Pour ne pas prendre la place de Dieu
En ce 04 octobre, fête de Saint François d’Assise, le pape François publie l’exhortation apostolique Laudate Deum, la suite, 8 ans après, de Laudato Si’.
Un texte dans lequel le pape laisse transparaitre une profonde inquiétude quant à l’avenir et pointe du doigt l’insuffisance de nos réactions et « la faiblesse de la politique internationale » face à la crise climatique. Il appelle à un sursaut collectif et personnel car la survie de l’humanité en dépend.
Tout en dénonçant les résistances et les confusions face à la réalité de la crise climatique, François pointe l’origine humaine de la crise qu’il n’est aujourd’hui plus possible de nier : « Nous avons beau essayer de les nier, de les cacher, de les dissimuler ou de les relativiser, les signes du changement climatique sont là, toujours plus évidents. » n°5.
Et pourtant, déplore-t-il « ces dernières années, de nombreuses personnes ont tenté de se moquer de ce constat. » n°6 S’ensuit une argumentation précise des points contestés par les climatosceptiques : « Je suis obligé d’apporter ces précisions, qui peuvent sembler évidentes, à cause de certaines opinions méprisantes et déraisonnables que je rencontre même au sein de l’Église catholique. » n°14
Il souligne avec une inquiétude perceptible que « certaines manifestations de cette crise climatique sont déjà irréversibles pour des centaines d’années au moins, comme l’augmentation de la température globale des océans, leur acidification et leur appauvrissement en oxygène. Les eaux océaniques ont une inertie thermique et il faut des siècles pour normaliser la température et la salinité, ce qui affecte la survie de nombreuses espèces. C’est un signe, parmi tant d’autres, que les autres créatures de ce monde ont cessé d’être nos compagnes de route pour devenir nos victimes. » n°15
« Il en va de même pour le processus conduisant à la diminution des glaces continentales. La fonte des pôles ne pourra être inversée avant des centaines d’années. En matière de climat, certains facteurs perdurent longtemps, indépendamment des faits qui les ont déclenchés. C’est pourquoi nous ne pouvons plus arrêter les énormes dégâts que nous avons causés. Nous avons juste le temps d’éviter des dégâts encore plus dramatiques. » n°16
« Certains diagnostics apocalyptiques semblent souvent peu rationnels ou insuffisamment fondés. Cela ne doit pas nous faire ignorer que la possibilité de parvenir à un point critique est réelle. »
Laudate Deum n° 17
Il est donc urgent d’agir de manière responsable et personnelle « face à l’héritage que nous laisserons de notre passage en ce monde. » n°18, explique François qui réaffirme avec force deux convictions : « Tout est lié » et « personne ne peut se sauver tout seul. » n°19
A partir de là, le souverain pontife s’inquiète de la domination croissante du « paradigme technocratique. » concept largement expliqué dans Laudato Si’. « Les ressources naturelles nécessaires à la technologie, comme le lithium, le silicium et bien d’autres, ne sont certes pas illimitées, mais le plus grand problème est l’idéologie qui sous-tend une obsession : accroître au-delà de l’imaginable le pouvoir de l’homme, face auquel la réalité non humaine est une simple ressource à son service. Tout ce qui existe cesse d’être un don qu’il faut apprécier, valoriser et protéger, et devient l’esclave, la victime de tous les caprices de l’esprit humain et de ses capacités. » n°22
Une idéologie qui risque de placer l’ensemble de l’humanité sous l’emprise des quelques-uns qui possèdent les capacités techniques. Ainsi, le pape appelle à repenser notre usage du pouvoir, dont « l’augmentation n’est pas forcément un progrès pour l’humanité », en remettant l’homme à sa juste place : « Contrairement à ce paradigme technocratique, nous affirmons que le monde qui nous entoure n’est pas un objet d’exploitation, d’utilisation débridée, d’ambitions illimitées. Nous ne pouvons même pas dire que la nature serait un simple “cadre” où nous développerions nos vies et nos projets, car « nous sommes inclus en elle, nous en sommes une partie, et nous sommes enchevêtrés avec elle », de sorte que « le monde ne se contemple pas de l’extérieur mais de l’intérieur. » n°25
