, la paix et l’espérance pour ces jours difficiles avec une foi inébranlable. » C’est maintenant encore comme ce l’était en ce temps-là ; la situation du monde et de l’Église reste extrêmement délicate. […] Convaincus que la solution de ces difficultés et la possibilité d’adapter notre mode de vie à ce nouvel environnement reposent en celui qui est « solutio omnium difficultatum », nous aussi désirons aujourd’hui renouveler notre consécration au Cœur du Christ. ».

Pour renouveler cette consécration, Pedro Arrupe a utilisé les paroles de saint Ignace de Loyola lui-même, dans la prière finale des Exercices spirituels : « Prends Seigneur et reçois… ». Une prière d’offrande que Pedro Arrupe a liée à une relecture très détaillée d’une expérience fondatrice d’Ignace[4] : lorsque celui-ci arrive à Rome en 1537 avec ses premiers Compagnons, et fait une pause dans la petite chapelle de la Storta. Ignace a vu le Père demander au Fils de l’accepter à son service et de se laisser guider par l’Esprit pour collaborer à son œuvre rédemptrice. Pedro Arrupe a associé cette expérience à la consécration au Cœur de Jésus.

Le charisme fondamental de la Compagnie de Jésus est donc dès ses débuts lié à l’expérience de l’Amour de Jésus, qui devient une collaboration efficace à sa mission rédemptrice. La dernière vision de sainte Marguerite-Marie, le 2 juillet 1688, que vous connaissez bien ici à Paray le Monial grâce à la belle mosaïque de la chapelle de La Colombière, ne fait que le confirmer.

À l’occasion de la clôture de l’année jubilaire ignatienne, nous avons renouvelé cette consécration avec les paroles de Pedro Arrupe, dans notre sanctuaire de Loyola, le 31 juillet 2022. Dans cette consécration la Compagnie de Jésus continue de s’offrir totalement à Dieu pour collaborer à son œuvre dans le temps qui est le nôtre. De cette consécration jaillit la source et la vitalité de notre engagement apostolique[5] : collaborer avec d’autres à la réconciliation de toutes choses en Christ. Les Préférences Apostoliques Universelles que nous avons définies ces dernières années guident la manière concrète dont nous avons été envoyés par le Pape François pour vivre et accomplir cette mission à ce moment de l’histoire de l’humanité.

Telle a été l’expérience d’Ignace en la chapelle de la Storta, dans le démarrage de la Compagnie de Jésus. Telle est la nôtre pour nous, avec vous, en ce jour, à la suite de sainte Marguerite-Marie et de saint Claude : nous renouvelons avec joie pour le Corps universel de la Compagnie, pour sa vitalité, sa fécondité à travers tous les Compagnons de Jésus ; dans cette chapelle de la Visitation de Paray-le-Monial, dans le cadre de ce jubilé des grandes Apparitions.

 

[1]     Référence à ses notes sur la Grande Retraite du troisième An en particulier sa contemplation du Christ en Croix dans la Troisième Semaine, no. 56, décembre 1674.

[2]     Référence à la vision de Marguerite-Marie, dite des Trois Cœurs, en mars 1675, lorsque Claudio La Colombière célébrait l’Eucharistie dans la chapelle de la Visitation. Autobiographie de Margarita María no. 82

[3]     Référence à ce que Marguerite-Marie dit à Claude spécifiquement au nom du Seigneur, à la fin de son récit de la troisième grande apparition de juin 1675 et qui apparaît dans les notes des Exercices de Claude à Londres en 1677 (n° 136).

[4]     Référence à l’homélie pour le renouvellement de la consécration, 9 juin 1972.

[5]     Références à la lettre du Père Général à toute la Compagnie (cur gen 72/8) du 27 avril 1972 ; et au message final du discours de Pedro Arrupe “Enraciné et fondé dans la charité” du 6 février 1981.

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