« Cela exclut l’idée que l’être humain serait un étranger, un facteur externe capable seulement de nuire à l’environnement. Il doit être considéré comme faisant partie de la nature. La vie humaine, l’intelligence et la liberté sont insérées dans la nature qui enrichit notre planète, elles font partie de ses forces internes et de son équilibre. » n°26
Le saint-père exhorte à repenser la question du pouvoir avec « lucidité et honnêteté pour reconnaitre à temps que notre pouvoir et le progrès que nous générons se retournent contre nous-mêmes. » n°28 et nous interpelle quant au sens profond de notre existence :
« Dans leur conscience, et face au visage des enfants qui paieront les dégâts de leurs actions, la question du sens se pose : quel est le sens de ma vie, quel est le sens de mon passage sur cette terre, quel est le sens, en définitive, de mon travail et de mes efforts ? »
Laudate Deum n° 33
Face à l’inaction et à la faiblesse de la politique internationale, François appelle une réforme de la gouvernance mondiale en multipliant les accords multilatéraux entre états et en mettant en œuvre « le principe de subsidiarité pour les relations « mondial / local » n°37 ainsi qu’en remettant dans les mains des citoyens le pouvoir politique. A la suite de l’encyclique Fratelli tutti, il s’agit « en recherchant avant tout le respect de la dignité des personnes » de faire « primer l’éthique sur les intérêts locaux ou de circonstance. » n°39.
La quatrième partie, entièrement consacrée aux progrès et aux échecs des conférences sur le climat montre la faiblesse des avancées dans le domaine. Dans la cinquième partie, François s’interroge sur l’opportunité d’une espérance quant à la COP 28 qui doit se tenir à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre prochain. Il réaffirme pourtant sa confiance dans l’être humain, plaidant que toute autre attitude serait suicidaire, et rêve que cette COP 28 conduise à une « accélération de la transition énergétique » n°54 à travers des « formes contraignantes » n°59.
Enfin, c’est seulement dans la sixième et dernière partie de l’exhortation apostolique que François s’adresse aux chrétiens en leur rappelant leur responsabilité vis-à-vis « d’une terre qui est à Dieu » et qui nous a été confiée. Il souligne, encore une fois, « la valeur particulière et centrale de l’être humain au milieu du concert merveilleux de tous les êtres, mais aujourd’hui nous sommes obligés de reconnaître que seul un “anthropocentrisme situé” est possible. Autrement dit, reconnaître que la vie humaine est incompréhensible et insoutenable sans les autres créatures parce que « nous et tous les êtres de l’univers, sommes unis par des liens invisibles, et formons une sorte de famille universelle, une communion sublime qui nous pousse à un respect sacré, tendre et humble ». n°67
« Cela n’est pas le produit de notre volonté, cela a une autre origine qui est à la racine de notre être, car « Dieu nous a unis si étroitement au monde qui nous entoure, que la désertification du sol est comme une maladie pour chacun ; et nous pouvons nous lamenter sur l’extinction d’une espèce comme si elle était une mutilation ». Ainsi, nous mettons fin à l’idée d’un être humain autonome, tout-puissant et illimité, et nous nous repensons pour nous comprendre d’une manière plus humble et plus riche. » n°68
Si le pape insiste avec pragmatisme sur la responsabilité des gouvernants, il considère néanmoins utiles les actions individuelles qui peuvent être à l’origine de grandes transformations pour l’ensemble de la société.
Ce n’est qu’au dernier numéro de l’exhortation, le numéro 73, pour que le pape explicite le nom de ce texte : « Louez Dieu » est le nom de cette lettre. Parce qu’un être humain qui prétend prendre la place de Dieu devient le pire danger pour lui-même. » Une explication qui sonne comme un avertissement.
Encyclique Laudato si’
Exhortation Apostolique Laudate Deum
Pape François
Editions de l’Emmanuel